Triple homicide à Corcelles
A Neuchâtel, presque tous les meurtres sont des féminicides

Depuis 2012, 90% des homicides dans le canton relèvent de la sphère domestique. Les victimes? Des femmes et des enfants. Cette proportion, plus élevée que dans le reste de la Suisse, relance la question de la prévention et du suivi des auteurs de violences domestiques.
Publié: 21.08.2025 à 16:50 heures
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Dernière mise à jour: 21.08.2025 à 23:24 heures
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Mercredi 20 août. Une foule s'est rassemblée à Neuchâtel en hommage aux fillettes et à leur mère assassinées à Corcelles.
Photo: KEYSTONE/ Samuel Lopez
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Alessia BarbezatJournaliste Blick

Derrière une porte, l’horreur. Deux fillettes de 10 et 3 ans, poignardées à mort, leur mère gisant dans «une mare de sang» dans un autre pièce de l’appartement. L’auteur de la boucherie: un homme de 52 ans, père des enfants et ex-mari de la victime. Grièvement blessé par des tirs de la police, il est actuellement hospitalisé. Une instruction pénale a été ouverte contre lui pour meurtre et tentative de meurtre. 

Ce féminicide et ce double infanticide d’une violence inouïe viennent s’ajouter à la longue liste de drames survenus dans le canton. A Neuchâtel, depuis une dizaine d’années, presque tous les meurtres recensés sont des féminicides. Entre 2012 et 2022, dix homicides sur onze étaient liés à des violences domestiques. Les dix victimes étaient des femmes. Cela représente plus de 90 % des homicides du canton, une proportion nettement supérieure aux estimations nationales (environ 40–60 %, selon ArcInfo).

Un canton frappé par les violences domestiques

En 2023, le seul meurtre du canton concernait une femme de 78 ans tuée par son mari à la Vy d'Etraz. En 2024, trois homicides ont été commis. Les victimes? Toutes des femmes. Dans la première affaire, un homme avait tué sa femme et leur fille avec une arme à feu à la Chaux-de-Fonds. Dans l’autre, l’auteur avait assassiné son épouse avant de se suicider. Entre 2023 et 2024, les infractions de violence domestique ont augmenté d’environ 40%, passant de 501 à 700 – une hausse que le canton explique surtout par davantage de signalements, comme l’indique son rapport annuel sur la statistique policière de la criminalité.

«
À Neuchâtel, une part massive de féminicides parmi les homicides est clairement avérée
Florence Nater, conseillère d'Etat en charge du Département de l'économie et de la cohésion sociale (DECS)
»

Fin juin 2025, deux auteurs d’une tentative de féminicide ont été condamnés à 17 et 14 ans de prison pour avoir aspergé d’essence une femme avant de lui mettre le feu à Areuse, en octobre 2022. L’acte avait été commandité par l’ex-compagnon de la victime, qui n’avait pas supporté la séparation. 

Que se passe-t-il en terre neuchâteloise?

Sollicitée, la conseillère d’Etat Florence Nater, Cheffe du Département de l'économie et de la cohésion sociale (DECS) qui chapeaute l’Office de la politique familiale et de l’égalité en charge des violences domestiques (OPFE), reconnaît qu’à Neuchâtel «une part massive de féminicides parmi les homicides est clairement avérée.» Mais elle balaie l’hypothèse d’une spécificité cantonale, «comme le montre le nombre très élevé de féminicides déjà commis cette année dans toute la Suisse.» Dans le pays, 22 féminicides sont à déplorer depuis débaut 2025, contre 19 durant toute l'année 2024.

En 2022, Neuchâtel s’est doté d’un plan cantonal de prévention et de lutte contre la violence domestique. Selon la ministre, un premier bilan fait état de «développements positifs»: ouverture fin 2024 d’un centre de médecine des violences, renforcement du service d’aide aux victimes, formations pour plusieurs corps professionnels afin d’améliorer la détection des violences, prévention développée dans les écoles et une police très active dans le domaine.

Des mesures suffisantes alors que des femmes sont encore victimes de leur ex ou actuel compagnon? «Des progrès restent à faire», concède Florence Nater. Notamment dans le suivi des auteurs, la prise en charge spécifique des enfants victimes et la systématisation de la prévention auprès des jeunes.»

Bracelet électronique, l’éternel débat

Comme dix cantons, Neuchâtel a pris part en 2023 à un projet pilote sur le bracelet destiné aux auteurs de violences domestiques. «Les résultats ont été jugés insatisfaisants pour l’instant», précise la conseillère d’Etat, pour qui «la surveillance électronique n’est pas, par elle-même, une réponse suffisante».

Le procureur général Pierre Aubert abonde: le bracelet serait «un outil de plus, pas l’outil déterminant». Il plaide plutôt pour davantage de logements d’accueil d’urgence et rappelle les contraintes du Code de procédure pénale: «Les conditions pour ordonner une arrestation à titre préventif sont très restrictives, puisqu’il faut que l’auteur compromette sérieusement et de manière imminente la sécurité d’autrui en commettant un crime ou un délit grave.» L’intervention coercitive n’est possible que dans des situations particulièrement inquiétantes. En d’autres termes, les arrestations ne se font pas sur la base de simples soupçons.

Pour agir en amont, le Ministère public dit miser sur deux étapes: établir les faits, puis évaluer la dangerosité en repérant si l’un des partenaires se montre plus agressif ou plus dominateur que l’autre. «C’est ce rôle de domination que nous devons détecter en premier lieu», précise le procureur général.

Les mesures concrètes débutent lorsqu’il existe de forts soupçons qu’un membre du couple – le plus souvent l’homme – adopte une posture dominante et agressive. A Neuchâtel, la police s’est dotée d’une brigade de trois personnes pour détecter et suivre les situations à risque. Côté Ministère public, «nous ordonnons davantage d’expertises de dangerosité et proposons au tribunal des mesures de contrainte ou des mesures de substitution (éloignements, obligations de soin ou probation)», explique Pierre Aubert. Quant à la détention préventive, elle est utilisée avec prudence: «Elle peut attiser le conflit à la libération et suppose de forts soupçons d’infractions graves.»

Violences contre les femmes: besoin d'aide?

Vous, ou l'une de vos proches, êtes victime de violences de la part d'un partenaire ou d'un proche? Voici les ressources auxquelles vous pouvez faire appel.

En cas de situation urgente ou dangereuse, ne jamais hésiter à contacter la police au 117 et/ou l'ambulance au 144.

Pour l'aide au victimes, plusieurs structures sont à votre disposition en Suisse romande, et au niveau national.

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