Migros, Digitec, Brack...
La nouvelle stratégie des entreprises suisses pour défier les géants chinois

Digitec Galaxus et Brack tiennent tête à leurs concurrents chinois et américains moins chers. Mais un nouvel acteur s'impose désormais sur le marché suisse.
Publié: 06:16 heures
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Les commerçants en ligne suisses Digitec Galaxus ...
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Erich Bürgler
Bilanz

Avec ses droits de douane punitifs, Donald Trump a donné des idées au cofondateur de Digitec Galaxus, Oliver Herren: «Seriez-vous prêts à acheter moins de produits auprès des groupes américains?», a écrit ce dernier sur LinkedIn. Selon lui, Galaxus serait «l'antithèse européenne du shopping en ligne d'Amazon aux Etats-Unis».

En effet, en Suisse, Digitec Galaxus dépasse de loin Amazon dans le commerce en ligne. Avec ses 2,8 milliards de francs, Digitec Galaxus réalise un chiffre d'affaires trois fois plus élevé qu'Amazon et se place clairement en leader du marché. Brack-Alltron – détenu par l'entrepreneur Roland Brack – est aussi devenu un acteur suisse puissant, avec un chiffre d'affaires annuel de plus d'un milliard de francs.

La concurrence chinoise inquiète

Au-delà de la concurrence américaine, ce sont surtout les concurrents chinois qui inquiètent. Après AliExpress, d'autres fournisseurs comme Temu, Shein et bientôt JD.com ont fait leur entrée sur le marché suisse, attirant un grand nombre de clients avec des prix alléchants. La recette de leur succès: fixer des prix ultra-bas, créer des stocks quasiment infinis et des campagnes agressives sur les réseaux sociaux.

Mais les acteurs suisses ne se laissent pas faire, au contraire. Digitec Galaxus a augmenté ses recettes de 18% en 2024 et devrait enregistrer un taux de croissance à deux chiffres pour l'année en cours. Hendrik Blijdenstein, Chief Commercial Officer, se dit confiant quant au futur des affaires. «2025 se déroule très bien jusqu'à présent. Nous poursuivons sur notre lancée de l'année précédente.»

Une malédiction et une bénédiction pour Migros

Digitec Galaxus vend surtout des articles électroniques, mais les ventes du secteur cosmétique sont en forte croissance chez le distributeur. Détenu majoritairement par Migros, le fournisseur en ligne se positionne comme un concurrent de sa maison mère. «Notre secteur des produits alimentaires de longue conservation se développe de manière particulièrement réjouissante», explique Hendrik Blijdenstein, qui travaille depuis plus de dix ans dans le management de Digitec Galaxus.

La grande variété de café, chocolat et lait végétal dépasse désormais celui de n'importe quel magasin Migros. Pour le géant orange, la réussite de sa filiale est à la fois une bénédiction et une malédiction. Plus les produits alimentaires passant par son canal sont nombreux, plus le résultat des différentes coopératives – qui luttent déjà contre la perte de parts de marché – en pâtit. En revanche, le chiffre d'affaires de Digitec reste au sein du groupe.

La concurrence disparaît

Les articles électroniques restent aussi très demandés par les clients des commerçants en ligne suisses, selon Digitec Galaxus et son concurrent Brack. Les géants de la branche profitent ainsi des problèmes d'autres fournisseurs suisses. Par exemple, le détaillant spécialisé Migros Melectronics a disparu en 2024. De même, le distributeur d'appareils électriques Steg a fermé ses 17 magasins et sa boutique en ligne en 2023. «Ce sont surtout les grands fournisseurs en ligne qui ont profité de la forte consolidation du marché suisse après la pandémie», explique Stefan Fraude, responsable des opération chez Brack-Alltron depuis juillet dernier.

Roland Brack l'a débauché de MediaMarkt, où il avait occupé le poste de CEO pendant moins de deux ans. Auparavant, Stefan Fraude a occupé des fonctions de direction chez le principal concurrent Digitec Galaxus pendant sept ans. Il veut maintenant positionner Brack – encore fortement lié à l'électronique grand public dans l'esprit de la clientèle – dans d'autres domaines. «A l'avenir, notre assortiment doit être plus vaste et couvrir le plus largement possible les besoins quotidiens, explique Stefan Fraude. Pour ce faire, nous travaillons à l'élargissement de l'assortiment dans des domaines tels que le sport et les loisirs, la beauté, l'alimentation ou encore les articles pour animaux.»

