L'OFSP a refusé une large étude
Avons-nous renoncé à la lutte contre les dangers des PFAS?

Alors que l'OFSP vient de renoncer à une large étude nationale censée évaluer l'impact sur la santé des polluants, dont les PFAS, force est de constater que cette problématique demeure sans grandes mesures préventives. Pourquoi ce manque de réactivité?
Lors de la session d'automne 2025, Albert Rösti a assuré que son département élaborait un «éventail de mesures» contre les PFAS.
Photo: Keystone
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Ellen De MeesterJournaliste Blick

Durant la session d’automne 2025, le ministre de l’Environnement Albert Rösti formulait une promesse importante: face aux inquiétudes grandissantes concernant la contamination aux PFAS, notamment dans le canton de Saint-Gall, il assurait plancher sur la problématique et réfléchir à un «éventail de mesures», détaille le «Tages-Anzeiger».

Cependant, l’OFSP vient juste de renoncer à une large étude nationale, qui aurait probablement permis d’éclairer les liens entre l’exposition de la population au cocktail de polluants (dont les PFAS) et l’augmentation de certaines maladies. Ainsi que nous l’expliquait le Dr. Florian Breider, chef d’unité au laboratoire central de l’environnement de l’EPFL, ce type de recherche est nécessaire pour obtenir une idée globale de l’impact de ces substances et, ainsi, mieux viser des mesures préventives efficaces. Rappelons que divers polluants entrent en jeu et qu’il est extrêmement complexe d’analyser les conséquences des innombrables combinaisons possibles, ce qui rend la compréhension du risque plutôt floue, à ce jour. 

Divers travaux de recherche et projets d'assainissement sont en cours, au niveau international, mais d'autres mesures concrètes, notamment en ce qui concerne la réglementation de ces substances dans certaines industries, peinent à aboutir. 

Le risque semble lointain

Cela dit, pourquoi les autorités (en Suisse comme ailleurs) tardent-elles à prendre le taureau par les cornes, alors que l’inquiétude entourant les PFAS ne cesse de croître? Le fait que 57% des personnes testées en Suisse ont actuellement accumulé des taux de PFAS supérieurs au seuil d’innocuité, ainsi que le rappelait «24 Heures», donne-t-il l’impression qu’il est déjà «trop tard»? Que le problème est trop délicat, pas suffisamment clair? D’après les experts, le phénomène est particulièrement complexe, suscitant déni et illusion de non-urgence.

En ce qui concerne la fameuse étude suisse sur les PFAS, la Confédération évoque un manque de budget: les recherches auraient effectivement duré environ vingt ans, engendrant des coûts annuels de 10 à 12 millions de francs. Mais pour Florian Breider, il est possible que d’autres facteurs entrent en jeu: 

«Cette étude aurait pu créer des prises de conscience auprès des décideurs, en prouvant que la population générale est exposée à un véritable risque, déplore-t-il. Mais le problème, à mon avis, est plutôt d’ordre psychologique: il est plus facile de prendre des mesures face à un risque imminent. Dans le cas des PFAS et autres polluants, les conséquences interviennent souvent après de nombreuses années, ce qui diminue le sentiment d’urgence. Les effets, par ailleurs, sont diffus: on constate une augmentation progressive de certaines maladies, sans pouvoir clairement prouver le lien direct.»

En effet, aucune étude suffisamment large n’a pu, jusqu’ici, clairement définir le risque réel de notre exposition à ces substances, ni lesquelles impliquent le plus de risques.

Sommes-nous plongés dans le déni?

Pour la chercheuse Lisa Moussaoui, collaboratrice scientifique et chargée de cours à l’Université de Genève, la question du manque de réactivité est infiniment délicate. Car au niveau de la population, à l’instar de la question climatique, les mesures préventives peinent à être adoptées dans la vie quotidienne. Elles requièrent en effet des changements d’habitudes parfois inconfortables, lesquels peuvent seulement découler d’une véritable motivation:

«Pour le moment, nous ne disposons pas de beaucoup d’études permettant d’expliquer pourquoi la population prend ou non des mesures pour se protéger de ce type de substances, souligne-t-elle. Le domaine est peu étudié. On peut toutefois trouver des similitudes avec les questions environnementales ou d’autres comportements de santé comme la prévention de la cigarette, pour lesquelles l’imminence du risque joue également un rôle important: si on annonce aux jeunes qu’ils risquent de développer un cancer dans 40 ans, cela n’impactera pas autant leurs décisions que s’ils peuvent tomber malades demain.»

Un manque d’informations et d’outils

En outre, notre intervenante remarque un manque d’informations notable, auprès des particuliers, qui ignorent souvent les risques (qu’ils soient suspectés ou avérés) des substances omniprésentes dans leur environnement: «J’étudie les perturbateurs endocriniens et me rends compte qu’énormément de personnes ne réalisent pas que ces substances sont risquées ou ignorent le fait qu’il peut être dangereux de réchauffer son repas dans un contenant en plastique au micro-ondes, par exemple. La population n’a pas forcément connaissance de toutes les mesures préventives qu’on peut adopter.»

Dans ce sens, la chercheuse en déduit que le flou entourant le risque n’est pas propice au changement: «Car si on ne connaît pas le danger, on ne peut évaluer l’intérêt des alternatives. Il faut disposer de premières informations sur les risques, pour avoir envie d’aller plus loin et se renseigner sur les solutions possibles.»

Créer la panique n’est pas la solution

Faut-il, dans ce cas, brandir des informations alarmantes et susciter la peur chez la population, afin que le risque paraisse suffisamment grand pour motiver de véritables changements? Non, répond Lisa Moussaoui. C’est même tout le contraire: «Pour créer le changement, on a pu démontrer que la peur peut être contre-productive, explique-t-elle. Si on se sent incapable de réagir, on a tendance à se trouver des excuses pour ne rien faire et rester figé. En plus d’une conscience du risque, il faut armer la population d’une confiance en ses propres capacités à se protéger. Le fait de se sentir soutenu et de savoir clairement qu’il existe des alternatives sûres peut faire une immense différence.»

Pour conclure, notre experte souhaite déculpabiliser la population, en rappelant que l’entièreté de la responsabilité n’incombe évidemment pas aux particuliers: «Les législations et réglementations autour de certaines substances sont essentielles, affirme-t-elle. Car parfois, les composants de remplacement sont tout aussi toxiques: on peut notamment lire le label ‘sans BPA’sur certains produits, alors que le BPS, souvent utilisé en substitution, a des caractéristiques similaires qui suggèrent qu’il serait tout aussi risqué.» Pas de réelle solution, donc, pour le moment. Pour rester aussi prudent que possible, on peut toutefois intégrer ces habitudes quotidiennes, destinées à diminuer au maximum notre exposition.

La bonne nouvelle, c’est qu’on commence à en parler davantage. Et même annulée, cette grande étude suisse aura au moins eu le mérite d’attirer l’attention.

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