Un boom qui asphyxie le marché
La Suisse croule sous les logements d'affaires et la prostitution en profite

A Zurich, le nombre d'appartements d’affaires explose, ce qui accentue la pénurie de logements. Très prisés des voyageurs fortunés, ils servent aussi de lieux discrets pour la prostitution, une dérive qui inquiète spécialistes et autorités.
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Claudia Nova, une prostituée de 58 ans, travaille dans un hôtel self-check-in de Bâle.
Photo: Screenshot SRF
Patrik Berger

Les appartements d’affaires ont le vent en poupe dans l’immobilier. Les investisseurs y voient une source de profits rapides. Les entreprises proposant des logements meublés, même pour de courtes durées, se multiplient. Ces offres ciblent une clientèle d’hommes d’affaires pour qui le prix importe peu, ainsi que des touristes aisés séjournant plus longtemps – d’où des loyers élevés. Les habitants, eux, s’y opposent, estimant que ces logements accentuent la pénurie déjà aiguë.

La situation est particulièrement tendue à Zurich, comme le montrent de nouveaux chiffres. La plus grande ville du pays compte 5320 appartements d’affaires, principalement situés dans le centre, où les logements sont déjà rares et chers. Dans le quartier de la Langstrasse, 8,4% des logements sont des business flats, selon un communiqué. L’arrondissement 1 ainsi que les quartiers de Werd et Hard affichent également des taux élevés. Plus récemment, l’offre s’est développée à Oerlikon, où la part atteint 2,8%, contre seulement 0,8% en 2020.

«Mes clients apprécient la sphère privée»

Le commerce du sexe s’étend lui aussi dans les appartements d’affaires. De plus en plus de travailleuses du sexe déplacent leur activité vers de grands appart-hôtels, comme l’a révélé l’émission Rundschau de la SRF. Les clients y trouvent discrétion et anonymat.

La prostituée transmet au client le code d’accès par SMS. A l’intérieur, il se présente à une réception sans devoir s’identifier. «Ici, je suis plus indépendante», explique Claudia Nova, une travailleuse du sexe de 58 ans active dans un hôtel en self-check-in à Bâle. «Mes clients apprécient la sphère privée.» Une autre prostituée évoque toutefois des expériences difficiles, notamment la présence de proxénètes exigeant de l’argent à l’entrée.

Pour Stephan Fuchs, spécialiste du milieu et codirecteur de Victras, cette évolution présente des risques. Il alerte sur le fait que de nombreuses femmes ne travaillent pas de leur plein gré: «Souvent, un proxénète se trouve dans les environs. C’est, en réalité, la prostitution de rue traditionnelle qui s’est déplacée dans les hôtels», explique-t-il. 

Les auteurs profitent de l’anonymat: «C’est comme un cirque ambulant.» Des groupes composés de proxénètes et de femmes changent régulièrement d’adresse pour rester discrets, ne demeurant jamais plus de deux semaines au même endroit.

Des «cas isolés»

Dans le reportage de Rundschau, le nom de Visionapartments revient fréquemment. L’entreprise, propriété de l’entrepreneuse Anja Graf, gère 2500 appartements en Suisse, dont 1500 dans la région zurichoise. La SRF a contacté 100 prostituées en se faisant passer pour des clients: 60 ont répondu, et presque toutes ont mentionné une adresse Vision. Pourtant, les conditions générales interdisent formellement le travail du sexe dans les logements. Visionapartments décline toute responsabilité auprès de la SRF, affirmant que ces femmes ne font «qu’y habiter».

«Moins de 1% de nos appartements sont occupés par des prostituées, qui exercent leur activité en dehors des logements», assure une porte-parole à Blick. Elle évoque des «cas isolés». La société dit avoir renforcé plusieurs mesures pour éviter les abus. «Nous transmettons les données d’identification à la police et nos collaborateurs effectuent des contrôles à la réception», précise-t-elle.

Du personnel de sécurité est présent et les espaces publics sont surveillés par caméra. «Avec la légalisation de la prostitution en Suisse, certains effets problématiques ont été transférés au secteur privé», ajoute-t-elle. Selon les conditions générales de Visionapartments, seuls les clients enregistrés peuvent séjourner librement dans l’établissement. «Cela fait l’objet de contrôles aléatoires», indique la porte-parole. 

En cas de violation, les personnes sont expulsées et, si nécessaire, la police est alertée. «Nous réagissons immédiatement à tout indice laissant supposer une activité prostitutionnelle. Nous expulsons les personnes concernées et les inscrivons sur une liste noire.»

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