Ce sont quatre petites lettres d'apparence innocente, qu'on pourrait feindre de ne pas avoir lues. Avant de les comprendre, elles nous rappellent douloureusement les cours de chimie qui nous endormaient, ados, en moins de trente secondes. Oui, je comprends, c'est tellement plus facile d'ignorer les PFAS, cet acronyme compliqué et angoissant dont on parle tout le temps sans vraiment en parler. Le problème, c'est qu'à force d'être ignorées, les substances per- et polyfluoroalkylées (typiquement associées aux poêles en Teflon) ont probablement créé une véritable bombe à retardement.
On savait déjà qu'elles se cachaient partout et qu'il était devenu impossible de les éviter. Incapable de les expulser, l'organisme est alors contraint de les stocker, jusqu'à ce que la quantité devienne assez importante pour potentiellement interférer avec nos organes et notre santé. En d'autres termes, c'est un peu comme si on avalait tous les jours une quantité indéfinissable de polluants, sans le savoir. Même les nouveaux-nés présentent déjà des taux conséquents de PFAS dans le sang, pointent diverses études, dont celle de l'université Harvard.
Mais l'ampleur du problème semble encore nous échapper, notamment en ce qui concerne un type de molécule bien particulière. D'après une nouvelle étude alarmante, publiée début décembre par le Pesticide Action Network (PAN) européen, même les produits céréaliers contiennent des taux particulièrement élevés d'acide trifluoroacétique (TFA), une substance appartenant à l'immense famille des PFAS.
En octobre 2025, l'émission «A bon entendeur», en collaboration avec la publication «Bon à savoir», avait découvert cette molécule dans le pain et le vin romands. Mais ce serait encore pire que cela: d'après l'étude européenne, le TFA est présent en grandes quantités dans de nombreux autres aliments céréaliers, comme les pâtes, les croissants, la farine et les céréales de petit-déjeuner. Soit une catégorie alimentaire très large et consommée par des millions de personnes au quotidien. A noter que les aliments à base de blé sont les plus concernés.
En effet, la recherche a détecté du TFA dans 81,8% des produits analysés (soit 54 sur 66 aliments), issus de 16 pays européens, avec une moyenne de 78,9 μg/kg et une valeur maximale de 360 μg/kg. Le seuil de risque étant fixé à 10 µg/kg, selon le Pesticide Action Network, on parle de concentrations beaucoup trop élevées, alors que le TFA est potentiellement néfaste pour la santé humaine et animale, à long terme.
Comment le TFA arrive-t-il dans les céréales?
Pour rappel, cette molécule imprègne les plantes via des pesticides fluorés aspergés sur les cultures: les PFAS étant essentiellement utilisées pour repousser l'eau (à l'instar des poêles en Teflon antiadhésives ou des vêtements imperméables hydrofuges), elles s'avèrent très utiles pour assurer que les pesticides résistent aux averses.
Or, la présence du TFA n'est autre qu'un «accident», dans la mesure où l'acide trifluoroacétique n'est absolument pas nécessaire à l'efficacité des pesticides: il constitue un déchet résultant de la dégradation naturelle des composés fluorés (PFAS) que contiennent ces produits. Résultat: le TFA s'accumule malencontreusement dans les sols et les plantes, atterrissant ainsi dans nos placards.
Notons toutefois que le TFA se distingue des PFAS «classiques», ainsi que le souligne Federica Gilardi, responsable de recherche au sein de l’Unité de toxicologie et chimie forensique du Centre universitaire romand de médecine légal: «Le TFA possède seulement trois atomes de carbone, souligne-t-elle. Il est donc très petit et n'est pas éliminé par les selles, comme les autres PFAS, mais par les urines. Le problème, c’est qu’on manque d’informations à son sujet. Son impact aigu semble faible, malgré les taux importants observés dans l’environnement, mais on dispose de très peu de données quant à ses effets à long terme. Un impact négatif sur la reproduction a toutefois pu être observé chez l’animal, mais à des concentrations nettement supérieures à celles observées dans l'environnement.»
Pourquoi ce polluant n'est-il pas réglementé?
L'étude de Pesticide Action Network rappelle en outre qu'aucun taux maximum légal n'existe pour le TFA, en Europe et en Suisse. «En général, les légiférations sont appliquées substance après substance, indique Anne Onidi, journaliste scientifique à la Fédération romande des consommateurs (FRC). Or, la famille des PFAS est formée d’une bonne dizaine de milliers de molécules différentes. Cette politique ne permet donc pas de gagner, car dès qu'on limite une substance, il y en aura toujours une autre pour la remplacer.»
