Un vaste système de fraude sociale a été mis au jour à la rue de Genève 85. Selon le Ministère public vaudois, 41 personnes ont perçu indûment des prestations sociales pour un montant total de 1,9 million de francs, en se déclarant faussement domiciliées dans cet immeuble lausannois.
Au cœur du dispositif: des faux baux à loyer fabriqués depuis l’intérieur même du bâtiment, fournis, révèle le Ministère public, par l’ancien gérant et le concierge. Tous deux ont été interpellés, placés en détention provisoire, puis remis en liberté. Ils sont prévenus d'escroquerie, de blanchiment et de faux dans les titres et auraient encaissé plusieurs centaines de milliers de francs. La Direction générale de la cohésion sociale de l’Etat de Vaud a déposé plusieurs plaintes pénales, et d’autres pourraient suivre.
Cette affaire s’inscrit dans un contexte déjà explosif. Depuis des années, la rue de Genève 85 est associée au trafic de stupéfiants, aux sous-locations abusives et à une grande précarité.
Découverte en cours d'enquête
Début 2025, la Police municipale, la Police cantonale et le Ministère public avaient lancé une action coordonnée autour de l’immeuble. Les enquêteurs travaillaient surtout sur le trafic de drogue et l’occupation illégale de logements avant de mettre en lumière ce système de fraude.
Voici ce qu'ils ont découvert. Une quarantaine de personnes, titulaires d’un permis B, C ou F, déclaraient à tort habiter l’immeuble pour toucher la prise en charge de leur loyer. Grâce à de faux baux, ces individus – et dans certains cas, leurs conjointes domiciliées ailleurs et se déclarant faussement séparés – ont perçu illégitimement des prestations sociales entre 2018 et 2025.
Au total, 41 individus, des hommes et des femmes d’origine érythréenne, afghane, somalienne et suisse, âgées de 29 à 56 ans, font l'objet de plusieurs procédures pénales pour escroquerie. Le propriétaire de l'immeuble n’est à ce stade pas soupçonné d’avoir participé à la fraude. Pour rappel, il a également été placé en détention provisoire puis relâché fin octobre. Lui est suspecté d'incitation à l’entrée, à la sortie ou au séjour illégaux dans le but de se procurer un enrichissement illégitime.
Zone de non-contrôle de l'aide sociale
Face à ce nouveau développement, le conseiller communal PLR Nicolas Hurni a déposé mercredi une interpellation urgente. Pour lui, une question cruciale se pose. Les travailleurs sociaux ont-ils, à un moment donné, renoncé à se rendre sur place – par crainte, ou sur consigne formelle ou informelle?
Si l'élu lausannois salue la progression de l’enquête pénale, il juge indispensable d’examiner désormais la responsabilité institutionnelle. «Ce qui m’inquiète le plus dans le dossier de la rue de Genève 85, ce n’est pas seulement l’ampleur de la fraude, c’est le risque que Lausanne tolère des zones de non-contrôle de l’aide sociale, s'alarme-t-il. La solidarité ne tient que si les règles sont les mêmes pour tout le monde.»
Des questions lourdes pour la Municipalité
Dans son interpellation, Nicolas Hurni demande à la Municipalité d’expliquer comment un réseau de faux baux a pu prospérer dans un immeuble connu pour être problématique, malgré les alertes récurrentes et le suivi policier renforcé.
Il veut comprendre à quel moment et par quels canaux la Municipalité a été informée de l’enquête pénale relative à la fraude au social, et si elle a été associée, dès le départ, aux réflexions stratégiques menées autour de cet immeuble déjà classé sensible.
D'autres immeubles dans le même cas?
L’élu veut également savoir combien de personnes déclarant habiter au 85 ont été reçues par les services sociaux entre 2018 et 2025, et dans combien de cas leurs dossiers ont été transmis au Canton pour l’octroi de prestations.
Plus largement, il souhaite savoir si la Municipalité a identifié d’autres immeubles lausannois où les contrôles sociaux sont restreints, pour des raisons de sécurité ou d’organisation, et avec quelles solutions de substitution. L’élu réclame en outre un audit complet de la chaîne de traitement des dossiers liés au 85 – du premier accueil au versement des prestations, en passant par la transmission des dossiers au Canton.
Une affaire sensible en plein débat budgétaire
Cette interpellation tombe alors que la Municipalité affronte des discussions budgétaires tendues. Pour Nicolas Hurni, Lausanne n’a pas le luxe de temporiser.
Elle doit clarifier rapidement ce qu’elle savait, ce qu’elle a manqué. Mais également ce qu’elle entend corriger dans cette affaire emblématique des tensions, sociales comme sécuritaires, de la rue de Genève.