Chasser un dictateur à coups de bombes, sans engager de troupes au sol: cette illusion est souvent trompeuse. Et même si Israël dispose, face à l'Iran, d'une écrasante et incontestable supériorité militaire, rien ne dit que la République islamique va s'écrouler, comme le souhaite ouvertement Benjamin Netanyahu. Certes, tout peut s'accélérer en quelques jours, voire quelques heures. Si le Guide suprême de la révolution, l'ayatollah Ali Khamenei, 86 ans, trouvait la mort lors d'une frappe, le basculement deviendrait peut-être possible. Attention toutefois aux méprises…
L'Iran connait la guerre
La République islamique d'Iran n'est, de ce point de vue, pas du tout comparable à l'ex-dictature syrienne du clan Assad, tombée au début décembre 2024 devant l'offensive des islamistes descendus d'Idlib avec l'appui de la Turquie. Le régime iranien est en guerre depuis sa naissance, à l'issue de la révolution de janvier-février 1979. Un an et demi plus tard, en septembre 1980, l'Irak de Saddam Hussein lance son armée équipée par les Occidentaux à l'assaut du Chatt-el-Arab, la région marécageuse disputée entre les deux pays, qui donne accès au golfe Persique. Ce sera un échec cuisant pour le dictateur irakien. Les décennies qui ont suivi ont vu l'Iran armer la milice du Hezbollah au Liban sud, armer la Syrie, fomenter des attentats, et subir isolement et sanctions internationales. Sa capacité de résistance est donc éprouvée.
L'Iran fabrique des martyrs
Le martyr est une figure dominante du chiisme, le courant islamique majoritaire en Iran. L'écrire ne signifie pas, loin s'en faut, que tous les Iraniens sont prêts à mourir pour sauver le régime des ayatollahs. Le courage des manifestantes du mouvement «Femmes, vie, liberté» a prouvé au contraire la détermination de celles-ci et d'une très large partie de la jeunesse. Reste qu'au sein de l'armée et des gardiens de la révolution, véritables maitres du régime, le fait de mourir est érigé de longue date en fait glorieux. Quelques heures après la mort des généraux tués par les bombes israéliennes, leurs portraits sont dans la rue ou au-dessus des autoroutes, pour leur rendre hommage. «La guerre est une bénédiction, affirmait l'ayatollah Khamenei, fondateur du régime. La mort en martyr est un don de la part de Dieu, Tout-Puissant à ceux qui le méritent.»
L'Iran est un grand pays
Là aussi, la différence avec la Syrie (souvent citée en exemple à cause de la chute inattendue du régime Assad) est éloquente. L'Iran est un pays grand comme trois fois la France, et dont les régions désertiques ne représentent pas (comme en Irak ou en Syrie) l'essentiel du territoire. Les montagnes iraniennes offrent des refuges naturels qui, parfois, font penser à l'Afghanistan des talibans. Pour l'heure, la stratégie d'Israël est de concentrer ses frappes sur Téhéran, cœur névralgique du pays et du régime, et sur les sites connus d'enrichissement de l'uranium. Pas du tout sûr que cela suffise à désarmer la République islamique.
L'Iran est nationaliste
La grandeur de l'Empire perse d'hier n'est plus à établir. L'Iran moderne s'est forgé dans cette légende. Aussi opposée soit-elle au régime des ayatollahs, la diaspora iranienne reste profondément attachée à sa terre. Les Israéliens, d'ailleurs, connaissent bien cette réalité, vu le nombre d'officiers de Tsahal originaires d'Iran. Or cette dimension nationaliste peut toujours se retourner contre l'agresseur, surtout si celui-ci ne parvient pas à apporter la preuve de ses accusations. En clair: il est vrai que l'Iran menaçait Israël de destruction. Il est vrai aussi que le pays avait atteint le seuil d'enrichissement de l'uranium. Mais est-il vraiment en mesure de fabriquer une bombe? Plus la campagne de bombardements va durer, plus la République islamique va pouvoir compter sur ce patriotisme.
L'Iran est un Etat policier
La situation engendrée par les frappes israéliennes est aussi, pour le régime et ses «pasdarans», les gardiens de la révolution, un défi policier majeur. Comment contrôler la population, et en particulier la jeunesse iranienne, alors que les commandants en chefs et les dignitaires du régime sont obligés de rester dans leurs bunkers pour éviter d'être tués? A priori, la force policière du régime se retrouve donc diminuée. Reste les allégeances familiales, les moyens de pression comme le rationnement de l'alimentation, la surveillance mutuelle dans les quartiers, mais aussi la possibilité, en temps de guerre, de procéder à des exécutions sommaires. L'Etat policier iranien est replié sur lui-même. Il est asphyxié économiquement. Mais il demeure féroce pour sa population.