Des appréciations louches
Les soupçons d'une intervention secrète de la BNS pour manipuler le franc grandissent

Ces derniers mois, le franc suisse s'est apprécié à plusieurs reprises face à l'euro, sans toutefois parvenir à franchir un certain seuil de hausse. Les observateurs restent perplexes, et les experts tempèrent.
Actuellement, un euro ne coûte plus un franc, mais 93 centimes.
Photo: Sven Thomann
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Daniel Hügli
Cash

Cette année encore, le franc suisse a subi des pressions à la hausse, notamment face au dollar. Son appréciation par rapport à la devise américaine a atteint près de 12% en 2025. Face à l'euro, le franc est resté quasiment stable, mais la monnaie suisse a commencé l'année à un niveau déjà élevé contre l'euro.

Cependant, notre monnaie a connu plusieurs périodes d'appréciation en 2025. Plus exactement, il y en a eu quatre. La première a eu lieu en avril, durant les jours chaotiques qui ont suivi le «Liberation Day», lorsque le président américain Donald Trump a imposé ses droits de douane punitifs. La deuxième s'est produite en fin juillet/début août, puis la troisième en octobre, et enfin la quatrième en novembre. 

LA BNS est-elle intervenue?

Le plus surprenant, c'est que le taux de change de l'euro s'est à chaque fois redressé face au seuil des 0,92 franc suisse, ou du moins, il n'est pas durablement descendu en dessous. Plus récemment, le 14 novembre, le franc a brièvement chuté à un niveau record de 0,9180, sans compter les fluctuations chaotiques du 15 janvier 2015, lorsque le plancher du taux de change a été levé. Mais notre devise s'est rapidement dépréciée et à présent, elle se négocie bien au-dessus des 93 centimes pour un euro.

Les nombreux rebonds du franc suisse au-dessus du seuil des 0,92 centimes face à l'euro alimentent les spéculations du marché des devises depuis des semaines. D'après les agences de presse, des cambistes soupçonnent la Banque nationale suisse (BNS) d'être intervenue sur le marché des changes. Certains évoquent même un «cours plancher secret» de 0,92 franc pour un euro fixé par la BNS.

Les dépôts influencés

En revanche, les experts affichent une attitude plus sereine. «Si l'on se réfère aux dépôts hebdomadaires à vue des banques commerciales auprès de la BNS, on ne constate aucune anomalie ou intervention», nous explique Thomas Gitzel, économiste en chef de VP Bank. Chaque paire de devises, y compris le couple euro/dollar ou dollar/franc, possède ses propres niveaux de soutien ou de résistance. Un coup d'œil aux statistiques suffit pour voir que les dépôts à vue ont même légèrement diminué en novembre, suggérant que la BNS a vendu des devises étrangères durant le mois record du franc suisse en novembre. Elle ne les aurait donc pas achetées pour affaiblir le franc. 

Les variations des dépôts à vue détenus par les banques et la Confédération auprès de la BNS peuvent révéler les interventions de notre banque centrale sur le marché des changes pour influencer le taux de change du franc suisse. Toutefois, les dépôts à vue auprès de la BNS ne sont pas seulement affectés par les achats ou les ventes de devises. Les dépôts peuvent aussi être influencés par d'autres mécanismes, comme les opérations de mise en pension effectuées par la BNS. 

Il n'existe aucun indice

Thomas Gitzel souligne aussi que de nombreuses paires de devises évoluent latéralement depuis juillet. Il n'y a pas d'impulsions importantes pour une direction claire. «Dans une telle phase de marché, les niveaux de soutien de chacune des paires de devises mentionnées se révèlent très solides.» 

De son côté, Thomas Stucki, directeur des investissements de la Banque cantonale de Saint-Gall, n'a trouvé aucun indice révélant que la BNS est active sur le marché des changes. D'après l'ancien responsable de la gestion d'actifs à la BNS, la banque centrale n'aurait aucune raison d'intervenir, même en cachette. Selon lui, même si l'euro a chuté à son plus bas niveau face au franc suisse, il s'est relativement bien maintenu face à notre devise depuis l'élection de Donald Trump. 

«L’euro tire profit de son statut d’alternative au dollar américain pour de nombreux investisseurs, notamment les banques centrales», déclare Thomas Stucki. Il ajoute que le franc suisse, en tant que valeur refuge, ne subit actuellement aucune pression particulière. «Malgré de nombreuses incertitudes, il règne un sentiment positif sur l’économie et les marchés financiers, comme le montrent les marchés boursiers.» Tant que le manque de confiance dans le dollar américain persistera, l’euro continuera de bénéficier de la faiblesse du dollar et pourra se maintenir à son niveau actuel face au franc.

En parallèle, la période prolongée d'intimidation exercée par la BNS contribue probablement aussi aux récentes baisses de l'euro autour du seuil de 0,92 franc. Les responsables de la BNS affirment qu'ils interviendront sur le marché des changes «si nécessaire». «Comme je le dis toujours: si nécessaire, nous sommes prêts à utiliser cet instrument», a déclaré en octobre Petra Tschudin, membre du directoire de la BNS, à Bâle.

«Ne pariez pas contre le franc suisse»

Pour des raisons tactiques, la BNS ne divulgue ni quand ni comment elle intervient sur le marché des changes, entretenant délibérément l'incertitude des acteurs du marché. Les spéculateurs deviennent ainsi plus prudents et hésitent à parier contre l'euro, au risque de perdre de l'argent. «Ma devise a toujours été: ne pariez pas contre le franc suisse», avait déclaré Samuel Zief, responsable de la stratégie mondiale de change chez JP Morgan Private Bank, il y a deux ans. 

Avec des taux d'intérêt à zéro et la réticence de la BNS d'adopter des taux négatifs, l'intervention sur le marché des changes est un outil important pour notre banque centrale. Cependant, la BNS a été critiquée à plusieurs reprises par les Etats-Unis, l'accusant de manipuler le taux de change du franc suisse avec ses interventions. En septembre, les deux pays ont réaffirmé leur engagement à ne pas manipuler les devises dans une déclaration conjointe. La BNS s'est engagée à continuer de privilégier la stabilité des prix dans sa politique monétaire.

Dans une déclaration distincte, la BNS a toutefois souligné que l'accord n'était pas juridiquement contraignant et reflétait simplement la pratique existante. Les deux parties ont reconnu que les interventions sur le marché des changes pouvaient être un moyen légitime pour limiter la volatilité excessive ou les dépréciations ou réévaluations désordonnées.

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