Les premiers survols de drones concernaient surtout les régions situées à la frontière orientale de l’OTAN, mais depuis quelques mois, les signalements se multiplient aussi en Europe de l’Ouest: au Danemark, en Allemagne, en Belgique, en France. Vladimir Poutine est-il derrière ces incursions?
Ce qui est certain, c’est que ces survols sont pris très au sérieux. Des aéroports ont dû interrompre leurs activités à plusieurs reprises. Comment le Vieux continent peut-il se protéger? La question préoccupe également l’armée suisse, qui craint des épisodes similaires dans notre pays. La Confédération a donc décidé de réagir en créant une task force dédiée aux drones et en achetant de systèmes de défense.
Le problème, c’est que la technologie évolue si vite que les équipements risquent d’être dépassés peu après leur acquisition. Le Directeur général de l’armement, Urs Loher, l’admet sans détour dans un entretien à CH Media: «Cela ne suffira pas longtemps.»
La Suisse veut devenir un «Drone Country»
Parallèlement aux mesures d’urgence, l’armée mise désormais sur un nouveau cap stratégique. La Suisse ambitionne de devenir un pôle d’innovation militaire dans le domaine des drones. Un «Drone Country» (un pays de drone), selon les mots du chef de l’armement.
Le modèle vient tout droit d’Ukraine, où, sous la menace constante des essaims de drones russes, des centaines de start-up de défense ont vu le jour. Le pays a bâti un véritable écosystème technologique, un laboratoire dans lequel de nouvelles solutions sont testées en permanence, avec une capacité d’adaptation immédiate aux évolutions de la stratégie russe.
L’armée suisse semble vouloir suivre ce chemin. Pour protéger à l’avenir ses cinq centres logistiques, elle a adopté une approche inédite. Au lieu de rechercher uniquement un système prêt à l’emploi, l’Office fédéral de l’armement (Armasuisse), a publié sur un appel d’offres pour mener une étude inédite. Les candidats doivent en effet proposer des projets permettant de détecter automatiquement des drones hostiles ou des quadricoptères.
L’armée mise sur l’innovation
«Cette approche vise à identifier le potentiel existant», explique Stefan Hofer, porte-parole de l’armée. Les autorités étudient les innovations émergentes du secteur. Celles-ci doivent non seulement être inédites, mais aussi commercialisables. Elles peuvent en outre provenir de tous les horizons, y compris de domaines extérieurs à l’industrie de la défense.
Se pourrait-il que la future protection antidrones ne provienne pas d'un fabricant d'armes, mais d'un ingénieur électricien bricolant avec quelques passionnés dans un garage?
Ivo Capaul, spécialiste des questions de défense au Centre d’études sécuritaires de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPZ), salue cette nouvelle orientation. Il plaide pour le développement d’une expertise interne et pour l’intégration du savoir-faire technologique civil au sein de l’armée. «Pour y parvenir, une meilleure collaboration entre le secteur privé, les universités et les acteurs du Département fédéral de la défense (DDPS) est indispensable.»
L’urgence s’accroît
Dans ce contexte, il juge «très utile» la nouvelle étude lancée pour protéger les centres logistiques. La Suisse compte de nombreux acteurs disposant d’une expertise reconnue dans le domaine des drones.
Les hautes écoles suisses comptent d’ailleurs déjà parmi les leaders mondiaux en robotique et en matière de technologies liées aux drones. Jusqu’ici, seule l’intégration entre milieux militaires et académiques a tardé à se concrétiser.
Mais le temps presse. Mi-novembre, on a appris que de grands drones ont été observés en octobre au-dessus d’un poste de transformation stratégique du réseau Swissgrid à Laufenburg, en Argovie. On ignore qui les pilotait et dans quel but. Au printemps, des soldats avaient déjà signalé des drones au-dessus de l’aérodrome militaire de Meiringen, dans le canton de Berne.
Lasers, filets et brouillage
Alors que les procédures d’achat d’armement ont tendance à s’enliser en Suisse, l’Ukraine agit depuis longtemps par elle-même. Des chercheurs y testent lasers et des filets pour intercepter les drones.
Ils développent aussi des systèmes capables de brouiller les appareils ennemis et d’en prendre le contrôle. Dès qu’une technologie s’avère efficace, elle est immédiatement intégrée à la production nationale. Et pour cause: lorsqu’un système de défense est acheté à l’étranger, il peut déjà être dépassé au moment d’être mis en service.