Un couple d'experts dévoile ses clés
Pourquoi est-il si difficile de rester amoureux lorsqu'on est parent?

Ils comptent parmi les experts en parentalité les plus réputés de Suisse et forment un couple dans la vie privée. Aujourd'hui, Patricia Lannen et Oskar Jenni publient ensemble un livre de 101 questions pour les couples de parents.
Publié: 15:12 heures
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Patricia Lannen et Oskar Jenni dans le foyer de l'hôpital pour enfants de Zurich, lieu de travail de Jenni.
Photo: Philippe Rossier
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Sandra Casalini

Les premières réflexions sur ce livre ont émergé autour d’une table de restaurant. «En discutant pendant le repas, nous nous sommes rendu compte que malgré la multitude de jeux de questions pour couples aucun ne s’adressait spécifiquement au couple de parents. Nous avons commencé à noter des questions pertinentes sur la carte du menu et nous nous sommes fait apporter une deuxième carte lorsque la première était pleine. Nous avons gardé ces cartes», raconte Patricia Lannen, psychologue du développement et directrice de l’Institut Marie Meierhofer pour l’enfant.

Le contexte des restaurants est révélateur, estime Oskar Jenni, directeur du service de pédiatrie du développement de l’hôpital pédiatrique de Zurich, qu’il a repris en 2005 après Remo Largo, sans doute le plus célèbre spécialiste suisse de l’enfance. «Nous avons remarqué que de nombreux couples ne se parlaient pas au restaurant. Je me suis souvent dit que nous devrions pouvoir les aider d’une manière ou d’une autre à rétablir l’échange», explique Oskar Jenni. C’est ainsi qu’est né le livre «Parler ensemble: 101 questions pour des parents épanouis et des enfants heureux.»

Pourquoi est-il si difficile de rester un couple amoureux en tant que parents?
Patricia Lannen:
Avec les enfants, on est beaucoup plus préoccupés par le quotidien, ce qui implique que l’on a moins de conversations profondes et que l’on se témoigne moins d’affection. La communication change. Des études ont montré que la qualité des relations dans les couples avec enfants se détériore avec le temps.

Au début du livre, vous posez la question suivante: qu’est-ce qu’une relation amoureuse pour moi? Comment y répondez-vous personnellement?
Oskar Jenny: Pour moi, c’est la relation avec une personne auprès de laquelle je me sens en sécurité.

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Une relation de couple, ça se travaille, surtout quand on est parent
Oskar Jenny
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PL: Cet espace, on ne le partage qu’à deux, et il y règne une confiance inconditionnelle. Mon partenaire est mon premier interlocuteur. Pour moi, une relation implique aussi de s’efforcer constamment d’adopter le point de vue de l’autre afin de le comprendre.
OJ: Une relation de couple, ça se travaille, surtout quand on est parent, et c’est épuisant.
PL: Il faut réussir à se ménager des moments au quotidien pour ses propres besoins, mais aussi pour ceux du couple. Car si ces derniers ne sont pas satisfaits, nous ne pouvons pas non plus répondre aux besoins des enfants. Seuls ceux qui fonctionnent en tant que couple peuvent également fonctionner en tant que parents.

En tant que famille recomposée, vous avez six enfants au total. N’est-il pas parfois pénible pour eux que vous soyez des professionnels de l’éducation?
OJ: (rires.) Au quotidien, nous sommes des parents normaux qui font des erreurs. Ce n’est pas parce que nous connaissons de nombreuses études que nous sommes parfaits.

On vous compare souvent à votre prédécesseur Remo Largo, Monsieur Jenni. Cette comparaison vous dérange-t-elle?
OJ: Non, cela ne me dérange pas. Remo Largo a été mon mentor. J’ai assimilé son approche et je continue à la développer pour les enfants et les parents de la génération actuelle.

