Il se dit «fucking crazy»
Avec sa stratégie politique de «Madman», Trump fait plier la Suisse

Donald Trump obtient presque toujours ce qu’il veut. Derrière cette réussite se cache la stratégie du «Madman»: faire de son imprévisibilité une arme politique. Une méthode qui déstabilise ses adversaires. Sa dernière victime en date? La Suisse.
Publié: 07:11 heures
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Dernière mise à jour: il y a 57 minutes
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Selon des politologues américains, Donald Trump poursuit la stratégie de l'homme fou.
Photo: keystone-sda.ch
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Rebecca Wyss

Lors de la conférence de presse sur les droits de douane américains, Karin Keller-Sutter n'a pas manqué d'exprimer sa frustration. Invitée à réagir au «revers» infligé par Donald Trump, la conseillère fédérale a reconnu: «C’est une déception, et pas seulement pour moi».

Le président américain n'a jamais été digne de confiance, et ce bien avant le 1er août. Le chef de la Maison Blanche sème le chaos avec ses idées farfelues: faire du Canada le 51ème Etat des Etats-Unis, envisager d'utiliser l'armée américaine pour annexer le Groenland, menacer la Russie avec des sous-marins nucléaires et... instaurer des droits de douane de 39% contre la Suisse.

Le président américain est connu pour ses annonces insensées, ses changements d'avis brusques, ses contradictions et ses incohérences. Le plus prévisible chez Trump, c'est son imprévisibilité et il en a fait sa doctrine politique. Aujourd'hui, la Suisse en subit les conséquences.

Michael Ambühl était autrefois assis à la table des négociations au nom de la Suisse. Il a été négociateur en chef des Bilatérales II, puis secrétaire d'Etat. Il est désormais professeur à l'EPFZ. «Peut-être», dit-il «la Suisse et ses représentants n'ont pas assez tenu compte de l'imprévisibilité de Trump». «Nous avions sans doute trop confiance», ajoute-t-il.

«He knows I'm fucking crazy»

Pourtant, cette caractéristique semble faire partie d'une stratégie de longue date du président américain. «Nous avons besoin d'imprévisibilité», avait-il déclaré dans une interview à Fox News. En 2018, il s'en était même vanté lors d'un dîner officiel. Il s'était lui-même qualifié de «madman» (ndlr: «un homme fou») par rapport aux négociations avec la Corée du Nord. En 2024, un journaliste lui a demandé comment il réagirait à un blocus de Taïwan par la Chine. Xi Jinping, le chef d'Etat chinois, n'oserait pas, a-t-il répondu. «He knows I'm fucking crazy» (ndlr: «il sait que je suis complètement fou»). 

Etre imprévisible fait donc partie de sa stratégie politique. Quand un chef d'Etat simule la folie, il fait croire à ses partenaires de négociation qu'il est capable de tout. Le meilleur moyen pour les déstabiliser et les forcer à faire des concessions.

Roseanne McManus, professeur de sciences politiques à l'université d'Etat de Pennsylvanie, déclare: «La stratégie de l'homme politique fou correspond bien à la personnalité de Trump.» Cette technique fonctionne pour lui, mais pas pour tout le monde. Car, selon Roseanne McManus, «feindre la folie est difficile à réaliser pour des chefs d'Etat sains d'esprit».

Une stratégie aussi utilisée par Nixon

La stratégie de Trump est ancienne dans l'Histoire des Etats-Unis, comme le prouvent les années de présidence de Richard Nixon. En 1969, il accède au pouvoir des Etats-Unis en pleine guerre contre le Nord-Vietnam, soutenu par l'Union soviétique. Le président Nixon voulait mettre fin à la guerre, il a donc demandé à ses hommes de négocier avec l'Union soviétique, précisant qu'il n'hésiterait pas à utiliser des armes nucléaires si nécessaire. 