Ses opérations marketing coûteuses montrent bien que Brack veut passer à la vitesse supérieure. Par exemple, depuis la saison, la plus haute ligue de football suisse s'appelle Brack Super League. Parallèlement, le distributeur a ajouté à son assortiment des centaines d'articles de marques comme Adidas, Puma, Nike et Reusch.

Un marché cosmétique en pleine croissance

Ce n'est pas un hasard si les deux grands acteurs suisses mettent les bouchées doubles dans les cosmétiques et le sport. Dans ces domaines, les marges sont nettement plus élevées que pour les articles électriques classiques. Les clients préfèrent acheter des articles de sport chez des commerçants dignes de confiance plutôt que chez les fournisseurs en ligne chinois bon marché, envahis de contrefaçons. Il en va de même pour les cosmétiques: les consommateurs ne veulent appliquer que des produits fiables sur leur peau et n'hésitent pas à payer un peu plus pour cela. 

Malgré un succès persistant, la concurrence d'Extrême-Orient est scrutée avec attention et respect. «Les fournisseurs chinois voient grand et réalisent leurs projets incroyablement vite», explique Hendrik Blijdenstein. Ainsi, selon les estimations de la société de conseil Carpathia, Temu a réalisé un chiffre d'affaires de 700 millions de francs en 2024, soit le double par rapport à l'année précédente.

Plus d'un tiers de ce chiffre provient de la catégorie mode, le talon d'Achille de Brack et Digitec Galaxus. Mais les concurrents chinois veulent continuer leur assaut des commerçants en ligne suisses. Désormais, Temu s'adresse de manière ciblée aux fournisseurs suisses qui peuvent vendre leurs marchandises sur la plateforme. Le message est clair: Temu ne doit pas être synonyme de camelote chinoise, mais de marchandises de qualité.

Le nouveau venu de Chine

Un nouvel acteur fera bientôt son entrée sur le marché européen. JD.com, le leader chinois du commerce en ligne, a fait une offre d'achat aux actionnaires de Ceconomy, la société mère de MediaMarkt et Saturn. Pour environ 2,2 milliards d'euros, JD.com veut prendre le contrôle des chaînes de magasins d'électronique et faire son trou dans les centres-villes européens. Ce rachat devrait aussi avoir des répercussions sur le marché suisse. Contrairement à Temu et Cie, JD se concentre fortement sur l'électronique grand public.

Dans ce contexte, la grande question est la suivante: quelle priorité le géant chinois accorde-t-il à la petite Suisse? Selon David Morant de la société de conseil Carpathia, c'est encore un mystère. «Il reste à voir avec quel sérieux JD.com développera le marché suisse avec MediaMarkt. Mais il est certain que MediaMarkt profitera de la simple puissance d'achat de la nouvelle maison mère sous la forme de meilleures conditions d'approvisionnement». De plus, MediaMarkt peut profiter du savoir-faire de JD.com, par exemple pour l'imbrication du virtuel et du réel. «Avec une offre omnicanale améliorée, des commerçants comme Interdiscount pourraient avoir plus de concurrence.»

Fin de Microspot

Interdiscount appartient à Coop, qui a réduit ses activités en ligne au cours des dernières années. En 2023, le détaillant a mis fin à Microspot, le distributeur créé pour faire face à Digitec et qui disposait de sa propre place de marché pour les fournisseurs tiers. A la place, il s'est concentré sur Interdiscount en tant que canal en ligne. Toutefois, ses concurrents ont profité de ce changement de stratégie. «On estime qu'Interdiscount a réalisé environ un tiers du chiffre d'affaires de Microspot. Le reste est allé à la concurrence», explique David Morant.

Pendant ce temps, les acteurs chinois n'occupent pas seulement les fournisseurs suisses. Selon les estimations de Carpathia, le géant américain Amazon a récemment perdu des plumes en Suisse, avec un chiffre d'affaires en léger recul à 910 millions de francs. La raison: la forte concurrence de Temu pour les petits envois de marchandises, qu'Amazon propose également depuis des tiers en Chine. Digitec Galaxus propose aussi un large choix de produits de fournisseurs tiers, mais avec un délai de livraison rapide.

