«If Britney survived 2007, you can handle today.» La blague est devenue leitmotiv, le leitmotiv un mème. «Si Britney a survécu à 2007, tu peux surmonter cette journée», dit-elle en substance sur des mugs et des t-shirts, entrés dans la pop culture et désormais utilisés comme des accessoires dans les films et les séries.
Britney Spears, la popstar ultime, adulée à la fin des années 1990 et jusqu’au milieu des années 2000, est devenue un symbole de résilience après son pétage de plombs, option rasage de crâne, montré sur toutes les télévisions du monde. Celle qui a été placée sous tutelle pendant plus d’une décennie après avoir enchaîné les épisodes dépressifs, avant de reprendre le contrôle de son histoire, semblait revenue de tout.
S’enrichir sur son dos
C’était sans compter son ex-époux, Kevin Federline, qui s’apprête à publier ses mémoires mardi prochain. L’ancien danseur, marié à la chanteuse entre 2004 et 2007, y raconte notamment que leurs deux fils, Sean Preston et Jayden James, ont été traumatisés par les comportements borderline de leur mère pendant leur adolescence.
Surtout, il remet en cause son état de santé mentale actuel, qui fait régulièrement l’objet de commentaires de la part des fans et de la presse, même depuis la levée de sa tutelle en 2021. Des accusations graves qui font les choux gras des médias people, et suscitent des interrogations.
Et si, comme tant d’autres avant lui, à commencer par ses parents et l’industrie de la musique entière, Kevin Federline continuait d’assigner Britney Spears au rôle qui lui a été dévolu pendant plus de vingt ans: celui d’une machine à cash, tout juste bonne à rapporter de l’argent? Et si cette confession était un nouveau moyen de s’enrichir sur le dos d’une femme, désormais quadragénaire, qui n’aura connu, pendant l’essentiel de sa vie, que diverses formes d’exploitation?
Poule aux œufs d’or dès 8 ans
C’est en tout cas ce que les fans et la chanteuse elle-même soupçonnent. Dans un post publié sur Instagram, cette dernière le formule frontalement: «Faites-moi confiance, les petits mensonges de ce livre vont directement à la banque et je suis la seule à être blessée dans cette opération […] J’en parle parce que j’en ai ras le bol.»
Ras-le-bol d’être, comme le résume Loïc Dumoulin-Richet, créateur du podcast CD2Titres, auprès de BFM, «le reflet de son époque et son environnement», tous deux sexistes et cupides. Une époque, le tournant des années 2000, qui a aimé starifier une adolescente et l’observer sous toutes les coutures. Un environnement, celui de la musique, qui y a vu un moyen de battre tous les records.
Poule aux œufs d’or, Britney Spears l’a été très jeune. Elle n’a que 8 ans lorsque sa mère, Lynne, ancienne institutrice, la sort de Louisiane pour courir son premier casting à Atlanta. La petite aime danser, est bonne en gymnastique, prend des cours de chant. Pour elle, ce sera donc le Mickey Mouse Club, programme ultra-populaire de Disney Channel qui mêle musique et animation en direct.
Las, Britney Spears échoue: elle est trop jeune. Qu’à cela ne tienne, Lynne croit toujours en la bonne étoile de sa fille, qu’elle envoie à New York tous les étés pour travailler dur et se perfectionner. Trois ans plus tard, elle récolte les fruits de ses efforts et se retrouve sur le plateau de l’émission aux côtés de Christina Aguilera, Ryan Gosling ou encore un certain Justin Timberlake.
Elle a tout sacrifié
Mais c’est surtout l’enregistrement de son premier album qui propulse Britney Spears dans une autre dimension. L’adolescente n’a que 16 ans lorsque sort «… Baby One More Time», qu’elle a promu avant la sortie en dansant dans des centres commerciaux à travers tous les États-Unis. Avec dix millions d’exemplaires vendus dans le monde en un an, c’est un succès phénoménal.
Et ce n’est que le premier: de 1998 à 2003, Britney Spears engrange 73 millions de dollars rien qu’avec les ventes de ses quatre premiers disques. Tout ceci a un prix: la petite fille a grandi si vite qu’elle est devenue femme sous les feux des projecteurs. Comme le résume Loïc Dumoulin-Richet, «ses parents sont des gros losers qui ont vu que leur fille avait du potentiel et se sont mis en tête d’en faire une star». Et la princesse de la pop «a tout sacrifié: son enfance, son adolescence, ses premiers émois».
La princesse de la presse à scandales
Ces fameux émois font vivre les paparazzi et la presse people, à une époque où celle-ci n’a aucune limite. Partout, on pourchasse la jeune femme, qui se met en couple en 1999 avec son ancien partenaire sur Disney Channel, Justin Timberlake. Ils sont jeunes, beaux, ultra-populaires… et ultra-scrutés.
En 2003, alors qu’elle n’a que 21 ans, Britney Spears essuie les questions de la célèbre intervieweuse Diane Sawyer sur la chaîne ABC. Cette dernière lui montre des photos d’elle dénudée en couverture de magazines pour lui demander ce qu’elle a fait de ses vêtements et si elle ne donne pas le mauvais exemple aux jeunes Américaines. Avant de la cuisiner sur sa relation avec Justin Timberlake, rompue l’année précédente.
