«Notre petit ange était là»
Des bonnes fées au chevet des bébés nés trop tôt

Lorsque les bébés naissent trop tôt, ils ne sont pas armés pour la vie extra-utérine. Les bénévoles de trois associations font tout pour adoucir leurs premières semaines, comme avec la petite Sienna, prise en charge à l’hôpital de Neuchâtel.
Publié: 05:56 heures
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Une semaine après sa naissance, Sienna tient une pieuvre crochetée pour éviter qu’elle ne tripote sa sonde gastrique.
Photo: Blaise Kormann
Olaya Gonzalez
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L'Illustré

Sienna est un poids plume propulsé sur le ring de la vie bien trop tôt. Avec ses 1320 grammes, elle n’était pas prête à venir au monde, mais le destin en a décidé autrement. «Sienna est une battante», assurent son papa et sa maman, ses plus grands supporters. Dans un coin du ring, le personnel soignant de l’hôpital de Pourtalès, à Neuchâtel, qui veille 24 heures sur 24 sur sa santé.

Mais trois bonnes fées se sont également penchées sur son berceau, ou plutôt son Isolette, cette couveuse qui maintient la petite fille au chaud et la protège des germes. Ces fées sont en réalité trois associations romandes, «Né trop tôt», «Petites pieuvres fils de douceur» et «La couette du cœur», qui se sont donné pour mission d’adoucir les premières semaines de vie des prématurés et de réconforter les parents, au centre d’un tsunami émotionnel.

«Tout, tout petit bébé»

Pour Mélissa D’Amore et Jan Haesler, les premiers signes du séisme sont apparus le 4 juillet, après un contrôle foetal morphologique, étape médicale classique dans un parcours de grossesse qui s’effectue à 22 semaines. Objectif: vérifier le bon développement du foetus.

«Au moment de cet examen, on ne connaissait pas encore son sexe. Le médecin nous a annoncé que c’était une fille, se souvient avec émotion le papa. Ensuite ça a été un peu 'Houston, on a un problème.' En fait, j’ai pu me réjouir pendant deux minutes d’avoir une fille, puis, après avoir appris qu’elle ne se développait pas normalement, je me suis demandé si notre fille verrait le jour. C’était très dur.»

La maman précise: «On nous a expliqué que 98% des enfants sont plus grands qu’elle à cet âge gestationnel. C’était vraiment un tout, tout petit bébé.» S’ensuit une batterie d’examens pour comprendre les causes de ce retard de croissance.

Tenir bon jusqu’à la 28ème semaine

«La question de la prématurité s’est vite posée. Il fallait suivre de près la grossesse et nous préparer au fait qu’il faudrait probablement déclencher l’accouchement entre la 28e et la 37e semaine.» Donc il fallait tenir bon jusque-là. «Chaque dimanche, c’était une semaine de gagnée pour nous. L’espoir revenait gentiment au fur et à mesure, mais le temps passait vraiment lentement. On surveillait la prise de poids du bébé, le flux sanguin du cordon ombilical par doppler et l’oxygénation du cerveau.»

Les tests se succèdent; lorsqu’une cause possible est écartée, une nouvelle analyse est lancée. «Chaque soulagement était suivi d’une nouvelle inquiétude», confie Jan. «Nous sommes conscients que c’était nécessaire, même si c’était lourd pour nous, tempère Mélissa. Je remercie le corps médical pour la qualité du suivi. Nous sommes hyper-chanceux d’avoir pu en bénéficier. Parce que, suivant le pays dans lequel nous aurions vécu, cette grossesse-là aurait pu ne pas aboutir.»

Sienna est le premier enfant de Mélissa D’Amore et de Jan Haesler. Elle est née prématurément, le 24 septembre.
Photo: Blaise Kormann

Le 24 septembre, la petite Sienna vient au monde. «La veille, on nous a dit que c’était devenu pathologique. Il fallait la sortir pour qu’elle puisse se nourrir correctement à l’extérieur. Une césarienne a donc été programmée pour le lendemain. L’anesthésie a commencé à 11 h 10 et, à 11h24, notre petit ange était là.» Elle est minuscule, mesure 39 cm et pèse 2 kilos de moins que la moyenne des bébés suisses nés à terme, mais elle est absolument parfaite.

Bien sûr, à 34 semaines (habituellement, le terme est situé entre la 37e et la 42e semaine de grossesse), elle n’est pas totalement armée pour la vie extra-utérine; elle a besoin d’aide pour respirer et se nourrir, il faut la surveiller de près. L’équipe du service de néonatologie la prend immédiatement en charge.

Une petite pieuvre très utile

Dans l’Isolette qui va lui servir de berceau pendant quelques semaines l’attend déjà un drôle de petit animal à tentacules, turquoise et beige. Un doudou? Pas tout à fait. Plutôt un outil thérapeutique qui a pris la forme d’une jolie pieuvre, cadeau de l’association Petites pieuvres fils de douceur. Dans toute la Suisse romande, une cinquantaine de fidèles bénévoles tricotent ou crochètent avec amour ces petits trésors qui nécessitent en moyenne deux jours de travail. Le projet est né au Danemark en 2013, puis s’est répandu dans d’autres pays et a pris racine en Suisse romande trois ans plus tard. 