La recette du succès de Brack

Brack, en revanche, renonce à une place de marché et mise sur la grande disponibilité de tous ses produits. Une stratégie avantageuse, selon David Morant: «Brack marque des points avec un grand entrepôt: les commandes sont regroupées et livrées le lendemain en un seul paquet. L'accent est mis sur une grande fiabilité et le service-client, non sur le prix le plus bas.» Brack se distingue clairement de Digitec sur un point: avec Alltron, Brack gère un grand magasin d'entreprise. Sa marque B2B fournit aux commerçants spécialisés et aux prestataires de services des produits dans les domaines de l'informatique, des télécommunications et de l'électronique grand public. L'entreprise propose des solutions logistiques qui facilitent la distribution auprès des clients commerciaux.

Les commerçants stationnaires font également partie de sa clientèle. Mais le passage du réel au virtuel pèse sur cette activité. En revanche, le passage à Windows 11 dans le secteur professionnel génère des recettes supplémentaires. L'année dernière, Brack-Alltron a pu maintenir son chiffre d'affaires global malgré la vente de sa filiale Healthcare Medidor. Dans le secteur de la clientèle privée, l'entreprise a connu une croissance à deux chiffres en pourcentage.

Amazon roi en Allemagne

Toutefois, ces dernières années la filiale de Migros Digitec Galaxus a progressé nettement plus rapidement en termes de chiffre d'affaires. Cette progression est due en grande partie à sa tentative de s'implanter en Allemagne avec une boutique en ligne. Cette stratégie a fait baisser le chiffre d'affaires, mais pèse sur le résultat. En 2024, le distributeur a réalisé un chiffre d'affaires de 362 millions d'euros à l'étranger. La dernière perte annoncée dans les activités allemandes s'élevait à plus de 61 millions d'euros en 2023. De quoi susciter des critiques chez les observateurs de Migros, ce qui fait réagir ses responsables: «Nous sommes en plein dans la course en Allemagne depuis le lancement», déclare Hendrik Blijdenstein. «Nous croyons à 100% en nos activités en Allemagne.»

Le post LinkedIn d'Oliver Herren, le CIO de Digitec-Galaxus, s'adressait donc en premier lieu au public allemand. Amazon est le roi de la vente en ligne en Allemagne, tandis que la filiale de Migros n'est qu'un adversaire chétif. «En Allemagne, on ne nous connaît pas (encore) très bien. Cela doit changer», écrit Oliver Herren. Les points forts de Digitec Galaxus sont les suivants: d'innombrables évaluations de produits, des contributions rédactionnelles critiques et l'évolution des prix qui peut être suivie de manière transparente sur le site Internet. De plus, la clientèle suisse devrait partager son retour-client avec le pays voisin, souhaite Oliver Herren.

ChatGPT, un rabat-joie

Mais combien de temps ces atouts continueront-ils à porter leurs fruits? Avec l'apparition de modèles linguistiques basés sur l'IA comme ChatGPT, les règles du jeu du commerce en ligne pourraient radicalement changer. Les agents d'achat – des assistants numériques qui recherchent des produits, comparent les prix et commandent auprès du fournisseur le moins cher ou le plus rapide au nom de la clientèle – pourraient automatiser votre shopping en ligne. Les contributions rédactionnelles ou les évaluations des clients – qui constituent aujourd'hui encore un élément important dans votre décision d'acheter – risquent de perdre de leur importance. Une chose est sûre: la transparence sera encore plus grande et la guerre des prix encore plus rude.

Les leaders suisses du marché en ligne profitent encore de leur proximité avec la clientèle, d'une logistique fiable et d'un assortiment qui inspire confiance. Digitec Galaxus et Brack pourront-ils défendre les recettes de leur succès si l'intelligence artificielle réécrit les règles du jeu? Au lieu de mots-clés optimisés par Google, qui assurent la visibilité dans le moteur de recherche, à l'avenir, d'autres stratégies seront plus importantes pour être référencés dans les modèles linguistiques.

Nul ne connait encore les critères utilisés par ChatGPT dans ses recommandations. Une chose est sûre: le premier à comprendre comment les robots gèrent les achats numériques s'assurera un avantage décisif.

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