Gala caritatif contre le cancer
Danser pour combattre la maladie

Le 23 novembre, le Théâtre de Beausobre à Morges accueillera un gala caritatif réunissant 22 étoiles des plus grandes compagnies. Vingt-deux personnes touchées par le cancer y présenteront une performance inédite pour mettre en lumière la danse comme soutien au soin.
Publié: 16:24 heures
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Durant les ateliers, tous les types de danse sont pratiqués.
Photo: © Adrien Perritaz
Katja Baud-Lavigne
Katja Baud-Lavigne
L'Illustré

«Non, non, NON! Quand on fait dodo sur la fesse du voisin, on ne bouge plus!» tonitrue la chorégraphe Cendrine Cabrera lorsqu’on entre dans la salle de répétition sur la pointe des pieds en ce samedi matin. Au premier abord, rien d’exceptionnel. Une professeure de danse dirige ses élèves en vue d’un spectacle tiré au cordeau.

Si ce n’est que l’on se trouve dans l’enceinte de l’hôpital de Chamblon, à Yverdon. Et que la joyeuse troupe est composée de patients qui font face au cancer. Dans tout juste 15 jours, ils se produiront sur la scène du Théâtre de Beausobre, à Morges, dans le cadre de Dansons la vie!, un gala caritatif en faveur des ligues vaudoise et genevoise contre le cancer.

La danse comme soin de support

Porté notamment par David Rodriguez, danseur formé au Conservatoire de Barcelone et à l’Ecole-atelier Rudra Béjart à Lausanne, le projet vivra sa seconde édition le 23 novembre prochain, après un premier succès en 2023. Son but? Développer la danse comme soin de support en oncologie.

«
On ne se bat pas contre le cancer, mais pour la vie. Tant qu’on danse, il y a de l’espoir
David Rodriguez, danseur
»

Depuis 2019, la Ligue vaudoise contre le cancer intègre en effet la discipline dans ses programmes de réadaptation. «Aujourd’hui, on guérit beaucoup plus du cancer, souligne David Rodriguez. Mais il faut arriver à retrouver une qualité de vie après la maladie, malgré les effets secondaires qui perdurent parfois longtemps après le traitement. Il faut apprendre aussi à se réapproprier un corps qui nous a trahis, et qui a été malmené pendant des mois, voire des années. Et pour cela, la danse est idéale.»

Dépasser le tabou

Avec ce gala, le danseur souhaite aborder la thématique de manière plus légère, en s’adressant à un public plus jeune. «L’idée est d’ouvrir le débat, de briser la stigmatisation et le tabou autour du cancer, poursuit-il. Statistiquement, une personne sur trois va y être confrontée un jour ou l’autre. Il s’agit aussi de montrer que la danse est un formidable vecteur de force et de dignité. On ne se bat pas contre le cancer, mais pour la vie. Tant qu’on danse, il y a de l’espoir.»

Lors du programme de réadaptation, prescrit par un médecin, les ateliers de danse fonctionnent par groupes de huit personnes.
Photo: Adrien Perritaz

Et Anne Lagger, infirmière en oncologie et soins palliatifs à l’origine du programme de réadaptation, de renchérir: «Les études montrent que la pratique régulière d’une activité physique réduit significativement le risque de récidive de plusieurs types de cancers – entre 20 et 45% –, pendant et après le traitement. Au-delà de ce bénéfice, la danse est un outil cognitif incroyable. Le volet social est également très important. Quand un patient vient ici, il n’a pas besoin de protéger ses proches. Il peut dire que ça ne va pas sans prendre de pincettes.»

Crier la vie

Face à nous, Cendrine Cabrera continue de diriger à la baguette ses Zazous, comme elle les appelle affectueusement. Formée à l’Alvin Ailey School et à la Martha Graham School de New York, elle enseigne aujourd’hui à la Ligue vaudoise contre le cancer la danse adaptée.

«Au début, j’avoue avoir eu une certaine réticence, confie-t-elle à l’issue de la répétition. Des peurs ont résonné en moi, parce que la maladie, on n’aime pas trop. Parce que, inexorablement, un jour ou l’autre, ce sera peut-être notre tour. Mais après cinq minutes de cours, quels ne furent pas ma stupeur et mon émerveillement de voir que, au contraire, on criait la vie! Il s’avère que ces élèves-là viennent avec une problématique, mais au niveau de l’engagement, de l’investissement, de l’énergie et de leur dynamisme, ils sont identiques aux autres.»

«Mes petits guerriers»

Si les patients qu’elle fait danser chantent ses louanges de manière unanime, elle reconnaît qu’elle aussi tire un profit non négligeable de l’expérience. «Ce sont eux qui me portent, s’enthousiasme-t-elle. Ces cours ont changé complètement mon regard sur la maladie. Et sur la vie. Quelle que soit la chute, on peut se relever. Ce sont mes petits guerriers. Ils doivent se battre contre le cancer, pour leur couple, leur famille, leur job, faire face aux problèmes financiers et, malgré tout, ils arrivent ici avec la banane, c’est magique. J’ai une gratitude profonde envers eux.»