L'ancien président américain avait même fixé un délai, le 1er novembre 1969, pour forcer l'ennemi à s'asseoir à la table des négociations. En octobre, 18 bombardiers américains B-52 lourdement armés tournaient au-dessus du pôle Nord pour faire monter la pression. Mais l'échéance passa et la guerre ne prit fin que des années plus tard. 

La professeure de sciences politiques américaine Roseanne McManus affirme que cette stratégie correspond à la personnalité de Trump.
Photo: PD

Dans ce cas, la stratégie de l'homme politique fou n'a pas fonctionné et la politologue Roseanne McManus sait pourquoi. Nixon n'a «pas joué le fou de manière assez conséquente». Trump, quant à lui, maîtrise le jeu. Il utilise par exemple les réseaux sociaux de manière très spontanée pour afficher ses pensées, ce qui vient renforcer encore plus sa réputation instable.

Ses victimes préférées? Ses alliés

Cette stratégie s'avère payante pour Trump, mais certains adversaires sembleraient moins dupes que d'autres. Comme le rappelle la politologue, Trump n'a pas réussi à conclure un nouvel accord avec l'Iran, ni à faire accepter un accord au Hamas ou mettre fin à la guerre en Ukraine. La raison? «Il n'est pas prêt à utiliser la force militaire à grande échelle», explique-t-elle.

Un autre élément entre en jeu. L'Iran, le Hamas et la Russie ne dépendent pas du bon vouloir du peuple, à la différence des démocraties, plus vulnérables aux tentatives de pression. Pour Roseanne McManus, Trump a plus de succès dans les négociations avec ses alliés.

En juin, les pays de l'OTAN se sont jetés à ses pieds. Sous la pression du président américain, ils ont augmenté les dépenses de défense de 2 à 5% de leur PIB respectif. Le secrétaire général de l'OTAN, Mark Rutte, en a rajouté une couche avec un message privé: «Vous allez réaliser quelque chose qu'aucun président n'a pu faire au cours des dernières décennies». Trump l'a publié sur son réseau Truth Social.

Il reproduit maintenant la même stratégie avec les droits de douane. L'Union européenne et les différents Etats concernés ont tous imploré un accord, mais Trump se moque d'eux. «Ils me lèchent le cul», a-t-il déclaré au printemps devant la Maison Blanche..

Et la Suisse?

Que peut faire la Suisse? Aurait-elle pu éviter le «fiasco» des droits de douane de 39%, comme l'a évoqué le conseiller fédéral Guy Parmelin lors de la conférence de presse? Pour Michael Ambühl, ancien négociateur en chef et secrétaire d'Etat, la Suisse a fait ce qu'elle devait faire. Mais il se demande si le Conseil fédéral n'a pas attendu trop longtemps pour demander des explications à Trump. «Quelques heures avant l'expiration du délai, c'est trop tard.» 

Michael Ambühl, ancien secrétaire d'Etat et professeur à l'EPFZ affirme que la Suisse n'en a pas suffisamment tenu compte.
Photo: Daniel Winkler / ETH Zürich

Mais ce retard est peut-être dû à l'imprévisibilité de Trump. Selon une source proche du Conseil fédéral, les hommes de Trump ont déclaré ces derniers mois, lors de rencontres avec des représentants suisses, que toute interaction avec leur président était risquée. De manière générale, toute forme d'attention ou de visibilité. Peut-être que ces mises en garde faisaient, elles aussi, partie de sa stratégie?

«Paradoxalement, il faut tenir compte de l'imprévisibilité», affirme Michael Ambüh. Les négociations doivent être menées avec prudence et ténacité. Il faudrait faire comprendre aux Américains que la Suisse ne se laissera pas faire. «Elle ne devrait plus divulguer d'informations trop optimistes pour la suite des négociations», conseille-t-il. Roseanne McManus a un autre conseil pour la Suisse: proposer des concessions impressionnantes en apparence, mais avec un impact limité sur le pays. «Trump est souvent plus intéressé par la forme que le fond.»

Beaucoup de choses sont encore possibles. L'imprévisibilité de Trump a un avantage décisif: il peut changer d’avis, dans un sens comme dans l’autre. 

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