Le bonheur. Derrière ce mot galvaudé, chacun cache une idée, une sensation, un souvenir, parfois un rêve. A travers une série d’entretiens intimes et légers, nous avons demandé à des personnalités de tous horizons ce que signifie, pour elles, être heureux. Parce que parler du bonheur, c’est déjà en faire un peu naître.
Qu’est-ce qui les apaise, les élève ou les aide à traverser les jours gris? Le bonheur se fabrique-t-il ou se découvre-t-il? Peut-on en donner une définition? Existe-t-il des clés à transmettre?
Joseph Gorgoni, interprète de l'inénarrable Marie-Thérèse Porchet, a beaucoup de choses à dire sur le bonheur. Peut-être parce que la vie a failli lui échapper, par deux fois. En 2020, le comédien recevait deux nouveaux poumons pour soigner une fibrose pulmonaire idiopathique, une maladie qui durcit cet organe. Quelques semaines plus tard, le Genevois contractait le Covid et sombrait dans un coma de quarante-deux jours, intubé.
De cette expérience, Joseph Gorgoni a tiré un spectacle au succès fou, «Trans Planté». Aujourd'hui complètement remis, il s'apprête à remonter sur la scène du Knie pour la cinquième fois. L'artiste, dans la peau de Marie-Thérèse, démarrera la tournée romande du cirque le 22 août à Neuchâtel et suivra la troupe jusqu'au 3 novembre. Avant cela, il nous a éclairé sur sa quête du bonheur, depuis ses vacances au bord de la mer.
Joseph Gorgoni, qu’est-ce qui vous rend heureux au quotidien, de façon simple et concrète?
Le fait de ne plus être malade. On ne se rend pas compte de la chance d’être en bonne santé tant qu’on n’a pas été malade. Mais aussi faire ce que je veux, quand je veux, dans un pays où je peux être qui je suis, et qui me permet d’aller où je veux. Ça me rend très heureux.
Avez-vous une définition personnelle du bonheur? A-t-elle évolué avec le temps?
On vit dans un pays où on peut être très heureux, et les gens l’oublient un peu facilement. J’ai la chance de voyager beaucoup. Maintenant, je suis content de partir, mais aussi content de revenir. Mais la définition du bonheur, c’est très personnel. On ne se rend pas toujours compte qu’on est heureux. C’est quand il nous arrive des saloperies qu’on se dit: «ah, c’était ça le bonheur».
Quel est, selon vous, le plus grand malentendu autour du bonheur?
A l’époque, on faisait croire à tout le monde que c’était d’être marié, d’avoir des enfants, de travailler. Le bonheur, c'est d’être libre avec soi-même. Faire croire aux gens qu’ils vont être heureux en suivant une route tracée par les autres, ce n’est pas du bonheur.
Y a-t-il un moment de votre vie où vous avez touché du doigt le bonheur absolu?
Moi, je ne sais pas ce que ça veut dire. J’ai la chance de faire un métier qui me remplit de bonheur, et que ça marche. Ça ne veut pas dire que c’est acquis. Il y a pleins d’aléas, les problèmes de santé, les gens qui meurent autour de soi. Mais j’ai la chance de faire des grandes salles et quand le public se lève à la fin, ça me remplit de vie.
Des milliers de personnes qui vous applaudissent, c’est un shoot de bonheur?
Ce n’est pas le nombre qui compte, mais le fait d’être apprécié. Je ramène tout à ma maladie parce que ça m’a beaucoup marqué, mais quand les gens ont appris ce qu’il m’arrivait, j’ai reçu une avalanche de messages d’amour et de soutien. Manuscrits, électroniques, les gens m’arrêtaient même dans la rue. Des personnes malades m’écrivaient pour me demander des conseils. Je me suis dit que cette notoriété était peut-être utile? Ça me rend très heureux. Quand on est humoriste, on est vraiment tout seul sur scène, il n’y a pas de musiciens. On voit le public qui nous aime – et si je fais ce métier, c’est pour être aimé –, mais c’est fugace. Dans la maladie, on peut s’enfoncer, ou en faire quelque chose. J’en ai fait un spectacle qui a été un grand succès. On peut s’en sortir par l’humour.
Le bonheur se cultive-t-il ou survient-il par surprise?
C’est un état d’esprit. Il y a peut-être des gens qui ne sont pas faits pour le bonheur? Je me suis sorti de situations compliquées par l’humour, par le fait d’être très entouré. Évidemment, ça se cultive. On doit faire un peu attention aux autres. Le bonheur, ça se partage, et il faut essayer de faire en sorte que les autres soient heureux autour de soi.
Qu’est-ce que vous avez cessé de faire pour être plus heureux?
Quand on démarre comme comédien, on a envie de plaire à tout le monde. Puis, on se rend compte que ce n’est absolument pas comme ça qu’on y arrive, mais je ne l’ai pas décidé, ça s’est fait comme ça. J’ai aussi arrêté de fumer, mais si j’avais pu continuer, je l’aurais fait. Ça me rendait très heureux de fumer. Mais la dépendance, je n’aimais pas. Et je n’aurais peut-être pas pu être opéré si je n’avais pas arrêté. Je me sens beaucoup mieux, quand même. Ça ne me fait plus envie, peut-être de temps en temps pendant deux secondes au bord de la mer.
Quelle place tient la solitude dans votre quête du bonheur?
J’adore être seul, de temps en temps, parce que je le choisis. Ça, c’est un bonheur. En revanche la solitude subie, les gens seuls, c’est vraiment triste. Quand on est seul parce qu’il n’y a plus personne autour, c’est terrible. Ce n’est pas quelque chose qui me fait peur parce que ça ne m’arrivera jamais, je pense. Mais c’est la pire des choses, de ne rien partager de la vie. La vie, ça se partage.
Avez-vous une habitude, une pratique ou un rituel qui vous aide à approcher le bonheur?
J’écoute beaucoup de musique. Je ne pourrais pas vivre sans.
Quel livre, film ou rencontre a changé votre manière de penser le bonheur?
Ça n’a pas vraiment changé ma manière de penser. Il y a des films qui nous marquent plus que d’autre, comme Sunset Boulevard, avec Gloria Swanson qui joue une vieille star du muet. C’est un film extraordinaire qui m’a beaucoup marqué quand je l’ai vu à 13 ou 14 ans, qui m’a touché par rapport au métier que je fais. Il parle de l’oubli. Être oublié par le public. C’est très triste, pathétique. J’étais très ami avec Patrick Juvet qui vivait un peu cela. Se rendre compte que rien n’est gravé dans le marbre permet de réaliser que le moment présent est précieux. Il faut entretenir ce bonheur, positiver, même si c’est facile à dire.
Et une personne peut-être?
Je vis avec Florian depuis 25 ans. Ça change tout et rien. Je fais un métier qui me permet de vivre de manière très confortable. J’ai toujours aimé le luxe, les beaux hôtels, et ce sont des choses qu’il faut partager. Être seul dans un bel endroit, c’est sinistre. Florian, c'est ma famille, ça m’apporte beaucoup. On est heureux parce qu’on est heureux à deux. Je ne sais pas comment j’aurais vécu tout ce qui m’est arrivé si j’avais été seul. On a partagé la peine, on partage la joie.
Si vous pouviez offrir une seule clé du bonheur aux lecteurs, laquelle serait-elle?
Je me répète, ce doit être l’âge… Mais il faut être conscient au moment présent que le bonheur, c’est là, c’est maintenant. Les gens se plaignent quand même beaucoup, et de plus en plus. Arrêtons de nous plaindre!