En quête du bonheur
Estelle Revaz: «Plus on est dans la performance, moins on peut profiter des plaisirs simples»

Cet été, Blick part en quête de bonheur! Chaque jour, une voix romande se confie. Pas pour donner des leçons, mais pour partager une trajectoire, des doutes, des petits riens. Quatrième invitée: la conseillère nationale et artiste Estelle Revaz.
Publié: 24.07.2025 à 22:36 heures
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Dernière mise à jour: 25.07.2025 à 09:53 heures
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A 36 ans, la musicienne et politicienne Estelle Revaz est en pleine réflexion pour trouver l'équilibre vital qui mène au bonheur.
Photo: Keystone
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Lucie FehlbaumJournaliste Blick

Le bonheur. Derrière ce mot galvaudé, chacun cache une idée, une sensation, un souvenir, parfois un rêve. A travers une série d’entretiens intimes et légers, nous avons demandé à des personnalités de tous horizons ce que signifie, pour elles, être heureux. Parce que parler du bonheur, c’est déjà en faire un peu naître.

Qu’est-ce qui les apaise, les élève ou les aide à traverser les jours gris? Le bonheur se fabrique-t-il ou se découvre-t-il? Peut-on en donner une définition? Existe-t-il des clés à transmettre?

Artiste de haut vol, l'élue socialiste au Conseil national Estelle Revaz mène une vie rythmée par la performance, entre concerts aux quatre coins du monde et débats politiques sous la Coupole. Mais derrière cette quête d’excellence se cache une autre recherche, plus intime: celle de l'équilibre. Comment l’apprivoiser, quand le quotidien est fait d’exigence, de solitude et d’émotions XXL? Pour Blick, la Valaisanne, genevoise d'adoption revient sur sa définition du bonheur.

Estelle Revaz, qu’est-ce qui vous rend heureuse au quotidien, de façon simple et concrète?
C’est une réflexion qui m’habite en ce moment. J’ai cette double vie d’artiste et de politicienne, que j’essaie d’accorder. Il y a deux grands paramètres dans ma vie: celui de la performance, qui est lié à mon métier, et le fait de pouvoir profiter de la vie sous un motto qui pourrait être «Carpe Diem». Plus on est dans la performance, moins on peut profiter des plaisirs simples, c’est une loi de la nature. Etre heureuse, c’est peut-être trouver un équilibre entre ces deux aspects. Mais quand je joue en concert et que j’approche un idéal, je partage avec mes collègues et avec le public des moments magiques, extrêmement intenses émotionnellement. J’ai presque l’impression de voler et ce sont des instants de pur bonheur.

Avez-vous une définition personnelle du bonheur? A-t-elle évolué avec le temps?
C’est peut-être d’arriver à trouver l’harmonie entre le passé, le présent et l’avenir.

Quel est, selon vous, le plus grand malentendu autour du bonheur?
Le fait d’associer la réussite au bonheur. Quand je regarde mon année écoulée, entre les 70 concerts que j’ai donnés sur plusieurs continents, l’album que j’ai sorti, les victoires au Parlement, de l’extérieur, ça paraît enviable, plein d’étincelles. Mais la performance a une autre facette, celle de l’investissement et des sacrifices. Plus généralement, c’est pour moi une croyance philosophiquement fausse de considérer la réussite sociale, financière ou professionnelle comme le Graal du bonheur.

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Si la performance était l’égale du bonheur absolu, alors il suffirait de persévérer à l’infini dans cette direction
Estelle Revaz, violoncelliste et élue au Conseil national
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C’est un problème global dans notre société, non, d’être inondé d’images de gens triomphants et forcément, de vivre dans une forme de jalousie?
Personne ne peut ignorer que la réussite financière, par exemple, contribue au bonheur. Mais elle ne fait pas tout. C’est évident qu’une personne qui vit dans la précarité rencontre des difficultés qui peuvent freiner son bonheur. Le quotidien d’une personne très aisée financièrement est sans doute moins semé d’encoubles. Mais ça ne veut pas dire qu’en termes de bonheur absolu, celui qui vit dans l’opulence est plus heureux. Cette nuance-là est importante.

Vous parliez de sacrifices. Ils font partie de cette pesée des intérêts entre performance et petits bonheurs simples?
Je ne serais pas honnête si je disais qu’être performante et donc atteindre certains de mes rêves de musicienne ne me rendait pas heureuse. Mais le bonheur absolu est composé de choses beaucoup plus diverses. L’excellence nécessite un investissement personnel sans fin. Si la performance était l’égale du bonheur absolu, alors il suffirait de persévérer à l’infini dans cette direction. Sauf que cette direction nous coupe des bonheurs simples, mais ô combien agréables d’une rencontre avec des amis, d’un dîner en famille, simplement d’aller nager dans la mer.

La mer spécifiquement?
Oui, car ça enlève la corne des doigts, et donc si je me baigne dans la mer, je vais devoir prendre le temps de la reconstruire et ça aura un impact sur ma performance. Si je prends des vacances sans violoncelle, je vais devoir planifier un temps pour me remettre à niveau et serai, pendant un moment, moins performante. J’adore le ski… mais il y a le risque d’une blessure qui pourrait impacter négativement mes performances… Je réfléchis en ce moment à l’équilibre idéal. Profiter du bonheur que me procure mon métier, mais aussi de sentir le vent sur mon visage, aller à la plage ou à la montagne.