Dans la salle de répétition, ce sont la joie, les éclats de rire et une incroyable énergie collective qui frappent le visiteur.
Photo: © Adrien Perritaz

Pour autant, elle ne les épargne pas. Chaque geste, chaque pas est décortiqué et répété jusqu’à la perfection. «On a un projet! s’exclame-t-elle. Il y aura un public qui a payé sa place. On est sur scène, donc on y va et on assure. Certes, je leur mets la pression, je gueule, mais ça fait partie du processus. C’est aussi une manière de les prendre au sérieux et de les considérer.»

Transcender la fin

Lorsqu’on lui demande s’il lui est déjà arrivé de perdre des élèves, elle répond d’un sourire ému: «Probablement, mais je ne veux pas le savoir. Je suis juste là pour leur apporter un petit peu de bonne humeur, un moment de chaleur humaine, pour qu’ils se sentent bien dans leurs baskets.» Le programme intégrant des patients en situation palliative, le risque est inévitable. Deux d’entre eux sont d’ailleurs décédés ce printemps.

David Rodriguez et Luke Prunty font partie des 22 étoiles qui danseront pendant le gala.
Photo: © Adrien Perritaz

«C’est toujours quelque chose de difficile, avoue Anne Lagger. Notamment lorsqu’il faut l’annoncer aux autres membres du groupe. Mais ils sont très pragmatiques et savent parfaitement que cela peut arriver, y compris à eux-mêmes.» Malgré cette triste issue, le programme garde tous ses bénéfices.

«L’entourage m’a confié que ces moments de joie et de partage avaient illuminé la fin de vie de ces patients, qu’il en étaient infiniment reconnaissants, tout comme la famille», conclut l’infirmière. Une magnifique preuve qu’il est possible de danser la vie jusqu’aux portes mêmes de la mort. 

Danièle Vuillermet, 66 ans

Traitée pour un lymphome en 2014, Danièle Vuillermet a subi une récidive en 2021. «Ce programme de réadaptation a été une grande bouffée d’air, parce qu’il redonne confiance. Ce qui est magnifique, c’est de rencontrer des gens avec qui on peut discuter et qui savent directement de quoi on parle. Lors de mon premier cancer, j’avais cherché quelque chose pour m’aider. Mais soit on me disait: «C’est réservé au cancer du sein», soit il fallait aller à Lausanne.

Quand on est déjà affaibli, faire les voyages depuis Yverdon, ce n’est pas motivant. Alors je me suis créé mon propre plan et les choses se sont enchaînées, de rencontre en rencontre, ce qui m’a beaucoup aidée. Lorsque j’ai découvert ce programme, je me suis imaginé qu’on pouvait choisir ce qu’on voulait, mais non, il fallait tout faire. Même s’il y a des choses où on se sent moins à l’aise, ce sont des professionnels qui nous entourent et ils savent très bien nous encourager. Je n’avais jamais pratiqué la danse avant, mais je me suis rendu compte que c’est très sérieux. Et puis il y a l’effet de groupe qui est fantastique.

Du reste, nous avons rebaptisé le nôtre les Papillonnes et on essaie de se voir une fois par mois. Ça fait deux ans et demi maintenant. Je ne pense pas continuer la danse, parce que, honnêtement, je ne suis pas très douée. Mais je participe au spectacle pour le message qu’il véhicule. C’est une façon de dire aux gens: «On passe par des moments difficiles, il y a de grandes épreuves, mais on arrive à s’en sortir.» Et il faut croire en soi, il faut croire aux forces qu’on a en nous et avancer.»

Stéphanie Lagache, 47 ans

Diagnostiquée d’un cancer du sein en 2024, à la suite d’une autopalpation entre deux mammographies, elle est aujourd’hui en rémission complète. «Si je ne m’étais pas palpée régulièrement, je ne serais peut-être plus là aujourd’hui, tient-elle à rappeler à titre de prévention. Pendant une période, j’ai eu toutes les semaines de la chimio. J’ai choisi d’avoir une mastectomie pour pouvoir prévenir au maximum le risque de récidive. J’ai commencé le programme de réadaptation en milieu de parcours.

Ce n’est pas forcément évident d’allier à la fois les traitements, la fatigue qui va avec et l’exercice physique, en faisant de la gym ou de la danse. D’autant qu’il y a des douleurs articulaires bien présentes. Même après mon ablation, je suis quand même allée faire des activités. Cendrine, la chorégraphe, fait beaucoup pour nous booster. Et je trouve que c’est un bon coup de pied au derrière qui fait du bien, parce que je serais volontiers restée vissée à mon canapé. C’est vraiment une belle opportunité.

J’avais fait de la danse quand j’étais enfant, mais je n’avais pas le souvenir que c’était aussi bien pour le corps. J’ai récupéré de la mobilité que je n’avais plus. Parce qu’il ne faut pas oublier qu’une mastectomie peut parfois toucher la chaîne ganglionnaire. Ça permet d’extérioriser aussi, de retrouver de la chaleur et de la joie. Les deux premières fois, j’ai pleuré d’émotion, c’était vraiment libérateur. Et un énorme bénéfice, tant physique que psychologique.»