Très frontalement, l’animatrice l’interroge sur son infidélité supposée. Exactement vingt ans plus tard, dans son autobiographie «La Femme en moi», Britney Spears racontera avoir été trompée à de multiples reprises par son conjoint de l’époque. Qui, lui, n’a jamais été humilié de la sorte en interview. «Lui, c’était le Don Juan. Elle, l’oie blanche censée se préserver pour le mariage», analyse Loïc Dumoulin-Richet.
Avec le recul, cet entretien, qui a refait surface grâce au documentaire «Framing Britney Spears» sorti en 2021, apparaît typique du traitement extrêmement sexiste réservé aux célébrités féminines à l’aube du XXIe siècle. «Britney, c’est de l’or. Sa vie est un véritable désastre et je remercie Dieu pour ça chaque jour», se gargarise le fondateur du site people TMZ, Harvey Levin, cité par le «New York Times».
Des mémoires qui tombent à pic
Il est commun de dire qu’en la matière, du chemin a été parcouru en vingt ans. Pourtant, il suffit de se plonger dans les extraits des futures mémoires de Kevin Federline pour relativiser cette progression. L’ancien danseur accuse son ancienne compagne de l’avoir trompé à plusieurs reprises, y compris avec une danseuse de la tournée «In The Zone» en 2004. Elle se serait excusée, ils ont repris leur relation – qui a débouché sur un mariage, puis un divorce tonitruant trois ans et deux enfants plus tard – et il devient difficile de saisir l’intérêt de cette révélation.
Pour les avocats de Britney Spears, celle-ci ne fait aucun doute: Kevin Federline fait bien cela pour l’argent. Entre 2007 et 2008, la garde des deux garçons a été au cœur d’une intense bataille juridique que la chanteuse finit par perdre. Un accord est alors trouvé: elle doit verser une pension alimentaire de 20’000 dollars mensuels à son ex-conjoint jusqu’à la majorité de Sean Preston et Jayden James.
Un versement conséquent qui vient de s’arrêter, le cadet ayant désormais 19 ans. «Encore une fois, lui et d’autres tentent de profiter d’elle», assènent les représentants de Britney Spears auprès de «People». «Et malheureusement, cela intervient après l’arrêt de la pension alimentaire.»
Une tutelle très lucrative
Les «autres», ce sont les plus proches de Britney Spears, à commencer par son père, James, qui devient son tuteur en 2008. Internée plusieurs fois dans des hôpitaux psychiatriques, diagnostiquée bipolaire, la jeune femme est alors dépossédée de quasiment toute son agentivité.
Obligation de porter un stérilet, impossibilité de choisir elle-même son avocat, permission à demander pour conduire une simple voiture de golf… l’intégralité de son existence est gérée par ce géniteur tout-puissant qui installe même des caméras de surveillance dans sa chambre.
Trop malade pour décider quoi que ce soit, Britney Spears ne l’est pas assez pour arrêter de travailler, bien au contraire. À cette époque, elle sort son album «Circus» et met sur pied une tournée infernale, devient jurée de l’émission «X-Factor» et apparaît dans des séries comme «How I met your mother» ou «Glee».
La chanteuse perd le contrôle de tout, mais surtout celui d’une fortune qui, elle, ne cesse de croître. D’autres en profitent. Dans le documentaire «Britney vs. Spears», disponible sur Netflix, et qui retrace ces années noires, on apprend que l’avocat chargé de plaider le maintien de cette tutelle empochait trois millions de dollars par an. Et que James Spears considère, lui, qu’il s’agit d’un «modèle d’entreprise hybride». Dans son autobiographie, Britney Spears accable cet ancien ouvrier dans le bâtiment, «alcoolique qui a fait faillite». «Il n’y a que l’argent qui compte pour lui.»
Exploitée jusqu’au bout
Levée en 2021 après une bataille juridique ultra-médiatisée, la tutelle reste l’exemple ultime d’exploitation dont Britney Spears a pu être victime. On a pu alors croire à la libération tardive d’une enfant façonnée par une famille puis une industrie, et surtout par les hommes qui les gouvernent. «Mon père a adoré le contrôle qu’il avait sur quelqu’un d’aussi puissant que moi», avait d’ailleurs déclaré la chanteuse lors de l’audience finale. «Je suis traumatisée, malheureuse et en colère. Je veux retrouver ma vie.»
Force est de constater que ce n’est pas le cas, et pas seulement du fait d’un ex-mari aux velléités littéraires douteuses qui, sous couvert d’inquiétude pour sa santé mentale, pond 228 pages de voyeurisme. Il y a deux ans, alors qu’elle poste une vidéo d’elle en train de danser dans sa cuisine avec des couteaux, Britney Spears voit la police débarquer à son domicile. Les agents ont été appelés par des internautes inquiets.
Selon «Forbes», sa fortune est estimée à 60 millions de dollars, loin, bien loin de ce qu’elle aurait pu être au vu d’une carrière juteuse commencée très jeune. La chanteuse l’a également répété sur Instagram jeudi: elle ne voit quasiment plus ses deux enfants, «qui ont grandi en voyant le manque de respect de leur père à [s] on égard». Si le mouvement #MeToo et l’autocritique des médias sur leur traitement de la pop culture et des femmes qui l’ont fait vivre pendant des années participent aujourd’hui d’une indéniable réhabilitation, le cas Britney Spears pousse aussi à reconnaître que cela ne suffit pas.
Et que la princesse de la pop reste, en 2025, comme elle le chantait dans «Piece of me» il y a huit ans, cette figure dont tout le monde voudrait arracher un morceau.