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On doit accueillir les surprises du bonheur avec joie, mais il faut aussi le cultiver
Estelle Revaz, violonceliste et élue socialiste
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Y a-t-il un moment de votre vie où vous avez touché du doigt le bonheur absolu?
Oui, lorsque je suis montée sur scène pour jouer le concerto de Schumann pour la première fois. J’étais accompagnée des musiciens de l’OSR. Les conditions étaient difficiles, il faisait extrêmement chaud, j’appréhendais aussi car on avait très peu répété. Au moment où je suis entrée sur scène, la magie a opéré. J’ai pris conscience que je réalisais un rêve. J’ai ainsi pu le vivre pleinement dans l’instant. Ça a été, je crois, l’un des plus grands bonheurs de ma vie.

Le bonheur se cultive-t-il ou survient-il par surprise?
Je dirais que les deux ne sont pas incompatibles. Je pense qu'on doit accueillir les surprises du bonheur avec joie, mais qu’il faut aussi le cultiver. Dans ma vie, dans ma quête de la performance, je me demande tout le temps ce que je peux améliorer. Le bonheur, c’est aussi savoir cueillir les surprises du moment présent, sans toujours se projeter dans l’avenir.

Cette quête de la performance vous motive aussi, j’imagine?
J’adore cette quête vers un idéal qu’on essaie d’approcher, mais qu'on n'atteindra jamais. On peut trouver une forme de bonheur à dépasser ses limites, à sans cesse découvrir des choses nouvelles, toujours s’améliorer. Je peux trouver du bonheur dans toutes les étapes du processus, que ce soit au moment d’imaginer mon objectif, au moment de l’exercer, de le répéter ou de le partager avec un public. Je peux être heureuse en vivant un moment exceptionnel sur scène, mais aussi en me le remémorant ou en l’anticipant mentalement. C’est peut-être toute la difficulté de ma vie, le fait de vivre des émotions extrêmement intenses grâce à mon métier. Je dois donc cultiver au quotidien les petits bonheurs simples de la vie qui sont peut-être moins intenses, mais tout aussi beaux… et bien plus reposants.

Qu’est-ce que vous avez cessé de faire pour être plus heureuse?
Pour l’instant rien. Mais je suis en pleine réflexion pour mieux articuler les émotions gigantesques que je ressens sur scène, et les bonheurs simples du quotidien. Mon curseur du bonheur est naturellement associé à des émotions assez extrêmes. Je dois donc apprendre à cueillir avec délicatesse et joie les petits bonheurs du quotidien. Un rayon de soleil qui effleure le visage, ça peut être un grand bonheur – mais encore faut-il lui laisser suffisamment de place pour qu’il puisse s’épanouir. 

Quelle place tient la solitude dans votre quête du bonheur?
C’est très intéressant parce qu’en réalité, ma vie de concertiste est très solitaire. Je passe beaucoup plus d’heures à travailler mon instrument seule, qu’à répéter avec mes collègues ou à être sur scène. Une heure de concert va avec des centaines d’heures de travail toute seule. Je passe donc l'immense partie de mon temps toute seule. Mais j’aime la solitude. Toute seule chez moi, je peux tout à fait ressentir du bonheur. Parfois, par le biais de ces petits bonheurs du quotidien qui ont l'air de rien comme ça, mais qui apportent un bien-être important sur le moment.

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J'essaie tous les soirs de me rappeler trois petits bonheurs simples de la journée
Estelle Revaz, violoncelliste et élue au Conseil national
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Avez-vous une habitude, une pratique ou un rituel qui vous aide à approcher le bonheur?
Pour cultiver, il faut arroser, mettre de l'engrais. J'essaie tous les soirs de me rappeler trois petits bonheurs simples de la journée. Ça me vient de ma mère, qui nous demandait ça quand on était petits. En général, je fais trois petits bonheurs, et ensuite, trois personnes bienveillantes que j’ai rencontrées dans la journée.

Quel livre, film ou rencontre a changé votre manière de penser le bonheur?
Je crois plutôt que ce sont des phases de vie, où l’équilibre entre quête de performance et bonheurs du quotidien était mesuré. Ou des épisodes de vie où je me suis rendue compte que j’allais trop d’un côté. Moi, de nature, j’ai tendance à aller trop du côté de la performance, j’ai été élevée et formée comme ça, puis je suis devenue violoncelliste professionnelle dans un secteur ou la concurrence est très dure. C’est un schéma puissamment ancré. Et l’équilibre parfait n’est pas le même à 20 ans, quand on prépare des concours internationaux, qu’aujourd’hui. Je viens d’avoir 36 ans et je réfléchis à un équilibre de vie plus global.

Si vous pouviez offrir une seule clé du bonheur aux lecteurs, laquelle serait-elle?
De prendre un moment pour se souvenir des bonheurs passés, pour ressentir les bonheurs présents et se réjouir de ceux à venir. Je crois vraiment qu’il faut trouver l’harmonie entre passé, présent et avenir. Et puis de cultiver le bonheur, ça ne se fait pas seulement d’un point de vue intellectuel, mais aussi de façon sensorielle. Ressentir les émotions, les sensations qu’on a eues dans les grands moments de bonheur permet d’en profiter pleinement.

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