«Les petites pieuvres aident vraiment les prématurés, explique Stéphanie Marmillod, présidente de l’association. Les nouveau-nés tirent sur les tentacules au lieu de tirer, par exemple, sur leur perfusion au risque de l’arracher.» Evelyne Linder Mougin, infirmière référente qui nous a accueillis chaleureusement dans le secteur néonatologie, confirme: «Un bébé va explorer son visage avec ses petits doigts, il va se toucher, tripoter ce qu’il trouve. Or de nombreux prématurés ont une sonde gastrique, qui descend juste dans l’estomac pour les nourrir car, avant 34 semaines, ils n’ont pas encore la coordination nécessaire pour se nourrir (pour déglutir, il faut arrêter de respirer, ce qu’on fait naturellement, sinon, on avalerait de travers).» 

Evelyne Linder Mougin, infirmière référente du secteur néonatologie de l’hôpital de Neuchâtel.
Photo: Blaise Kormann

«Sur le thorax, on pose des électrodes cardiaques, qu’il risque aussi d’ôter. S’il a besoin d’aide respiratoire, il aura un masque sur le nez, qu’il peut vouloir tirailler. Or cette petite pieuvre permet d’éviter tout ça. De plus, les tentacules ressembleraient au cordon ombilical, avec lequel le foetus joue durant la grossesse. Et enfin, ça le rassure, ça le calme, ses fréquences cardiaque et respiratoire sont plus régulières.» Sienna a tout de suite adopté cette petite compagne et tient régulièrement un de ses tentacules. Chaque pieuvre est contrôlée avec soin car le moindre trou permettrait à un nouveau-né de glisser un de ses minuscules doigts dedans.

Le service de néonatologie du Réseau hospitalier neuchâtelois accueille les prématurés dès 32 semaines – les grands et très grands prématurés sont transférés au CHUV ou à Berne –, mais aussi des enfants nés à terme s’il y a eu un problème lors de l’accouchement ou juste après. Evelyne Linder Mougin précise que les parents sont encouragés à être aussi présents que possible, à participer aux soins, à prendre les bébés dans leurs bras. «On nous l’a dit et répété: 'Venez quand vous voulez, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, vous êtes ici chez vous', confirme le père de Sienna. Les infirmières nous proposent toujours de les accompagner, de participer, et même de prendre les commandes lors des soins. Elles nous insufflent de la confiance parce que, au début, nous n’étions pas rassurés. Sienna est si petite…»

Les infirmières surveillent Sienna. Avant de quitter l’hôpital, elle doit pouvoir respirer, réguler sa température, s’alimenter et prendre du poids.
Photo: Blaise Kormann

Lors de notre rencontre, une semaine après la naissance, désormais tranquillisé parce que sa fille se portait bien, Jan expliquait savourer chaque heure passée auprès d’elle: «C’est une expérience incroyable. En tant que papa, je suis très heureux d’avoir un rôle actif à jouer, de participer à la croissance de mon enfant.

C’est un peu comme si Mélissa et moi terminions cette grossesse à deux.» Son épouse est également ravie de vivre ces tendres moments avec lui. «On se partage un peu cette fin de gestation, parce que Jan peut faire du peau à peau et moi aussi. Nous donnons tous deux à Sienna le dernier petit coup de pouce.» Cette technique consiste à poser le prématuré contre soi, sans qu’aucun tissu fasse obstacle, afin que la chaleur corporelle se transmette. Alors que Jan installe Sienna contre son torse nu, il précise que c’est aussi relaxant pour elle que pour lui. Il chantonne tout doucement et, habituellement, tous les deux s’endorment rapidement. Il souligne d’ailleurs la qualité réparatrice de ce sommeil partagé.

«
Sienna et moi nous endormons lorsque nous faisons du peau à peau
Jann Haesler, papa comblé
»

«J’ai retrouvé une forme de sérénité ici, dans le service de néonatologie, qui est comme une espèce de bulle à l’intérieur de l’hôpital», confie Mélissa. En effet, tout est fait pour installer les prématurés dans un cocon empli de douceur, qui est aussi enveloppant pour les parents. Des dessins au murs rendent les lieux moins cliniques. Les stores sont baissés, car les yeux des tout petits sont très sensibles à la lumière. Tout le monde parle doucement. Et une couverture colorée et douillette, avec des motifs typiques de la petite enfance, donne une impression de normalité. Elle a été offerte par «La couette du cœur». 

