Le fabricant suisse de machine à café Thermoplan a un défi de taille à relever: ses nouveaux modèles doivent être opérationnels dès 2027, mais les mauvaises nouvelles pleuvent sur l'entreprise.
Avec l'augmentation des droits de douane sur l'acier, l'aluminium ou même le cuivre, les annonces de Donald Trump mettent des bâtons dans les roues de Thermoplan. A ces augmentations de droits de douane s'en ajoute une autre qui l'impacte de plein fouet, celle sur le café brésilien.
«Il est presque impossible d'avoir une vue d'ensemble aujourd'hui», déclare au «Handelszeitung» Adrian Steiner, le directeur général de Thermoplan, qui a pourtant connu un grand nombre de crise auparavant. La plupart des patrons de PME suisses qui exportent vers les Etats-Unis font face aux mêmes difficultés que lui.
Après la carotte, le bâton douanier
Jusqu'à la mi-juin cette année, 600 entreprises se sont présentées à l'agence d'exportation Switzerland Global Enterprise (SGE) pour recevoir des conseils sur les droits de douane de Trump. «C'est nettement plus que d'habitude et ce nombre reflète le climat d'incertitude actuelle», résume SGE. Le nombre d'appels a probablement encore augmenté ces dernières semaines. L'ambiance est morose: près des deux tiers des exportateurs s'attendent à voir leur chiffre d'affaires stagner ou diminuer en 2025.
C'est un changement brutal, car avant Trump, Joe Biden attirait les entreprises étrangères avec des «tax holidays», des subventions, des aides à l'achat de terrains et avec l'Inflation Reduction Act – qui créditait des milliards aux entreprises qui créaient des emplois aux Etats-Unis.
Pour le moment, les marchandises en provenance de Suisse sont soumises à une pénalité de 10% sur les droits de douane existants. S'y ajoutent des charges supplémentaires de 20 à 130% selon le matériau et l'origine. Les entreprises les plus touchées sont celles qui misent sur le «Swiss Made», commandent des pièces de rechange en Chine, n'ont pas de production aux Etats-Unis ou ont un concurrent américain.
Les grandes entreprises subissent aussi
De nombreuses PME ne savent même pas combien de droits de douane payer ni sur quelles matières premières, explique Mathias Bopp, responsable des impôts indirects chez KPMG. «Cela se retourne contre elles.» A hauteur de 2 ou 3%, les droits de douane étaient «négligeables», mais maintenant que Trump les pousse jusqu'à 90%, les coûts sont bien plus élevés. De nouveaux facteurs sont à prendre en compte, comme que le fait que l'acier soit taxé là où il a été galvanisé. «Ce qui est décisif, c'est toujours le lieu où un produit a subi sa dernière grande transformation», explique l'expert.
Les grandes entreprises sont aussi touchées par ces mesures. Au siège des groupes Roche, Novartis ou ABB, le conflit commercial occupe des armées de lobbyistes, de conseillers et de juristes commerciaux depuis des mois. A court terme, le but est d'expédier le plus de produits possible vers les Etats-Unis avant que le marteau douanier ne frappe.
En parallèle, le «stockpiling» – le stationnement de marchandises dans des entrepôts hors taxes – a le vent en poupe. Les entrepôts américains débordent, les loyers des entrepôts s'envolent et les listes d'attente s'allongent. Le malheur des uns fait le bonheur des propriétaires d'entrepôts. Les prix de transfert, facturés en interne lorsque la société suisse vend des produits à sa filiale américaine, sont aussi revus à la hausse.
Situation critique pour Roche
La situation est particulièrement grave dans l'industrie pharmaceutique, fleuron des exportations suisses. Jusqu'à présent épargnée de tout tarif pour des raisons humanitaires, un droit de douane de 200% pourrait entrer en vigueur. La réaction modérée du marché indique qu'il s'agit probablement d'une tactique de négociation, mais le doute persiste.
Heureusement, des poids lourds de l'industrie avec des usines aux Etats-Unis, comme Roche, peuvent limiter la casse, même si la situation reste critique. C'est pourquoi le groupe pharmaceutique ne s'engagera à investir ses 50 milliards de dollars seulement si les prix des médicaments restent élevés.
De son côté, l'entreprise sino-suisse Syngenta est mieux lotie et a déjà mis ses chaînes d'approvisionnement à l'abri. En effet, le groupe agrochimique s'approvisionne en matières premières auprès de trois sources: une en Asie, une en Amérique et une en Europe.