Notre intervenante précise que ces molécules sont toutes constituées de liaisons chimiques robustes, qui les rendent très résistantes, avec une dégradation extrêmement lente: «En suivant cette logique, il faudra donc des siècles pour interdire toutes les PFAS, déplore-t-elle. Cela devrait alerter les autorités, leur prouver qu'on ne peut plus se permettre d'analyser les PFAS individuellement.»
Des taux 100 fois plus élevés que dans l'eau potable
Pour illustrer la grande quantité de TFA présente dans les produits céréaliers, l'étude de Pesticide Action Network compare les taux identifiés avec ceux qu'on trouve généralement dans l'eau potable, en Europe. Résultat: les céréales en contiennent cent fois plus que l'eau du robinet. Une idée surprenante, mais plausible, selon Nathalie Chèvre, écotoxicologue à la Faculté des Géosciences et de l’Environnement de l’Université de Lausanne:
«En effet, cette substance s'accumule dans le sol, précise notre experte. Elle peut provenir des pluies chargées de polluants, suite à la dégradation des PFAS dans l’atmosphère ou être produites directement dans les sols suite à l’utilisation de pesticides perfluorés. Elle peut s'accumuler ensuite dans les plantes.»
Or, même à des taux inférieurs à celui des céréales, sa présence dans l'eau n'est pas négligeable. D'après l'Office fédéral de l'environnement (OFEV), cette substance est effectivement présente dans les cours d'eau et lacs suisses. Elle est toutefois moins présente dans ces derniers, en raison de leur large volume d'eau, qui dilue considérablement le TFA. Mais on parle tout de même d'une concentration entre 0,2 μg/l et 2,8 μg/l dans les cours d'eau, avec une augmentation au fil de l’écoulement. Si le TFA devait être régulé, les taux minimum fixés par la loi se trouveraient bien en dessous de ces quantités:
«Quand une molécule présente une toxicité avérée comme la cancérogénicité ou une reprotoxicité, ses produits de dégradation sont considérés comme pertinents, souligne Nathalie Chèvre. La concentration maximale dans l'eau est alors fixée à 0,10 µg/L. Or, en ce qui concerne l'eau potable, c'est extrêmement politique: si une telle réglementation devait s'appliquer pour le TFA, l'eau du robinet en Suisse ne serait plus considérée comme potable dans beaucoup de régions. Les entreprises de distribution d'eau sont donc déjà en quête d'une solution, pour anticiper cela.»
Un besoin de changement immédiat
Nos intervenantes s'accordent: tant que ce problème n'est pas empoigné de manière globale, rien ne changera. «La simple fixation de normes ne suffit plus, estime Nathalie Chèvre. Il faut désormais prendre le problème à la source, modifier les modes de production et trouver des alternatives.»
Mais les choses évoluent avec une lenteur qui consterne les scientifiques. Le conseiller fédéral Albert Rösti avait pourtant promis, lors de la Session d'automne du Parlement, de proposer un large éventail de solutions d'ici à la fin de l'année. De son côté, Federica Gilardi recommande de garder espoir, sans céder à la panique. «A mon sens, il n’est pas encore trop tard, encourage-t-elle. Mais oui, il faut absolument agir rapidement face à l’omniprésence des PFAS, et limiter vraiment la libération de ces produits dans l’environnement.»
Comment se prémunir au maximum?
Mais que fait-on, en attendant que les décideurs et décideuses prennent en main ce sujet épineux? Même une action immédiate ne verrait des bénéfices qu'après un certain temps. Et l'idée d'avoir ingéré du TFA pendant des années, via nos pâtes ou croissants préférés, est évidemment angoissante.
S'il est impossible d'éviter les PFAS ou d'en débarrasser le corps, Anne Onidi souligne l'importance d'acheter des aliments bios, dès que possible, afin de limiter notre exposition aux pesticides fluorés, qui génèrent le TFA.
Nathalie Chèvre, de son côté, recommande de réfléchir à ses habitudes quotidiennes, notamment en ce qui concerne les cosmétiques, les pesticides et l'origine des objets ou des vêtements qu'on achète: «La question de l'eau du robinet inquiète beaucoup l'opinion publique, alors que de nombreuses personnes ne se soucient guère de commander des objets sur des plateformes chinoises qui ne réglementent absolument pas l'utilisation de ces molécules», prévient-elle. Dans ce cas, à défaut de pouvoir «guérir», il s'agit donc avant tout de prévenir.