«Elles sont cousues tout spécialement pour les prématurés par une soixantaine de bénévoles et, sur chaque couette, on retrouve un cœur, qui est notre marque de fabrique», précise Corinne Gaudin, présidente de cette association qui, depuis 2007, a déjà distribué plus de 9500 de ces moelleuses couvertures en patchwork. «On peut les poser sur les couveuses pour protéger les bébés de la lumière, les utiliser pour les envelopper lorsqu’on les en sort ou pour les couvrir lorsque le père ou la mère fait du peau à peau. Plus tard, à la maison, elles pourront être utilisées comme tapis de jeu.»

Des attentions touchantes

«Nous avons été très étonnés et touchés de découvrir tout ce que font les associations pour les prématurés, confie le jeune couple. Nous ne nous attendions pas à recevoir autant de choses, la ravissante couverture, la petite pieuvre et le sac de 'Né trop tôt' rempli de petits cadeaux. On nous l’a donné un soir où nous étions un peu paniqués, car on nous avait annoncé qu’il fallait mettre Sienna sous oxygène un moment. Alors ce petit geste, ces attentions ont ramené une forme de normalité, de parentalité, estompant un peu le côté hospitalier. Un doudou, une couette, un pyjama adapté à la taille de notre petite fille, ça peut paraître anodin, mais au niveau du moral, c’est important, ça donne du courage. C’est précieux.»

Lors de leur rencontre avec Geneviève Krasniqi, responsable de l’antenne neuchâteloise de Né trop tôt, la troisième bonne fée qui offre son soutien aux prématurés et à leurs parents, elle leur a expliqué que l’association souhaite apporter un peu de douceur et de bienveillance. «Ces petits sacs, je les prépare avec mes filles, qui sont contentes de participer parce que cela fait partie de leur histoire aussi. Les deux dernières sont nées prématurément. Elles ont aujourd’hui 18 et 13 ans.»

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Nous avons vécu les mêmes émotions
Geneviève Krasniqi, maman de prématurées et bénévole pour «Né trop tôt»
»

En effet, une des particularités de l’association est que ses bénévoles ont un lien intime avec la prématurité, ce qui leur permet de soutenir les familles, de partager leur expérience, d’apporter un message d’espoir aussi. «Même si chaque histoire est différente, nous avons vécu les mêmes émotions, eu les mêmes ressentis, nous avons franchi les mêmes étapes.»

«Né trop tôt» offre du soutien par les pairs en accompagnant les parents de bébés hospitalisés depuis la grossesse jusqu’au retour à la maison.
Photo: Blaise Kormann

Le parcours de grossesse de Geneviève Krasniqi est très riche en émotions. «J’ai été enceinte sept fois et j’ai trois enfants vivants. Trois filles. J’ai donc vécu le deuil périnatal à plusieurs reprises, dont une fois en 2006 en perdant un bébé que je portais depuis cinq mois et demi; notre petit garçon, que nous avons appelé Aidan, est notre petite étoile qui nous guide. Elya, elle, est née en 2007, à 25 semaines. Elle ne pesait que 700 grammes. C’était terrible de voir ma fille si petite, si fragile, branchée de partout. Et d’entendre en permanence tous les bips-bips des machines. Son pronostic vital était très engagé. A plusieurs reprises, on nous a annoncé que nous devions nous préparer au pire, mais moi, j’ai toujours cru en elle, j’ai toujours gardé espoir. Je me suis dit que ça allait être dur, très, très dur, mais qu’on allait y arriver. Et aujourd’hui, elle a 18 ans.» 

«
C’est un peu comme si Mélissa et moi terminions cette grossesse à deux
Jan Haesler, papa très impliqué dans la vie de sa fille Sienna
»

La naissance de Camilya a également été compliquée, même si c’était une grossesse extrêmement surveillée. «Malgré toutes les précautions, elle est née à 32 semaines. Les quinze premiers jours ont été très éprouvants, car elle était instable au niveau respiratoire. Dans les deux cas, le plus affreux, ça a été de rentrer à la maison et de devoir laisser mes filles à l’hôpital. Sans savoir pour combien de temps.» Aujourd’hui, cette maman offre donc avec bienveillance son soutien aux parents vivant ou ayant vécu des expériences similaires.

Le 17 novembre, le CHUV, l’hôpital de Sion et d’autres centres romands de néonatologie organisent des événements à l’occasion de la Journée mondiale de la prématurité. Geneviève Krasniqi, elle, sera présente avec d’autres bénévoles de Né trop tôt, de 14 heures à 17 heures, à Neuchâtel, à l’hôpital de Pourtalès, pour faire connaître cette belle association. Sienna, elle, ne sera plus là. «Notre petit ange est rentré à la maison avec nous le 1er novembre. Elle est en pleine forme, mesure 45 cm et pèse désormais plus de 2,4 kilos», nous a fièrement annoncé son papa il y a quelques jours. Il nous avait bien dit que c’était une battante!

Un article de «L'illustré» n°46

Cet article a été publié initialement dans le n°46 de «L'illustré», paru en kiosque le 13 novembre 2025.

Cet article a été publié initialement dans le n°46 de «L'illustré», paru en kiosque le 13 novembre 2025.

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