Le bonheur. Derrière ce mot galvaudé, chacun cache une idée, une sensation, un souvenir, parfois un rêve. A travers une série d’entretiens intimes et légers, nous avons demandé à des personnalités de tous horizons ce que signifie, pour elles, être heureux. Nos interlocuteurs ont accepté de se confier. Pas pour donner des leçons, mais pour partager une trajectoire, des doutes, des petits riens – et, peut-être, offrir aux lecteurs une boussole intérieure.
En 2024, Arnaud Rochat est devenu l'un des visages du mouvement pour l'amélioration des conditions de vie des paysans après avoir lancé la page Facebook «Révolte agricole suisse», qui a connu un immense succès. Agé de 25 ans, il est conseiller communal à Bavois (VD), où ses parents possèdent un domaine. Pour lui, le bonheur passe par la vie en plein air, avec ses odeurs et ses saisons. Son mantra? Cesser de se mettre la pression.
Arnaud Rochat, on a pu lire en début d’année dans le journal La Région que vous étiez désormais conducteur de camion. Vous avez donc quitté le monde paysan?
Je l’avais quitté partiellement, mais j’y suis revenu. Je suis à nouveau employé agricole, dans le canton de Fribourg. Pour moi, cela fait partie du bonheur.
Qu’est-ce qui vous rend heureux?
Ce sont les choses simples de la vie, qu’elles soient en lien avec la nature, mon entourage ou mon métier. Profiter d'un joli coucher de soleil, d’une rencontre avec un animal sauvage. Partager un moment convivial, comme un repas ou une promenade avec les gens que j’aime. Pouvoir exercer une profession qui me passionne: aller voir mes vaches dans le champ, constater qu’elles sont épanouies et paisibles.
Le bonheur, c’est quand vos bêtes vont bien?
Je suis heureux quand j’ai un lien avec elles. J'aime être proche des vaches, pouvoir traverser le troupeau, les caresser, leur parler. Que ce soit en début ou en fin de journée, être seul au milieu des bêtes, c’est un moment privilégié et précieux pour moi.
Paysan, c’est un métier très contraignant. On n’a pas de vacances, on est tributaire de la météo… comment s’épanouir malgré ces contraintes?
Quand on est agriculteur, on est aussi chef d’entreprise. On peut donc s’organiser comme on veut, même s'il y a les aléas du métier. On vit au fil des saisons, avec la météo qui change, la végétation qui pousse au printemps. Et puis, il y a les odeurs. Dans un bureau, il n’y a pas beaucoup d’odeurs différentes, à part si votre collègue change de parfum. Nous, on a les odeurs de l’herbe coupée, des cultures, des vaches, des foins... autant de repères que beaucoup de gens ont perdus.
Est-ce que votre définition du bonheur a évolué avec le temps? Quand vous étiez adolescent par exemple, vous en aviez une autre vision?
Je n’étais pas forcément sûr à 100% de vouloir devenir agriculteur. J’avais cette pression de devoir faire des études, avec les clichés de la réussite: avoir un bon travail, une jolie voiture, organiser des belles vacances. En vieillissant, la qualité de la vie «de tous les jours» prend un peu plus de place.
N’y a-t-il pas des grands malentendus autour du bonheur?
Certaines personnes ont une vision trop matérialiste ou une définition trop absolue du bonheur. Alors qu’au final, la vie se fait comme elle doit se faire. Il ne faut pas trop se mettre la pression, s’imposer des obligations. Le quotidien n’a pas besoin d’être réglé comme une horloge. Certains préfèrent exercer un «sale boulot» et profiter durant les week-ends ou les vacances. Pour d’autres, il est important d’être vraiment heureux dans leur travail au jour le jour. C’est quelque chose de propre à chacun.
Quand on pense à l’agriculture, on voit surtout les problèmes: prix insuffisants, normes exigeantes, bouleversement climatique, taux de suicide élevé dans la profession… est-ce que vous fréquentez beaucoup de paysans heureux?
Comme les journalistes, les agriculteurs sont heureux quand ils peuvent exercer leur profession selon leur définition, leurs envies. Parce que c’est un métier varié. Il faut bien sûr un cadre et des exigences. Mais quand on est soumis à des contraintes auxquelles on ne voit pas forcément de sens ou qui ne correspondent pas à notre manière de faire, cela devient compliqué. Et quand ces contraintes prennent de plus en plus de place dans le quotidien, les paysans peuvent effectivement se sentir seuls et moins épanouis.
Avez-vous déjà eu l'impression de tutoyer le bonheur absolu?
Durant l’enfance, quand je n’avais pas encore trop conscience des problèmes de la société, j'étais peut-être plus heureux. Lorsque j'avais peu de leçons à faire à la maison, je pouvais profiter des plaisirs de l’agriculture sur le domaine de mes parents ou de mes voisins, sans les défis financiers ou autres.
Le bonheur, il se cultive ou il arrive par surprise?
Un peu des deux, je pense. Il faut se laisser surprendre, être ouvert à ce qui nous arrive, ne pas forcément voir du négatif dans les imprévus. Mais c’est aussi à nous de prendre du temps pour réaliser des choses qu'on aime.
Y a-t-il quelque chose que vous avez arrêté de faire pour être plus heureux?
Penser un peu plus à moi et un peu moins aux autres. Sans être forcément égoïste. Et moins planifier, me laisser davantage de liberté.
Est-ce que vous avez besoin de solitude pour être heureux?
Oui, cela en fait partie. Surtout dans le monde actuel, qui est un peu surchargé. Certains agriculteurs n’ont pas assez de contacts sociaux, parce qu’ils vivent dans des coins reculés ou qu’ils sont trop pris par leur travail. A contrario, il ne faut pas oublier de se retirer et de penser à soi si on a une vie sociale chargée.
Avez-vous un rituel, une habitude qui vous aide à vous approcher du bonheur?
J’essaie de réfléchir en termes qualitatifs plutôt que quantitatifs. Consacrer suffisamment de temps aux personnes ou aux activités qui comptent vraiment pour moi, quitte à en laisser d’autres de côté.
Lesquelles par exemple?
Une partie des attentes de ma famille. J’ai renoncé à me rendre à chaque anniversaire ou à chaque fête, pour choisir les occasions qui me tiennent vraiment à cœur. Pareil pour les amis. Il y a des relations qui sont secondaires et qui prennent du temps sur celles qu’on peut avoir avec de très bons amis.
Si vous pouviez offrir une clé du bonheur à nos lecteurs, ce serait laquelle?
Simplement de profiter de la nature qui nous entoure. Si on en a une approche respectueuse, elle a beaucoup à nous offrir.