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Les opinions différentes sont un champ d’apprentissage important pour les enfants, qui les rend flexibles et résilients
Oskar Jenny
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Les études montrent que l’éducation des enfants est l’un des points de discorde les plus fréquents entre les couples parentaux. Ne faudrait-il pas régler ces questions dès le départ de manière à ce qu’il n’y ait plus de discussion?
OJ:
Il faut quelques règles fondamentales de vie commune. Mais la manière dont on gère certaines situations au quotidien peut et doit aussi donner lieu à des discussions. C’est un mythe de croire que les parents doivent être d’accord. Les enfants peuvent accepter que papa et maman aient des opinions différentes. L’important est que le couple en parle et trouve des moyens de gérer la situation. Les opinions différentes sont un champ d’apprentissage important pour les enfants, qui les rend flexibles et résilients.
PL: De plus, les enfants sont différents, n’ont pas les mêmes besoins et doivent donc être traités différemment. La compétence parentale consiste également à s’adapter à chaque enfant et à ne pas simplement fixer des règles strictes pour tout.

Un autre sujet de discussion fréquent après l’arrivée des enfants concerne la sexualité. Pourquoi ce sujet est-il si controversé?
PL:
Parce que, comme pour toute une bonne communication, la règle est la même ici: il faut avoir du temps et de l’espace pour cela. Or, le quotidien nous accapare souvent ce temps précieux. Si l’on ne prend pas ce temps – que nous appelons dans notre livre «l’intimité partagée» –, une distance peut s’installer.

Peut-on se disputer devant les enfants?
OJ: Cela arrive automatiquement. L’important est de régler la dispute, afin que les enfants découvrent que les conflits existent aussi dans les relations amoureuses, mais que l’on trouve des moyens de les résoudre.

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Même notre livre ne serait d’aucune utilité pour eux
Patricia Lannen
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Y a-t-il malgré tout des questions dans l’éducation des enfants pour lesquelles vous pensez qu’il est essentiel d’être d’accord?
OJ:
Si l’on n’est pas d’accord sur toute la ligne, cela devient difficile.
PL: Je répondrais à cette question du point de vue de l’enfant. Pour un enfant, il est important que ses besoins fondamentaux soient couverts de manière fiable: amour, sécurité, structure, limites et un entourage bienveillant. Cela devrait être clair entre les parents.
OJ: Lors de mes consultations, je vois régulièrement des parents qui ne sont pas d’accord sur des questions fondamentales. Il faut alors une médiation ou une thérapie. Même notre livre ne serait d’aucune utilité pour eux.

Quelles sont vos différences?
PL: En ce qui concerne la relation et les enfants, nous nous ressemblons beaucoup. En tant que personne, Oskar est un peu plus terre à terre et plus calme que moi.
OJ: Je pense que c’est effectivement dû au fait d’être parent. J’ai beaucoup appris au cours des 26 dernières années, par exemple à supporter les choses, à réguler mes émotions, à adapter mes attentes.

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Pourtant, avoir des enfants est peut-être l’une des dernières véritables aventures que l’on puisse encore vivre
Oskar Jenny
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Pour reprendre une de vos propres questions: qu’est-ce qui est le plus beau dans le fait d’être parent?
PL:
Voir mes enfants se développer dans leur propre personnalité – et évoluer avec eux.
OJ: Il n’y a pas de meilleur terrain d’apprentissage pour nous, les adultes. Les enfants rendent la vie incroyablement riche. C’était un plaidoyer pour la parentalité.

A votre avis, comment expliquer le fait que, selon les sondages, de nombreux jeunes en Suisse ne veulent pas d’enfants?
OJ:
Actuellement, il y a une forte tendance à l’individualisme, nous sommes une société dans laquelle chacun doit être unique et se réaliser. La parentalité n’y a pas sa place. Notre monde est devenu extrêmement complexe et rapide – se charger de la responsabilité d’autres personnes peut être trop exigeant. Pourtant, avoir des enfants est peut-être l’une des dernières véritables aventures que l’on puisse encore vivre.

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