En revanche, les petites entreprises comme Victorinox ont plus de mal à s'en sortir. Grâce au Swiss Army Knife, la marque est appréciée dans tous les Etats-Unis, mais depuis le «Liberation Day», les droits de douanes ont augmenté de 10%, pesant lourdement sur le patron Carl Elsener. Pour les couteaux de poche et les montres commercialisées par Victorinox, les droits de douane sont respectivement de 15,4% et 16,2%.
Le «Swiss made» devient difficile
Etant donné que Victorinox mise sur le «Swiss made», s'adapter à ces coûts supplémentaires n'est pas facile, mais l'entreprise cherche à ajuster ses prix selon les produits. En revanche, elle refuse d'utiliser d'autres marchés comme débouchés, car les quantités que Carl Elsener vend aux Etats-Unis seraient «difficiles» à écouler ailleurs.
L'Amérique est le principal marché d'exportation de l'entreprise, et Carl Elsener veut le sécuriser, même si les conditions générales sont «très difficiles». «Une délocalisation – en particulier de notre produit phare, le Swiss Army Knife – n'est pas une option pour nous», estime-t-il. Selon lui, le couteau de poche emblématique est une promesse de qualité «made in Switzerland».
Le «Swiss made first» prime aussi pour le fabricant de machines à café Thermoplan: «Nous nous en tenons au 'Swiss made' et ne délocalisons pas la production aux Etats-Unis.» L'entreprise mise plutôt sur l'efficacité: automatiser plutôt que déménager. De nombreux représentants de PME espèrent que Guy Parmelin parviendra à trouver un accord raisonnable avec Washington d'ici le 1er août.
Le Brésil et la Chine posent problème
L'exportation vers les Etats-Unis n'est pas le seul problème. L'utilisation de pièces de rechange produites au Brésil, en Chine ou d'autres pays figurant sur la liste noire de Trump fait augmenter les droits de douane et crée une obligation de déclaration conséquente.
Le protectionnisme à la sauce Trump a des inconvénients, par exemple il favorise la bureaucratisation du commerce mondial. «Le nouveau système douanier rappelle les pires exactions de l'UE», déclare un exportateur de machines. En effet, les échelonnements et les obligations de déclaration créent des charges supplémentaires, engendrent plus de travail administratif, baissent les marges d'exploitation, augmentent les prix et alimentent l'inflation aux Etats-Unis.
Le fabricant d'ustensiles de cuisine Kuhn Rikon produit une grande partie de ses marchandises en Chine et souffre du malus chinois. Même les PME suisses qui ne veulent plus acheter des poêles à frire impliquées dans le conflit commercial entre Pékin et Washington sont pénalisées par des coûts supplémentaires.
Au printemps, Kuhn Rikon a augmenté une première fois ses prix sur le marché américain, puis une deuxième fois en juin. Si les droits de douanes ne s'améliorent pas, l'entreprise devra réduire sa dépendance vis-à-vis de la Chine. Mais une délocalisation de la production aux Etats-Unis ne serait pas optimale, car les ustensiles deviendraient trop chers.
Certes, devenir moins dépendant de la Chine est un objectif stratégique. «Mais nous n'y arriverons pas du jour au lendemain.» De toute façon, les alternatives à la production chinoise se heurtent aux droits de douane punitifs: 26% pour l'Inde, 36% pour la Thaïlande et 20% pour le Vietnam.
Ricola aussi en difficulté
Le retour de Trump n'a pas épargné Ricola. A la mi-mai, l'entreprise familiale a averti: «Les nouveaux droits de douane américains touchent fortement Ricola.» Rien d'étonnant: les Etats-Unis génèrent 40% de son chiffre d'affaires.
Face à cette situation, le patron de Ricola, Thomas Meier, a créé une task force sur les tarifs, au sein de laquelle le patron, le directeur financier et les responsables de la chaîne d'approvisionnement cherchent des contre-mesures avec les chefs régionaux américains. Chaque centime compte, car le marché des confiseries dans le commerce de détail américain est très compétitif.
Pour résister à la tempête commerciale, il faut dégager une marge. Et même si les droits de douane devaient rester à 10%, la situation serait compliquée pour ces entreprises. «Nous devrions probablement prendre plus de la moitié à notre charge», calcule par exemple le patron de Thermoplan.
Cet article a été publié initialement dans le «Handelszeitung», un hebdomadaire économique appartenant à Ringier AG, éditeur de Blick.
Cet article a été publié initialement dans le «Handelszeitung», un hebdomadaire économique appartenant à Ringier AG, éditeur de Blick.