Jeudi, à Jérusalem. Devant le Mur des Lamentations, Benjamin Netanyahu, 75 ans, glisse un petit papier entre les pierres ancestrales. Une prière? Un vœu personnel? Non, un verset de la Torah: «Un peuple comme un lion qui se dresse / comme un fauve qui se lève.» Une citation à double sens, choisi avec soin. Une annonce en filigrane.
Quelques heures plus tard, l'armée israélienne lance l'opération baptisée «Rising Lion», en français «le lion qui se dresse»: 200 avions de combat effectuent en plusieurs vagues des attaques de haute précision contre des militaires de haut rang, des scientifiques, des installations nucléaires et militaires en Iran.
Dans la nuit, Benjamin Netanyahu s'adresse au monde par message vidéo: les «tyrans de Téhéran» sont sur le point de construire une bombe atomique, affirme-t-il. Après l'holocauste perpétré par le régime nazi il y a 80 ans, l'Etat hébreu n'est pas prêt à devenir la victime d'un holocauste nucléaire.
Le Premier ministre veut agir comme son grand modèle Winston Churchill (1874-1965) et empêcher l'anéantissement d'Israël par l'Iran – tout comme les Alliés ont autrefois mis à genoux l'Allemagne nazie. Mais en s’engageant sur ce chemin, il prend un risque colossal: un conflit sans limite qui, s’il échoue, pourrait lui coûter tout – jusqu’à sa propre survie politique.
Une obsession vieille de plusieurs décennies
Pourquoi maintenant? Pourquoi cet acte de rupture?
Depuis des décennies, Bibi – comme l’appellent les Israéliens – s’est fixé une mission: empêcher l’Iran de devenir une puissance nucléaire. Un combat qui le hante, comme il hantait déjà son père, historien sioniste convaincu que l’existence d’Israël n’était jamais acquise.
Au cours des 20 années que Benjamin Netanyahu a passées, avec des interruptions, dans le bureau du Premier ministre, son objectif a été de rendre Israël grand et puissant, raison pour laquelle il a toujours placé au centre de sa politique le fait que ce petit pays ne peut exister au Proche-Orient qu'avec une domination militaire. «Je veux que l'on se souvienne de moi comme du protecteur d'Israël», déclarait-il en 2016 dans une interview à CNN.
A plusieurs reprises, le Premier ministre, membre du parti conservateur de droite Likoud, a fait élaborer des plans pour une attaque contre le programme nucléaire iranien – contre les prétentions au pouvoir d'un régime chiite qui s'est fixé pour objectif l'anéantissement de l'Etat israélien et de ses alliés occidentaux, y compris les Etats-Unis. Mais Benjamin Netanyahu n'a jamais appuyé sur le bouton rouge. Tour à tour, ses hésitations ont été interprétées comme de la prudence ou de la procrastination.
L'attaque terroriste comme point de rupture
Puis vint le 7 octobre 2023 – et tout changea.
L'attaque terroriste menée ce jour-là par les islamistes du Hamas a frappé Israël en plein cœur. La crédibilité de Benjamin Netanyahu en tant que «Monsieur Sécurité» s'est effondrée. Seul le déclenchement de la guerre à Gaza lui a permis de conserver le pouvoir, en mettant de côté – pour un temps – les accusations de négligence qui pèsent sur son gouvernement.
Parallèlement, le conflit a peu à peu modifié le rapport de force au Proche-Orient en faveur d'Israël. Le Hamas n'est plus une véritable menace, le Hezbollah au Liban est affaibli de manière décisive par les frappes aériennes et les attentats ciblés contre ses dirigeants. Et Israël a profité de la chute du régime Assad pour détruire les principales installations militaires en Syrie.
L'«axe de la résistance» mené par l'Iran est donc déjà brisé et la République islamique n'a jamais été aussi faible. Les conditions d'une attaque militaire directe contre l'Iran se sont nettement améliorées.
Un obstacle important qui, du point de vue du chef du gouvernement de Jérusalem, bloque la voie à une victoire complète est l'intérêt de Donald Trump à obtenir malgré tout un accord sur le nucléaire avec les mollahs. Benjamin Netanyahu a toujours refusé un accord avec l'Iran, les compromis avec le régime des mollahs n'ont jamais été une option pour lui, qui estime qu'il n'y a que deux voies possibles: soit Téhéran renonce volontairement à son programme nucléaire complet… soit Israël y veillera militairement.
Benjamin Netanyahu a toujours préféré la deuxième option; bien que le programme nucléaire iranien ne puisse pas être simplement bombardé par Israël, mais au mieux retardé. Et aujourd'hui, avec Donald Trump à la Maison Blanche, il peut profiter d'un allié qui laisse faire.
Faire tomber le régime iranien
La question de l’arme atomique n’est pourtant qu’un aspect du problème. Car le Premier ministre ne cache plus son objectif réel: renverser le régime islamique en Iran. Le dernier discours qu'il a prononcé à l'occasion du bombardement de l'Iran ne laisse aucun doute sur cette intention. Le Premier ministre s'adresse directement au «fier peuple iranien»: l'opération doit également «ouvrir la voie à la conquête de votre liberté». Le temps est venu pour le peuple iranien de se rassembler autour de son drapeau et de son héritage historique en se levant pour se libérer de ce «régime maléfique et oppressif».
Un renversement dans la théocratie chiite signifierait la fin de la Révolution islamique. Ce n'est donc pas un hasard si Netanyahu a baptisé son opération militaire «le lion qui monte». Jusqu'à la prise de pouvoir des mollahs en 1979, le drapeau iranien arborait un lion tenant une épée, symbole du règne du shah et de la puissance divine.
En politique intérieure, il est sous pression
Protection d'Israël, libération du peuple iranien… tout cela semble philanthropique et tout à fait désintéressé. Mais derrière ce discours, se cache une autre réalité, plus terre à terre. Benjamin Netanyahu joue aussi sa propre survie.
Le Premier ministre est dans les cordes, son gouvernement, en partie d'extrême droite, est menacé de disparition. Netanyahu lui-même est jugé depuis 2020 pour fraude, détournement de fonds et corruption. Et les protestations massives contre sa réforme judiciaire, par laquelle il voulait affaiblir les tribunaux, n'ont été stoppées que par la guerre en 2023.
L'escalade actuelle permet notamment de détourner l'attention des critiques internationales sans précédent qui s'abattent sur Israël en raison de la poursuite de la guerre à Gaza. Les Nations unies et plusieurs ONG accusent Israël d’utiliser la famine comme arme et de chercher à vider l’enclave palestinienne. Ces voix se font plus discrètes depuis que les regards se tournent vers Téhéran.
Il en va de même pour la revendication d'un véritable Etat palestinien, que Netanyahu a toujours rejeté. Une conférence aurait dû débuter mardi à l'initiative de la France et de l'Arabie saoudite afin de faire avancer la question d'une solution à deux Etats. La réunion de New York a été annulée jusqu'à nouvel ordre.
Avec cette nouvelle guerre, Netanyahu retrouve un rôle qu’il affectionne: celui du protecteur intraitable, du «Monsieur Sécurité». Et il semble, pour l’instant, regagner le soutien de l’opinion israélienne. Mais tout repose sur un fil. En cas d’échec, sa carrière pourrait se terminer brutalement. En lançant l’offensive contre l’Iran, «Bibi» engage peut-être le dernier combat de sa vie politique – un pari à quitte ou double.