On connaît l’argument de Donald Trump, et il n’est pas faux: seul un «échange de territoires» acceptable pour la Russie et l’Ukraine peut permettre de mettre fin aux combats qui dévastent ce pays. Mais de quel échange parle-t-on? Et sur quelles bases? La présence militaire russe est-elle irrévocable? L’amputation de l’Ukraine, un Etat aux frontières internationales reconnues, est-elle acceptable?
Le premier élément, pour comprendre la stratégie de Trump (qui n’est pas nouvelle) est de bien regarder une carte de l’Ukraine. Tout le flanc oriental du pays, de l’oblast (province) de Donetsk au nord à la Crimée (annexée par Moscou en 2014) au sud, est aujourd’hui sous contrôle de l’armée russe. Cela ne signifie pas que l’intégralité de ces provinces est occupée. Le seul oblast entièrement contrôlé par Moscou et les forces pro-russes est Louhansk. Moralité, selon l’actuelle administration américaine: le rapport de force dans cette région est favorable à la Russie. Reconquérir ces territoires perdus n’est pas à la portée de l’armée ukrainienne. Il faut donc s’arrêter là.
Référendums d’annexion
Deuxième élément: l’histoire et la situation juridique de ces territoires. D’un point de vue historique, l’appartenance de la Crimée à la Russie est par exemple un argument brandi depuis le début par Moscou, et accepté de facto par la communauté internationale, qui a condamné cette annexion en 2014, sans toutefois réagir militairement. La présence importante de russophones, et même de citoyens russes, dans les quatre oblasts de Louhansk, Donetsk, Kherson et Zaporija est l’autre argument brandi par Vladimir Poutine selon lequel la Russie doit protéger les minorités russes dans son voisinage.
Dernier point: ces 5 territoires en partie perdus par l’Ukraine sont officiellement rattachés à la Fédération de Russie depuis l’organisation sur place de référendums (sans contrôle international) en 2014 en Crimée et en septembre 2022 pour les autres provinces. Donald Trump en tire une leçon: quelle que soit l’issue diplomatique trouvée (location comme on l’évoque parfois, ou souveraineté duale dans l’attente d’un accord de paix final), ces oblasts resteront russes.
Coup de ciseau
Troisième coup de ciseau que Donald Trump aurait validé: celui dépossédant la Russie de quelques poches que l’armée russe contrôle, et celui qui concerne les régions non occupées des oblasts de Donetsk, Kherson et Zaporija. Dans ces deux derniers en particulier, les Russes pourraient reculer pour ne garder que 50% de ces territoires, contre 70% occupés aujourd’hui. Des garanties seraient aussi données, pour permettre un accès à la mer Noire pour les deux pays. A l’issue de ces concessions, l’Ukraine conserverait 80% de son territoire mais obtiendrait des zones qu’elle n’est aujourd’hui pas en mesure de reconquérir.
Quatrième découpage enfin: une zone démilitarisée serait instituée là où les deux armées se font face. L’idée n’est pas nouvelle et elle ressemble à ce qui permit de mettre fin à la guerre de Corée en 1953: un gel des gains territoriaux, rendu permanent par le déploiement de forces de part et d’autre. L’armée ukrainienne serait armée par les Américains et les Européens pour soutenir une future offensive russe. La force de «réassurance» européenne proposée depuis un an par Emmanuel Macron pourrait être stationnée à l’intérieur du pays. L’Ukraine ne serait pas un conflit gelé, à la mode de ce qui existe dans la petite Transnistrie, enclave pro-russe située sur le territoire de la Moldavie. Il y aurait une forme de protection internationale de ce «deal».
«Yalta» de l’Alaska
Est-il possible, maintenant, de faire accepter ce «Yalta» de l’Alaska par les autorités ukrainiennes sans convier Volodymyr Zelensky au sommet du 15 août? La réponse est non. Idem pour les Européens. Il faut donc, idéalement, qu’une seconde phase de discussion ait lieu très vite après la rencontre en Alaska, et avant la visite de Trump à Moscou qui pourrait avoir lieu d’ici la fin 2025. En sachant que Donald Trump ne respecte que les actes: s’ils veulent protéger l’Ukraine, l’Union européenne et le Royaume-Uni devront donc agir. Vite. Et de manière autonome pour ne pas être tributaires de Washington.