Condamnations de pure forme
Pourquoi les pays arabes laissent Trump et Netanyahu frapper l'Iran

Arabie saoudite, Qatar, Emirats arabes unis, Egypte: les principaux pays du monde arabo-musulman condamnent formellement les frappes contre l'Iran, mais laissent faire Israël et les Etats-Unis. Pourquoi un tel silence?
Publié: 22.06.2025 à 20:17 heures
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Dernière mise à jour: 22.06.2025 à 22:41 heures
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Le prince héritier saoudien Mohammed Bin Salman a accueilli récemment Donald Trump à Riyad, mais aussi la première ministre italienne Giorgia Meloni.
Photo: IMAGO/ABACAPRESS
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Richard WerlyJournaliste Blick

Leurs communiqués ressemblent à des testaments. Ce dimanche 22 juin, l’Arabie saoudite, comme le Qatar ou l’Egypte, a condamné les frappes américaines contre trois sites nucléaires iraniens. Dans chaque texte, les mots utilisés disent la gravité de cette attaque aérienne et les risques qu’elle fait courir au Moyen-Orient. Seulement voilà: l’isolement de l’Iran n’en reste pas moins total. Personne, dans la région, n’est prêt à prendre la défense de ce «pays frère» que la plupart des dirigeants arabes redoutent encore, et se réjouissent de voir mis à genoux.

Raison N° 1: La fracture religieuse

La plupart des grands pays musulmans sont sunnites. C’est le cas de l’Arabie saoudite, de l’Egypte ou de la Turquie. C’est aussi le cas des puissances du Golfe persique comme le Qatar ou les Emirats arabes unis. A l’inverse, l’Iran est très majoritairement chiite, tout comme son voisin irakien et ses alliés régionaux (Houthis du Yemen ou Hezbollah du sud Liban). Environ 20% des musulmans dans le monde sont chiites. Ils considèrent que l’imam Ali (600-661), cousin du prophète Mahomet et époux d’une de ses filles, est le successeur de ce dernier. Il fut le quatrième calife de l’Islam et mourut assassiné. Sa tombe se trouve dans un mausolée à Najaf, en Irak. On caractérise les relations entre les sunnites et les chiites comme une guerre sans fin, vieille d’un millénaire.

Raison N° 2: L’Iran est un rival

La République islamique d’Iran, issue de la révolution de 1979 et du renversement du Shah, s’est toujours voulue internationaliste. Plus grave pour les pays arabes: l’Iran a su résister, entre 1980 et 1988, aux assauts de l’Irak qui était alors aux mains du dictateur laïque (mais sunnite) Saddam Hussein, soutenu par l’Occident et les puissances de la région. Au fil des décennies suivantes, les ayatollahs au pouvoir à Téhéran ont ensuite utilisé l’arme du terrorisme, et leurs alliés régionaux, pour se hisser au rang de puissance régionale. Cette rivalité est accentuée par le fait qu’une grande partie des 90 millions d’Iraniens est bien mieux éduquée que la moyenne des populations arabes. Avec, comme arme économique, ses réserves de pétrole estimée à 210 milliards de barils, soit la troisième place mondiale.

Raison N° 3: Le danger nucléaire

Aucun pays de la région ne souhaite voir l’Iran se doter de l’arme nucléaire, ce qui permettrait au régime des ayatollahs de garantir sa survie. La question n’est pas tant la menace, réelle et existentielle, que Téhéran exercerait alors sur Israël, ce pays que plusieurs dirigeants iraniens successifs ont promis de rayer de la carte. Le risque serait de voir l’Iran, seul détenteur de la bombe atomique au Moyen-Orient avec l’Etat hébreu, déstabiliser la région entière. Il est en revanche difficile aux pays voisins de nier le droit de l’Iran à l’énergie nucléaire civil. Pour mémoire, l’Arabie saoudite a annoncé, lors de la visite à Riyad de Donald Trump en mai, un partenariat historique avec les Etats-Unis pour la construction de centrales dans le royaume.

Raison N° 4: La loi du dollar

Donald Trump est revenu de sa récente visite dans le Golfe Persique avec une brassée de contrats mirifiques, et avec un avion présidentiel donné par le Qatar. Logique. Face à l’Iran placé sous sanctions internationales depuis des décennies, les puissances arabes émergentes, comme l’Arabie saoudite, le Qatar ou les Emirats, jouent à fond la carte américaine. L’un des objectifs des pays de la région est ainsi d’accueillir de futurs serveurs géants pour les calculateurs indispensables à l’intelligence artificielle. Or cette loi du dollar est celle sur laquelle Trump compte pour les amener, demain, à normaliser leurs relations avec Israël. C’est la logique des fameux accords d’Abraham, que le président des Etats-Unis rêve de conclure. La guerre à Gaza, entre l’Etat hébreu et le Hamas soutenu par l’Iran, avec sa litanie de massacres, empêche pour l’heure d’y arriver.

Raison N° 5: La loi du plus fort

Les puissances arabes savent que l’armée israélienne est imbattable, et les frappes sur l’Iran viennent de démontrer que le soutien américain à Israël demeure total. Message reçu. La preuve: la cause palestinienne est en train de disparaître des radars, et l’hypothèse d’une solution à deux Etats – rejetée par Benjamin Netanyahu – devient un mirage. La loi du plus fort est celle qui prévaut en ce moment dans le Golfe persique. Deux exemples restent aussi dans toutes les têtes des dirigeants arabes: le sort réservé in fine à l’Irakien Saddam Hussein et au Libyen Mouammar Kadhafi. Dans les deux cas, le renversement de leur dictature a conduit au chaos. Mais ces deux leaders qui prétendaient incarner le monde arabe ont été éliminés par la force. La leçon a été retenue.

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