Situation grave et «illicite»
Qui s'occupe des détenus à l'Hôtel de police lausannois? Un décès ravive le débat

La détention provisoire dans les zones carcérales de police est illicite, pourtant les geôles sont pleines. Le décès au CHUV d'un suspect ayant passé deux semaines dans les geôles de l'Hôtel de police de Lausanne ravive le débat. Mais qui a la charge de ces détenus?
Après la mort d'un homme, la détention provisoire dans les 25 cellules de l'Hôtel de police de Lausanne est au coeur des critiques.
Photo: Keystone
Blick_Leo_Michoud.png
Léo MichoudJournaliste Blick

Même la police les décrit comme illicites. Dans le canton de Vaud, la détention provisoire dans les «zones carcérales de police» a atteint un point de non-retour: la mort d'un homme, ce mardi 9 décembre aux soins intensifs du CHUV. Prévenu pour le cambriolage d’un garage à Saint-Prex, cet Algérien de 40 ans venait de vivre deux semaines de détention provisoire à l’Hôtel de police de Lausanne, géré par police municipale.

Transféré le 3 novembre à l’hôpital «dans un état grave» et «avec un pronostic vital engagé», il semble qu’il «respirait dans sa cellule de manière anormale» avant son transfert en hôpital, selon le communiqué du Ministère public qui assure qu’aucune trace de violence n’a été découverte. Une instruction pénale est ouverte, ce qui n’a pas empêché près de 300 personnes de manifester jeudi devant le bâtiment contre les violences policières.

«Pas de soupçon à ce stade»

Le Ministère public indique à Blick vendredi – par la voix de son porte-parole Vincent Derouand – qu’il n’y a «pas de soupçon à ce stade concernant les employés chargés de la prise en charge des détenus à l’Hôtel de police». Une autopsie apporterait des nouveaux éléments, mais les résultats pourraient prendre plus d’un mois à arriver.

Année après année, les rapports de la commission des visiteurs du Grand Conseil déplorent des conditions de détention inhumaines et demandent des mesures urgentes. Présidente de l’organe, la députée Marion Wahlen (PLR) décrivait en janvier des détentions dans des cellules de 7m2, sans lumière du jour ni eau courante, où les personnes restent seules 23 heures sur 24.

Le chiffre élevé des tentatives de suicide à l'Hôtel de police de Lausanne en 2023 a également beaucoup fait parler. Il s'est avéré que les 82 occurrences comprenaient tous les «actes auto-dommageables confondus, sans validation médicale». Reste que même la police municipale lausannoise décrit une détention provisoire prolongée dans ses locaux comme hors-la-loi. 

«
Les personnes détenues au-delà de 48 heures dans les zones carcérales de police peuvent se prévaloir de conditions de détention illicite et obtenir une réparation lors de leur jugement pénal
Alexia Hagenlocher, porte-parole de la Police municipale de Lausanne
»

«Les personnes détenues au-delà de 48 heures dans les zones carcérales de police peuvent se prévaloir de conditions de détention illicite et obtenir une réparation lors de leur jugement pénal», explique Alexia Hagenlocher, porte-parole des forces de l'ordre. Certains détenus ont ainsi pu obtenir des dédommagements financiers ou des remises de peine de quelques jours.

Si la gravité de la situation est connue, comment en sommes-nous arrivés là? Comment se passe la transition entre garde à vue et détention dans ces locaux inadaptés? Qui garde les cellules? Qui garantit la dignité de la détention, les besoins vitaux et les soins? Non sans mal, Blick a pu obtenir des réponses du Canton, et vous explique tout.

1

Pourquoi ces cellules inadaptées?

L’Etat de Vaud est pris dans un imbroglio administrativo-pénitentiaire à acteurs multiples. En charge des prisons comme de la police, le Conseiller d’Etat Vassilis Venizelos (Les Vert-e-s) promet des mesures depuis longtemps. Mais tout prend un temps que n’ont pas certains détenus, à l’image du récent défunt.

Car en principe, c’est simple. Une personne arrêtée par la police fait 48h de garde à vue au maximum, que le Ministère public peut transformer en détention provisoire si le Tribunal des mesures de contrainte estime qu’il y a risque de collusion, de fuite ou de récidive avant le jugement. En général, cette détention s’effectue dans un établissement pénitentiaire, et non dans les violons de la police.

«
En situation de surpopulation carcérale, la durée de détention dans les zones de police excède malheureusement 48h
Pauline Cancela, porte-parole du département de la Sécurité du Canton de Vaud (DJES)
»

«Les zones carcérales de police, quelles qu’elles soient, sont conçues pour des détentions jusqu’à 48 heures, sous la surveillance de la police en question (municipale ou cantonale) et sous l’autorité du Ministère public (MP)», confirme à Blick le département de la Sécurité du Canton de Vaud (DJES). Ainsi, il est de notoriété publique que l’Hôtel de police de Lausanne, ou le Centre de la Blécherette, sont totalement inadaptés à des séjours carcéraux prolongés.

La porte-parole du DJES, Pauline Cancela, détaille les raisons de cette situation: «En situation de surpopulation carcérale, la durée de détention dans les zones de police excède malheureusement 48h, vu la criminalité vaudoise et les demandes en places de détention pour garantir la sécurité publique.»

2

Qui garde les zones carcérales de police?

