Un peu de tambouille politique, avec salade, tomates, oignons, s'il vous plait! Au Palais fédéral, le kebab n'a jusqu'à présent jamais été un sujet de discussion. Sur Tiktok, en revanche, il est un motif de débats passionnés. Pour la génération Z, ce fast-food populaire est en effet très chargé politiquement, non pas en raison de son goût ou de ses ingrédients, mais parce qu'il symbolise parfaitement le fait que certains produits coûtent toujours plus cher.
Depuis quelque temps, TikTok voit fleurir des vidéos dans lesquelles de jeunes internautes s'insurgent contre la flambée des prix du kebab. L’une d’elles est devenue virale outre-Sarine: dans cette séquence au ton humoristique, un jeune influenceur argovien connu sous le pseudonyme de Kaufmann, enjoint le conseiller fédéral Albert Rösti à faire baisser le prix du célèbre «Döner».
Le ministre UDC n'étant pas en charge de l'économie, il est probable qu'il ne se soit retrouvé dans le collimateur de Kaufmann qu'en raison de son nom à consonance... culinaire. Le conseiller fédéral bernois, qui dirige en réalité le Département de l'énergie (DETEC), s'est tout de même laissé interviewer par le jeune influenceur Argovien.
Ce dernier en a profité, dès la première question, pour demander au ministre ce qu'il comptait faire face à la flambée des prix des kebabs. Ce à quoi Albert Rösti a répondu en évoquant des mesures pour faire baisser les coûts de l'électricité.
Les jeunes frappés de plein fouet
Mais ces revendications sont-elles sérieuses? Ou ne sont-elles qu'un prétexte pour lancer et alimenter une tendance amusante sur les réseaux sociaux? «Cela peut sembler à moitié sérieux, mais il y a un vrai problème là-derrière», déclare Vera Çelik. Cette jeune militante de 19 ans est une membre active du Parti socialiste de la ville de Zurich. Elle siège au sein de la direction des Femmes migrantes du PS et travaille parallèlement pour la Jeunesse socialiste suisse.
«Aucun établissement ne survivrait avec un kebab à 5 francs. Aujourd'hui déjà, ils ne répercutent que partiellement l'augmentation des coûts sur la clientèle», admet-elle. En fait, si on prend en compte toutes les contraintes économiques qui pèsent sur les restaurateurs, le kebab devrait coûter 20 francs.
Ce constat ne l’a pas empêchée d’appeler à une baisse des prix sur Instagram: «Pour que le kebab coûte à nouveau 5 francs», peut-on lire. Vera Çelik explique que cette déclaration, volontairement ironique, a pour but de pousser la jeunesse à s'emparer du débat. Elle l'assure: le kebab est devenu un véritable «baromètre du coût de la vie chez les jeunes».
Les établissements croulent sous les coûts
Le kebab, que beaucoup ont connu à 8 francs, coûte aujourd'hui entre 12 et 13 francs. «Pour les jeunes, notamment ceux issus de l'immigration, le kebab était quasiment le dernier repas de midi bon marché. Si même celui-ci devient cher, même ceux qui ne s'intéressent pas à la politique le remarquent.»
Vera Çelik rappelle que ces établissements sont souvent gérés par des personnes issues de l'immigration qui ne disposent pas d'un lobby pour les défendre au niveau politique, alors qu'ils emploient des milliers de salariés. Elle dit avoir rencontré plusieurs restaurateurs, qui lui ont expliqué que le kebab devrait coûter en moyenne 16 francs pour qu'ils puissent couvrir leurs frais, «et 20 francs pour qu'ils puissent gagner décemment leur vie et payer des salaires corrects».
La Zurichoise apprécie discuter de cette situation avec d'autres jeunes, car ce sujet amène inévitablement à aborder la politique: «Si même le kebab est trop cher, c'est la preuve que le politique réagit trop tard, car cette problématique touche d'abord ceux qui ont déjà peu.» Elle appelle à la mise en place de conditions-cadres pour que tout le monde ait accès à des repas abordables et pour que les restaurateurs puissent bénéficier d'un modèle fiable.
Le kebab, symbole d'inflation
Pour Michael Hermann, politologue à l'institut de recherche Sotomo, le problème doit être pris au sérieux. «La politique ne doit pas immédiatement sombrer dans l'activisme, mais elle devrait bien écouter lorsque les jeunes font du prix élevé des kebabs un sujet de discussion», explique-t-il à la demande de Blick. «Le kebab est en quelque sorte un symbole du renchérissement ressenti.»
Selon l'expert, l'inflation a beau reculer en Suisse, de nombreux consommateurs ne le ressentent pas encore directement. Ce qui compte vraiment pour eux, ce sont les prix qu’ils paient concrètement pour les produits de tous les jours. «Le kebab a longtemps été considéré comme un repas bon marché, accessible aux personnes à faible revenu et disponible partout, et qui devrait le rester.»
Un débat importé d'Allemagne
Selon Michael Hermann, le renchérissement est devenu le principal indicateur de l'ambiance politique dans le pays, au détriment du taux de chômage. La Suisse, qui était jadis réputée pour être un pays aux prix stables, a perdu cet ancrage, poursuit-il. Ce phénomène suscite une grande inquiétude, notamment dans la jeune génération.
L'expert note aussi que la problématique du prix du kebab a émergé en Suisse alors qu'elle était déjà l'objet d'un débat intense en Allemagne. Selon lui, cela n'a rien de surprenant: «Le phénomène a été en quelque sorte importé en Suisse par le biais des réseaux sociaux», dit-il. En Allemagne, le kebab est encore plus ancré culturellement, une grande communauté turc étant établie outre-Rhin.
En 2024, le parti allemand de gauche Die Linke a formellement réclamé un plafonnement des prix du kebab. Des femmes politiques du parti écologiste Die Grünen ont, pour leur part, averti que le kebab ne devait pas devenir un privilège réservé aux personnes qui gagnent bien leur vie. Le débat fut tel que même le chancelier fédéral d'alors Olaf Scholz a fini par intervenir.