Monsieur Guldimann, Israël a bombardé les installations nucléaires iraniennes, tuant au passage des militaires de haut rang. Maintenant, l'Iran tire des dizaines de missiles sur Tel Aviv et les attaques des deux côtés se poursuivent. Assistons-nous au début d'une nouvelle guerre au Proche-Orient?
Tim Guldimann: Oui, sans l'ombre d'un doute. La question est désormais de savoir si ce conflit va s'intensifier et s'étendre à un territoire plus vaste. Mais je pense que ce risque est très limité.
L'Iran pourrait activer ses milices, l'«axe de la résistance».
Toutes ces milices – le Hezbollah, le Hamas, les Houthis et bien d'autres – sont déjà très affaiblies sur le plan militaire. Et je ne vois pas d'autres alliés de l'Iran qui pourraient être entraînés dans cette guerre.
Cela signifie que les mollahs sont désormais à la merci d'Israël?
Pas exactement. Les mollahs peuvent attaquer Tel Aviv avec des missiles. Mais ils ne peuvent pas déclencher une riposte massive qui mettrait sérieusement Israël en danger.
Israël veut renverser le régime des mollahs. Netanyahu a déclaré dans un discours adressé au peuple iranien: «Nous vous ouvrons la voie vers la liberté». Le régime risque-t-il de s'effondrer?
Je ne pense pas, non. Il a clairement perdu le soutien d'une grande partie de la population au cours des dernières années, mais le régime peut encore compter sur de nombreux gardiens.
La situation deviendra réellement difficile pour les mollahs à la mort de leur souverain religieux, l'ayatollah Ali Khamenei, car il n'a jamais assuré sa succession.
Ouvrons le regard sur l'ensemble de la région. Que signifient les bombardements actuels pour le Proche-Orient?
Nous avons tendance à l'oublier mais dans la situation actuelle, avec les actes Israël, c'est tout l'Occident qui est en train de perdre sa crédibilité. L'Etat hébreux parle de la guerre qui doit mettre fin à toutes les guerres, mais on sait tous que cela n'arrivera pas. La région ne fera que devenir encore plus instable et des régimes comme la Chine et la Russie attendent le bon moment pour sortir de leur tanière.
Aux yeux du Sud mondial, l'Occident foule aux pieds l'ordre fondé sur des lois qu'il ne respecte plus mais qu'il continue pourtant de promouvoir pour les autres. Il «délégitime» ses propres principes, car ce que fait Israël depuis des mois est contraire au droit international.
Israël parle d'une attaque préventive dans le but d'éliminer une menace existentielle, sous-entendant que l'Iran serait sur le point de mettre en place un programme nucléaire opérationnel.
Pour qu'une attaque soit légitimée par le droit international, il faut qu'il y ait une menace immédiate. Plusieurs questions se posent: l'Iran construit-il une bombe nucléaire? Souhaite-t-il développer la capacité de construire une bombe atomique? Je suis convaincu que la deuxième hypothèse est la bonne. L'Iran veut pouvoir intimider l'adversaire, mais pas la bombe.
L'Iran avait toutefois violé l'accord sur le nucléaire, que Donald Trump a dénoncé en 2018. Le régime se livre à des activités qui n'ont aucun sens pour un programme nucléaire civil. Et l'Iran ne révèle pas ces activités, ce qui constitue une violation du droit international.
Oui, mais ce n'est pas un motif légitime pour une attaque préventive, comme le justifie désormais l'armée israélienne.
Si l'on suit votre raisonnement, la Suisse devrait-elle alors condamner clairement l'attaque israélienne?
Elle doit prendre clairement position. Si le Conseil fédéral arrive à la conclusion que l'attaque viole le droit international, alors il doit le dire. Mais déclarer simplement que l'on est pour une solution pacifique du conflit, c'est banal. Cela fait 50 ans que nous le faisons, et ça ne sert à rien.
Mais une prise de position claire pourrait mettre en péril le rôle de médiateur. L'ambassade suisse à Téhéran représente aussi les intérêts américains face à l'Iran et vice versa.
Au Proche-Orient, la Suisse agit comme un facteur. Si une lettre arrive, elle est transmise. Si aucune ne vient, rien n'est transmis. Ces bons offices ne sont pas menacés. Ce qui est en jeu, c'est le droit international. La Suisse, en tant qu'Etat, devrait s'intéresser de près au maintien de l'ordre international et s'en porter garante. C'est pourquoi une prise de position claire du Conseil fédéral est nécessaire.