Pour les places de détention avant jugement (DAJ) dans les prisons de Bois-Mermet, de la Croisée et de la Tuilière (réservée aux femmes), c’est le Service pénitentiaire (SPEN) de l’Etat de Vaud qui gère. Dans un établissement pénitentiaire classique, les personnes détenues demeurent sous l’autorité du Ministère public durant l’enquête, puis sous celle du Tribunal compétent une fois celle-ci terminée. Mais qu’en est-il pour les DAJ dans les zones carcérales de police? «Cette prestation est 'déléguée' aux polices en charge», expose Pauline Cancela.

La porte-parole du DJES ajoute que «la participation du Canton est financière», au sens où il «assume les coûts de ces détentions au-delà de 48h, comme une partie du loyer de la zone carcérale de la ville», ainsi que la planification pénitentiaire. Les coûts des détentions comprennent les frais de repas, la couverture médicale… et le mandat d’une entreprise de sécurité privée pour garder les cellules.

«
Le suivi au quotidien est de la responsabilité de la police de Lausanne, dont une partie des ressources est payée par le SPEN. Mais ce n’est pas du personnel pénitentiaire
Pauline Cancela, porte-parole du département de la Sécurité du Canton de Vaud (DJES)
»

A l’Hôtel de police de Lausanne, par exemple, les agents de sécurité de cette société privée viennent «en renfort» aux «geôliers» de la police municipale de Lausanne, selon leur désignation dans le chef-lieu vaudois. «Le suivi au quotidien est de la responsabilité de la police de Lausanne, dont une partie des ressources est payée par le SPEN. Mais ce n’est pas du personnel pénitentiaire», spécifie Pauline Cancela.

En somme, lorsqu’il s’agit d’appliquer une mesure de détention provisoire décidée par un tribunal, le DJES est responsable de la dignité de la détention, mais pas de son application à l’intérieur des zones carcérales des Hôtels de police. Responsabilité qui revient aux polices municipale et cantonale, avec les finances du SPEN et sous la supervision des organes judiciaires.

3

Y a-t-il un médecin pour les détenus

Dans les prisons du canton, les détenus ont droit à plusieurs dispositions élémentaires, parmi lesquelles un suivi médical. Mais qu’en est-il dans les zones carcérales de police? «Les personnes détenues en zones carcérales peuvent bénéficier de produits dits de première nécessité (vêtements, produits d’hygiène, par exemple)», confirme Pauline Cancela.

La porte-parole assure que «le maximum est fait pour déployer les prestations pénitentiaires qui existent dans les prisons». Exemple de ces mesures? L’installation de cabines téléphoniques, recommandée par la Commission des visiteurs du Grand Conseil, et d’autres «mesures mises en place par la Ville» pour «améliorer le quotidien des personnes détenues en DAJ dans ces zones».

«
Une infirmière assure une présence quotidienne dans la zone de police. Un médecin somatique ainsi qu’un psychiatre font un passage hebdomadaire.
Pauline Cancela, porte-parole du département de la Sécurité du Canton de Vaud (DJES)
»

Si l’accès à un avocat est garanti, qu’en est-il de celui à un médecin? «Une infirmière assure une présence quotidienne dans la zone de police, répond Pauline Cancela. Un médecin somatique ainsi qu’un psychiatre font un passage hebdomadaire.» Des prestations assurées par le Service de médecine et de psychiatrie pénitentiaire (SMPP) du CHUV.

4

Que prépare le Canton pour remédier à cette situation?

Le Conseil d’Etat est régulièrement interpellé – par les députés de gauche, par la commission des visiteurs et par la société publique – sur les conditions de détention, en particulier dans les Hôtels de police. Deux interpellations de l’élue au Grand Conseil Mathilde Marendaz (Ensemble à Gauche), portant sur les décès lors d’interventions policières et sur «l’enfer des zones carcérales», sont dans l’attente d’une réponse.

«
La future zone d’attente carcérale de 60 places permettra d’améliorer le confort des personnes en attente d’une place dans autre un établissement
Pauline Cancela, porte-parole du département de la Sécurité du Canton de Vaud (DJES)
»

Interrogé par Blick sur les mesures qu’il entend prendre quant à la problématique des détentions provisoires, le Département de Vassilis Venizelos insiste sur un point: la création à venir – mais quand? – d’une Zone d’attente carcérale (ZAC) prévue à Orbe et dont la mise en service est attendue pour fin 2027. «La future zone d’attente carcérale de 60 places permettra d’améliorer le confort des personnes en attente d’une place dans autre un établissement», espère le DJES.

Autre pan du problème: la police des polices. Le Département du conseiller d'Etat écologiste est en train de la repenser. Actuellement, lorsqu’une enquête implique des représentants des autorités policières, comme c’est le cas avec le décès du suspect de cambriolage, c’est le Détachement d’Investigations Spéciales Policières (DISPO) qui est chargé de l’enquête. Âgé de cinq ans, ce dispositif est «en cours d’évaluation», indique Pauline Cancela.

Même s’il est «trop tôt pour communiquer sur un calendrier ou sur un modèle», le DISPO est à l’étude. Tout comme l’organisation actuelle de la police dans le canton. Coordination, ressources, mais aussi harmonisation des pratiques, des sanctions, des critères de recrutement: tels sont les «multiples enjeux» soulevés par le DJES.

«Dix polices pour un territoire comme le Canton de Vaud, dans un contexte où la criminalité se complexifie et les ressources se raréfient, cela peut sembler beaucoup», avance la communicante du Département. De nouvelles infrastructures pour contrer la surpopulation carcérale, en plus de réformes promises des polices vaudoises: il y a encore du boulot. Surtout dans un contexte très tendu, notamment autour de la police municipale de Lausanne, accusée de racisme après la divulgation de groupes WhatsApp de ses agents.

Articles les plus lus