Le 25 septembre dernier, il était là, à la tribune. Aux côtés de toute la Municipalité de Lausanne, le commandant de la police municipale, Olivier Botteron, lisait à voix haute des extraits de conversations WhatsApp entre policiers lausannois. Des morceaux choisis révélant racisme, sexisme, homophobie, moqueries envers les personnes en situation de handicap.
Une conférence de presse inédite, brutale, censée marquer un tournant. Le langage était cru, le message clair: il y a un problème.
Et puis, dix jours plus tard, sans flash ni caméra cette fois, un simple post sur le fil d’information de la Ville annonce que le commandant partira en retraite en juillet 2026.
Drôle de timing
Une information presque banale. A 60 ans, Olivier Botteron, ancien commandant de la région gardes-frontière de Genève et de la gendarmerie vaudoise, atteint l’âge limite pour son poste.
Sauf que ce timing pique la curiosité. Pourquoi communiquer sur cette fin de parcours au beau milieu d’un scandale de cette ampleur? Que signifie vraiment ce départ? Cette communication était-elle un moyen implicite de rediriger le regard sur l’homme plutôt que sur le système?
L'Exécutif nie toute stratégie politique
A ce stade, la Municipalité invoque notamment une contrainte de procédure. Il est nécessaire de rendre le départ public pour pouvoir lancer les démarches de recrutement d’un successeur.
«Le Commandant Botteron va atteindre l’âge de la retraite le 1er juillet 2026, confirme Pierre-Antoine Hildbrand, municipal de la sécurité. Un tel poste demande du temps de recrutement et s’adresse à des candidates et des candidats déjà cadres supérieurs. Ces derniers ont donc souvent six mois de délai pour quitter leur poste actuel. Il ne sera pas facile de remplacer le Commandant dont l’engagement, le parcours professionnel et les qualités, dont la droiture, sont exemplaires», salue l'élu libéral-radical (PLR).
Le conseiller municipal poursuit: «Dès lors, si nous voulons une remplaçante ou un remplaçant pour le Commandant Botteron en juillet ou en août, il nous faut mettre le poste au concours cet automne. Nous ne pouvons pas entamer ces démarches sans une annonce publique. C’est donc par transparence que la Municipalité a agi ainsi.»
Responsabilités niées?
Cependant, certaines critiques pointent la responsabilité directe de l’Exécutif et sa définition de la stratégie policière. La Municipalité est ainsi doublement blâmée: trop impliquée dans l’opérationnel en temps normal, notamment dans sa volonté d’une forte présence policière au centre-ville jugée répétitive et inutile par certains agents, mais prompte à se dégager de toute responsabilité quand la crise éclate.
«Je n’ai pas l’impression d’esquiver les décisions ni de m’en dédouaner, rétorque Pierre-Antoine Hildbrand. La Municipalité n’a jamais caché sa volonté d’avoir une présence forte, uniformée et visible au centre-ville et l’assume pleinement.»
Départ anticipé ou retraite choisie?
Mais derrière ces dénégations, une autre version s’impose. En creusant, l'image d'un commandant devenu «fusible» de la politique est partagée par plusieurs sources.
«Je ne pense pas que c’est un choix du commandant de partir de lui-même, confie à Blick un membre des forces de l’ordre. Que ce soit pour une retraite ou une démission. Je pense que la politique a le dernier mot là-dessus. S’il avait pu aller jusqu’au bout de la réforme, il l’aurait fait.»
Un témoignage qui renforce la thèse d’une injonction au départ. Et qui interroge sur l’après. «Tout ce que fait le commandant doit être validé politiquement. La politique est toujours derrière, on ne sait pas exactement ce qui vient de la Municipalité ou du commandement. Le départ d'Olivier Botteron arrange la Ville, c’est une cartouche qu’ils utilisent», estime cette même personne.
Une autre source ajoute: «Le commandant va devoir s'entourer d'une équipe. On s'inquiète d’une Municipalité qui nommerait des gens avant même de choisir un nouveau commandant. On navigue à très court terme, alors qu’on voudrait construire pour 2030 et après.»
Le commandant réfute
Par ailleurs, plusieurs sources internes à la police lausannoise assurent à Blick qu’Olivier Botteron n’avait pas prévu de partir si tôt. Il aurait même envisagé de rester jusqu’en 2027. Le départ, selon ces voix, serait une réponse à une situation devenue intenable à l’interne et à une pression politique explicite.
Contacté, le commandant nie catégoriquement. «Je démens. C’est faux», nous écrit-il.
Une autorité affaiblie à l’interne
Reste que l’homme ne part pas en position de force. Dans les couloirs de la police, sa participation à la conférence de presse aurait profondément heurté. Certains agents lui reprochent de s’être exposé, d'avoir «lâché» les troupes.