Daniel Coelho, 48 ans

En plus de la maladie des os de verre, Daniel a été diagnostiqué d’un lymphome au niveau du cou. «J’ai fait plusieurs greffes qui n’ont pas marché, détaille-t-il. Et après, pour couronner le tout, j’ai eu une embolie pulmonaire. Ma capacité respiratoire est descendue à 30%. J’étais vraiment à deux doigts d’être mis sous oxygène. Depuis, j’ai subi une nouvelle greffe qui est en train de fonctionner, je remonte gentiment la pente, mais je suis encore en traitement.

J’ai entendu parler de ce programme de réadaptation, que j’ai bien aimé. L’avantage, quand on retrouve l’équipe ici, c’est qu’on parle le même langage. Chacun a son vécu, mais on est tous un peu passés par les mêmes choses, comme les effets secondaires, ou les trucs comme ça. En parlant avec différentes personnes, on se rend compte qu’il y a quand même des étapes par lesquelles tout le monde passe. Ce qui est assez génial, c’est que ça permet de voir que tu n’es pas le seul et d’avancer.

La danse, c’était un challenge. Mais je me suis dit: «Je vais le faire quand même.» C’est ma façon d’aider mon prochain et de me sentir utile, en montrant comment j’ai réussi. Et puis, c’était sympa de se retrouver dans la salle et de faire ces pas de danse. C’est vrai que je n’ai pas eu un parcours facile, mais j’ai réussi à aller de l’avant. Et je pense que beaucoup de gens peuvent aussi remonter la pente, comme je l’ai fait.»

Robert Frei, 61 ans

En 2005, il a combattu un cancer de la vessie, avant qu’on ne lui découvre un lymphome en 2021. «C’est un cancer à croissance lente qui ne se soigne pas, mais qui peut permettre de très bonnes conditions de vie sur une longue durée, en fonction de la chance qu’on a, explique-t-il. Avant la maladie, j’étais un peu en marge de la société, après un divorce et un licenciement. Au fond, le cancer m’a sauvé. Sans lui, je pense que je me serais peut-être plus isolé encore, et ça m’a obligé à sortir, à rencontrer du monde. C’est ce qui m’a sorti de la souffrance dans laquelle je me trouvais.

A la suite du cancer, j’ai ressenti le besoin de parler. Mais je voulais que ce soit avec quelqu’un qui partageait les mêmes souffrances, parce que c’est plus facile, on se comprend mieux. C’est comme ça que j’ai contacté Anne. A la fin du traitement, on se retrouve un petit peu largué dans la nature. Les médecins sont formidables, il n’y a rien à dire. Ils nous sauvent la vie, nous prodiguent des soins absolument géniaux et, humainement, ce sont des soleils, d’une bienveillance absolue.

Mais ici, on peut rencontrer d’autres personnes, parler, partager ses souffrances et ça permet de prendre du recul, de réfléchir à soi, à ce qu’on est encore capable de faire. Après le programme de trois mois, qui finalement était court, j’ai intégré un groupe de femmes, parce qu’il n’y avait pas d’hommes pour faire de la danse. J’aimais beaucoup cette dynamique et j’ai participé avec les copines au premier gala de 2023, c’était formidable.»

Laura La Placa Barreiro, 39 ans

Les médecins lui ont découvert le syndrome de Lynch – une maladie héréditaire qui augmente significativement le risque de développer plusieurs types de cancers – en même temps qu’un cancer du côlon en 2022. «La chance d’avoir une maladie génétique, c’est que j’ai eu des métastases, mais qui ne se sont pas trop baladées dans le corps, raconte-t-elle en souriant. J’ai donc pu éviter une chimio qui me fasse perdre mes cheveux.

J’ai découvert le programme par hasard, à travers un tableau d’affichage, dans une salle d’attente, parce qu’il y a beaucoup de communication autour du cancer du sein, mais très peu pour les autres. Une fois que chaque docteur a fait son job, on est vraiment lâché dans la nature. Et j’avais besoin de trouver des gens avec qui parler de ça. Comme je n’ai pas perdu mes cheveux, physiquement, mon cancer ne se voyait pas trop. C’était un soulagement, mais, en même temps, ça isole un petit peu parce que personne ne fait attention à ta maladie. Ce programme a vraiment été une bouffée d’air frais.

C’est le plus beau des médicaments qu’on puisse nous offrir dans tout ce parcours de l’horreur. J’ai pu enfin être avec des gens dans la même situation que moi. Même si tout le monde a des cancers différents, il n’y a pas de hiérarchie dans la maladie et je ne me suis jamais autant marrée qu’ici. On peut vraiment être deuxième degré et appeler un chat un chat. On peut aussi arriver dans n’importe quel état, pleurer, il n’y a pas d’exigence, pas de tabou, pas de stress. Je suis heureuse que tout ça existe.»

Un article de «L'illustré» n°46

Cet article a été publié initialement dans le n°46 de «L'illustré», paru en kiosque le 13 novembre 2025.

Cet article a été publié initialement dans le n°46 de «L'illustré», paru en kiosque le 13 novembre 2025.

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