Alaska J-1
Trump se croit plus fort que Poutine, et il n'a pas tort

Le président russe est un expert en manipulation, tout droit sorti des services secrets soviétiques. Mais dans le rapport de force, Donald Trump a de bien meilleures cartes. En plus, il a tout à gagner s'il fait plier son interlocuteur.
Publié: 11:26 heures
Partager
Écouter
1/5
Le dernier accord de paix parrainé par Donald Trump est celui signé entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie le 8 août.
Photo: imago/MediaPunch
Blick_Richard_Werly.png
Richard WerlyJournaliste Blick

Deux présidents aux profils et aux stratégies opposées. Lorsqu’ils se rencontreront vendredi 15 août sur la base militaire américaine Elmendorf-Richardson à Anchorage, en Alaska, Donald Trump et Vladimir Poutine entameront leur rencontre de façon complètement différente. Le premier vise un sprint, pour arracher en quelques heures un cessez-le-feu en Ukraine à son interlocuteur. Le second entend poursuivre son marathon féroce pour que son armée poursuive son avancée actuelle sur le front ukrainien, au prix de terribles pertes humaines.

Lequel peut l’emporter? Compte tenu du caractère versatile de Trump et de son admiration (avouée) pour les dirigeants autoritaires, la plupart des observateurs donnent Poutine gagnant. Son art de la manipulation hérité de ses années au KGB plaide pour cette thèse. Sauf que Trump est un bien plus redoutable négociateur qu’on ne le croit. Et pas seulement parce qu’il le dit (ce qu’il ne se prive jamais de faire).

La force et la puissance

La meilleure arme de Trump est qu’il est à la tête de la première puissance mondiale. Première puissance économique. Première puissance financière et monétaire. Première puissance militaire. C’est pour rappeler ce fait incontestable que le locataire de la Maison-Blanche a annoncé récemment l’envoi de deux sous-marins nucléaires se positionner près de la Russie, à la suite des attaques verbales de l’ancien président russe Medvedev. Quels sous-marins? Où? Avec quels ordres de mission? Rien n’a filtré. Peut-être était-ce du bluff. Mais il s’agissait de passer un message à Moscou et à l’opinion.

Contenu tiers
Pour afficher les contenus de prestataires tiers (Twitter, Instagram), vous devez autoriser tous les cookies et le partage de données avec ces prestataires externes.

Seconde carte maîtresse pour le Président des Etats-Unis: il n’a plus rien à perdre politiquement. Il ne peut pas se représenter en novembre 2028. Il a déjà réussi l’impossible en se faisant réélire une seconde fois. Et même si son Parti républicain devait perdre la bataille des élections législatives de mi-mandat en novembre 2026, il conservera sa base électorale MAGA (Make America Great Again).

Il s’est en plus déjà ménagé une porte de sortie en cas d’échec de la rencontre: cette guerre en Ukraine qu’il veut arrêter n’est pas la sienne mais «celle de Biden», son prédécesseur. Lui s’efforce d’arrêter ce grand gâchis humain qui «n’aurait jamais eu lieu» s’il avait été au pouvoir le 24 février 2022, date de l’assaut russe contre l’Ukraine.

Pressions dans le clan Poutine

L’art de la négociation consiste aussi à faire en sorte que son interlocuteur soit sous pression de son propre entourage pour accepter un «deal». C’est l’autre force de Trump qui, en faisant miroiter des contrats avec la Russie, une levée des sanctions et une réhabilitation de Poutine et de son clan, oblige ce dernier à réfléchir en termes de calendrier. Pourquoi pas une pause, qui permettrait à son pays et à ses oligarques de souffler un peu?

La force de Trump est, ne l’oublions pas, de chercher un «deal» à court terme. C’est là qu’est le danger pour l’Ukraine. Pour le président américain en revanche, l’horizon d’une accalmie sur six mois ou un an convient très bien. Aux Européens, dans l’intervalle, d’armer l’Ukraine, de garantir sa sécurité, d’accélérer son intégration dans l’Union et de payer les factures des armes (made in USA) et de la reconstruction.

Dernière carte de Trump face à Poutine: l’arrogance du président russe. Trump a un ego surdimensionné. Il veut le prix Nobel de la Paix. Il adore qu’on le flatte. Il a, peut-être, des vulnérabilités liées à ses liens passés avec la Russie que le FSB (l’ex-KGB) a les moyens d’exploiter. Tout cela est vrai. Mais Vladimir Poutine est aussi vulnérable.

Propagande et peur

Il ne tient que par la force et par la propagande nationaliste effrénée. Il fait peur. Il veut dominer alors que son pays a un produit intérieur brut (PIB) de la taille de l’Espagne. Or cette arrogance dissimule des failles. Le pétrole russe est hors-la-loi. La Chine a besoin d’un accord commercial rapide avec les Etats-Unis (un nouveau délai de 90 jours vient d’être concédé par Washington). Les sanctions pourraient encore plus l’étrangler. Et son armée serait en très mauvaise passe si les Ukrainiens reçoivent enfin les missiles et équipements qu’ils demandent. Trump osera-t-il faire cet inventaire?

Vient enfin l’argument psychologique. Poutine a une vision impériale (l’Ukraine doit plier) et aime la stabilité. Trump a toujours gagné après avoir été sous-estimé. Personne ne croyait à ses projets immobiliers à New York. Idem pour sa conquête de la présidence des Etats-Unis. Il sent les opportunités. Il n’a aucun état d’âme. Il n’a fait aucune promesse à l’Ukraine, sauf celle faite hier à Zelensky, de se concentrer sur l’obtention d’un cessez-le-feu, et de ne pas entamer de discussion sur des échanges de territoires.

Le souvenir de 2018

Trump n’a qu’un projet: Trump. Il sait que le 16 juillet 2018 à Helsinki (Finlande), sa rencontre avec Poutine avait largement été considérée comme une défaite face au président russe, qu’il avait cajolé en conférence de presse, jugeant ses dires plus crédibles que les affirmations de ses propres services de renseignement.

Il a donc une revanche à prendre. Avec un objectif unique: faire taire les canons jusqu’à leur prochaine rencontre en Russie. C’est jouable.

Partager
Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la
Articles les plus lus
    Articles les plus lus