Tout le système serait ainsi fortement affaibli et proche de l’effondrement. «On est passé de l’homme de la situation pour les deux ou trois prochaines années à l’homme de la situation pour neuf mois», constate le conseiller communal Vert Ilias Panchard. Un homme de la situation qui n'aurait pas envie de justifier ses prises de décision.
Rétention d'information critiquée
«Toutes nos interventions sur sa responsabilité, certaines nominations, ses choix tactiques ou sur son absence de réaction à certains rapports, restent sans réponse, tance Ilias Panchard. Ni lui, ni le Municipal Hildbrand ne répondent. J’ai moi-même essayé de savoir qui était l’officier de permanence le soir du décès de Camilla. Deux semaines après, le Municipal de la sécurité m’a dit que c’était le commandant lui-même. Je m'interroge sur les décisions qu'il a prises en lien avec cet officier – le même qui était déjà impliqué dans l'affaire Mike Ben Peter et se trouve impliqué dans l'affaire des groupes racistes. Plus on creuse, plus des choses sortent.»
Pour l'écologiste, cela dit, le départ d'Olivier Botteron ne joue pas en faveur de l'Exécutif. Ce serait plutôt une démission déguisée. «On a un commandant qui démissionne en pleine crise et cela fragilise toute la stratégie de la Ville, déplore le conseiller communal. On peut jouer sur les mots entre 'démission' et 'pré-retraite' mais le constat est le même», tranche l'élu.
Les mots «malheureux» du syndic
Face à ces critiques, Olivier Bloch, conseiller communal PLR, tempère. «La dialectique utilisée par la majorité de gauche de la Municipalité, par rapport au corps de police, est problématique. Les mots du syndic socialiste Grégoire Junod, qui parlait de racisme 'systémique', sont malheureux. C’est jeter la pierre à tous les policiers.», déplore-t-il.
Selon lui, l'image des forces municipales est écornée. «Trente postes sont vacants, la police de Lausanne a du mal à recruter, des aspirants ont renoncé à leur formation parce qu’ils se sentent mal à l’aise, continue Olivier Bloch. Une minorité d’agents a dévié de la ligne, mais ce n’est pas la police dans son ensemble qui a un problème de racisme. La police reflète la société, avec ses opinions qui ne sont pas toujours agréables ni justes.»
Toutefois, l'élu PLR s'est lui-même posé des questions en voyant l'annonce du départ du commandant. «Je me suis demandé s'il était un fusible de l'Exécutif. Mais après renseignement, je sais que le commandant et le Municipal de la sécurité entretiennent une relation de confiance, et cette retraite était agendée.»
Le syndicat désavoue la Municipalité
Pourtant, selon des sources internes, le commandant «laisse derrière lui une police dans un état catastrophique. Alors qu'on allait bien, avant.» Mais d'autres membres des forces de l'ordre lausannoises ont plutôt la Municipalité dans le viseur.
L'Association des fonctionnaires de police de Lausanne (AFPL) a adressé une lettre à l'Exécutif de la ville, dans laquelle elle remet en question son impartialité dans la gestion de l'affaire des groupes WhatsApp. La missive, publiée par la RTS, demande son retrait de la gestion du dossier et la suspension des mesures disciplinaires contre huit agents impliqués, qui risquent le licenciement.
Contacté par Blick, le président du syndicat ne souhaite pas commenter le départ en retraite d'Olivier Botteron. «Nous sommes actuellement en train d’étudier ces différentes questions auprès de nos membres. Nous ne connaissons pas encore l’orientation que nous donnerons aux futurs rapports», indique Cyril Portmann.
Une Municipalité également fragilisée
Le départ du commandant souffle donc une bise noire sur le château de cartes municipal. «Pierre-Antoine Hildbrand, sous le feu des critiques, est désormais sur la sellette, soutient Ilias Panchard. Il énerve même ses propres rangs et jusqu'à l'UDC en faisant de la rétention d'information. Sa stratégie, c'est de ne jamais prendre de décision ni d'affirmer de position claire. En politique, il faut parfois prendre des risques et toujours assumer ses responsabilités», analyse-t-il.
Pour ne rien arranger, de vieux dossiers, sources de conflit, refont surface. La fusion entre police secours et municipale, en 2024, est désormais ouvertement remise en cause par plusieurs agents. Un mélange de griefs, de rancœurs et de demandes de reconnaissance agite le corps policier.
Quel profil pour reprendre les rênes?
Le commandement sera mis au concours «fin octobre ou début novembre, avec l’objectif d’une entrée en fonction en juillet ou en août 2026», informe Pierre-Antoine Hildbrand.
Mais dans un climat aussi délétère, quel profil voudra vraiment s’aventurer en terrain miné? Un agent encore en fonction résume ainsi l’atmosphère actuelle: «La période est très tendue. Et personne ne sait vraiment où on va. Que se passera-t-il si le ou la nouvelle commandante annule tout ce qui aura été mis en place ces prochains mois?»