Vendredi matin à 8h, 73 patrouilles de soldats réunies à Lavey (VD) enfourchaient leurs vélos et s'élançaient sur la route du Concours d'armée 2025. Ce vaste rallye, le premier en Suisse depuis 2009, avait pour slogan «L'honneur de servir, le devoir de protéger!».
Le Groupement Défense organisait l'évènement du 20 au 23 novembre dans le but de tester l'excellence des 300 militaires participants. L'inscription, sur base volontaire, permettait aux soldats d'évaluer leurs capacités de défense. Et de se lancer un défi personnel.
Après une journée de vélo donc, les patrouilles auraient dû être héliportées en soirée du Chablais à l’Hongrin, près de la Lécherette, pour la partie technique de l'opération: une infiltration en montagne. Puis la réalisation de postes avec diverses tâches, comme simuler un kidnapping ou récolter des renseignements. Et enfin l'exfiltration, donc le chemin inverse.
Un soldat dénonce
Finalement, les conditions météo ont empêché les décollages et les participants ont cheminé sur les routes et non en plein cœur de la montagne. Mais l'organisation du concours a choqué un soldat chargé de l’encadrement.
Chargé avec son bataillon d’encadrer les candidats, il a contacté Blick. Cet exercice «très exigeant» et selon lui «dangereux» nécessitait une organisation «trop lourde pour de simples miliciens». Il affirme même avoir craint pour la sécurité des participants.
Méconnaissance de la région
«Les candidats, qui avaient une journée de vélo dans les jambes, démarraient à 23h leur infiltration en montagne. Ils avaient jusqu'à 8h du matin pour rejoindre des postes, transportant avec eux un gros paquetage et leurs fusils chargés», détaille notre interlocuteur.
La marche en montagne, avec gros paquetage, ne fait-elle pas partie intégrante de l'entraînement militaire? «Le problème, c'est que les patrouilles ne connaissent pas la région. Il a abondamment neigé, ça se passe dans la nuit noire et les encadrants n’ont de loin pas reçu une formation suffisante.»
Bataillon «à bout de nerfs»
C'est là le nœud du problème, selon lui. «Les sauveteurs ont appris à placer une personne sur un brancard, mais si elle a un membre cassé, ils pourraient aggraver sa blessure. Si quelqu'un tombe dans un ravin, il faut aller le chercher, mais ils n’ont jamais fait ça de leur vie. C'est hallucinant, tonne-t-il. Tout le bataillon était à bout de nerfs.»
De son côté, l’armée rejette l’idée que des tâches auraient été confiées à des soldats non formés. «Les miliciens sont tout à fait capables lorsqu’ils reçoivent l’instruction nécessaire. Les éclaireurs de recherche et sauvetage sont déjà formés à l’action en milieu difficile à l’école de recrue et ont reçu une instruction complémentaire par les spécialistes alpins, indique la porte-parole de l'armée, Delphine Schwab-Allemand. Les équipes engagées comprennent toujours des spécialistes brevetés et aucune tâche risquée n’est confiée à un personnel non formé.»
La communicante ajoute que le terrain du Petit-Hongrin est utilisé toute l’année et ne nécessite pas de spécialistes montagne. Par ailleurs, des zones à risque ont été interdites durant le concours, aussi en raison des risques d’avalanche.
Que faire sans la Rega?
Autre crainte vendredi: les conditions de vol. «Si la Rega ne peut pas se déplacer, je ne sais pas ce qu'on va faire, confiait alors le soldat. Et il n'y a qu'une seule patrouille de spécialistes montagne pour encadrer tout le monde.»
Notre source poursuit: «Les équipes de sauvetage ont signalé des zones dangereuses sur tout le secteur du concours lors d'une mission de reconnaissance. Ce sont les Alpes, et tous les participants ne font pas partie des forces spéciales… si plusieurs s'étaient blessés en même temps, ça aurait été très compliqué.»
Prise en charge médicale garantie en 60 minutes
Mais le dispositif de secours était suffisamment robuste pour l'armée, avec 19 spécialistes montagne répartis de manière à pouvoir intervenir immédiatement dans tous les secteurs. Delphine Schwab-Allemand indique par ailleurs qu'en cas d'incidents multiples, l'armée priorise et peut éventuellement engager des réserves. Avec ou sans hélicoptère.
«L’exercice reste sécurisé même sans appui aérien, car les patrouilles et les postes sont accessibles par la route, avec ambulances militaires et civiles en renfort, détaille la communicante. Certains axes ont été déneigés et des zones non accessibles ont été interdites. L’armée garantit une prise en charge médicale en moins d’une heure par une patrouille sanitaire avec médecin.»
Jouer à la guerre
Pour le soldat troublé par cet exercice d'ampleur, le risque encouru n'en valait pas la chandelle, même si, au final, il n'y a eu ni casse ni problème «hormis quelques hypothermies», nous glisse-t-il. «Tout ça, c'était pour jouer à la guerre. Prendre le risque de dormir dehors par ce froid pour un rallye grandeur nature même pas ouvert à la population, je ne comprends pas. Et l'organisation a dû être revue au dernier moment pour limiter les risques, en décidant par exemple de ne pas voler vendredi soir», souligne le milicien.
L’armée assure au contraire que la sécurité était prioritaire et encadrée de manière rigoureuse. Les participants n'étaient pas lâchés dans la montagne de manière improvisée, mais avaient au contraire du matériel technique adéquat.
«Les patrouilles évoluent sur un terrain reconnu, balisé et surveillé, avec un suivi permanent par des experts. En zone alpine hivernale, un réseau de télécommunication renforcé a été installé, et chaque patrouille dispose d’une balise GPS, d’un téléphone satellite et de téléphones privés. Toutes les patrouilles reçoivent un briefing complet et sont équipées contre le froid», liste Delphine Schwab-Allemand.
Un concours à quel prix?
Autre question du soldat remonté: le coût de l'exercice. A-t-il représenté une dépense démesurée? L'armée affirme que le prix de ce Concours est resté contenu.
La porte-parole Delphine Schwab-Allemand a épluché les comptes: «Le coût global reste conforme à un service de troupe, la majorité étant couverte par la comptabilité habituelle des cours de répétitions. Un budget d’environ 100'000 francs couvre les dépenses directement liées à l’organisation, comme le système de tracking ou du matériel spécifique. Des partenariats privés strictement encadrés complètent pour environ 16'000 francs. Les vols d’hélicoptère ne génèrent pas de coûts supplémentaires, car ils font partie de l’entraînement tactique régulier des Forces aériennes, y compris pour les vols de nuit et en montagne», énumère-t-elle.
Trop de risques, trop de responsabilités
L'Armée suisse maintient surtout que le Concours était ancré dans la réalité des troupes et de leur mission.
«L’armée s’entraîne dans toutes les conditions, hiver compris, car ses engagements réels ne dépendent ni de la saison ni de la météo, rapporte ainsi Delphine Schwab-Allemand. L’objectif n’est pas de rechercher le risque, mais d’entraîner les troupes à agir en sécurité, même en conditions difficiles, avec des risques maîtrisés et validés par les spécialistes.»
Notre source affirme comprendre l’idée d'une armée de milice et l’importance de l'entraînement. Mais pas comme ça. Faire un concours en plein hiver, dans la neige, avec des miliciens comme encadrants était un risque trop important à ses yeux. Il estime qu’on a fait porter «beaucoup trop de responsabilité» à des gens qui n’avaient rien demandé. Selon lui, enfin, cet exercice aurait clairement dû avoir lieu en été.