Christoph Blocher se confie
«La Suisse ne doit en aucun cas se livrer à l'UE, ni se laisser diriger par d'autres»

Il a polarisé et marqué la Suisse de son empreinte. Dans sa grande interview avec Blick à l'occasion de son 85e anniversaire, Christoph Blocher jette un regard sur sa carrière, dresse un bilan et s'exprime sur l'état de la Suisse.
Publié: 13.10.2025 à 22:13 heures
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Christoph Blocher lors de l'interview de Blick la semaine dernière dans son bureau de Herrliberg (ZH).
Photo: Thomas Meier
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Lucien Fluri, Sven Altermatt et Thomas Meier

Il a fait parler de lui et a apporté à la Suisse des débats particulièrement houleux: l'Union européenne (UE), l'asile, l'immigration. Christoph Blocher a marqué la politique suisse – comme aucun autre homme de sa génération. Samedi, le doyen de l'Union démocratique du centre (UDC) a fêté ses 85 ans. Blocher a célébré son anniversaire avec sa famille et n'a pas voulu faire de grande fête. 

Quelques jours auparavant, Blick a rencontré l'ancien conseiller fédéral pour une grande interview et a parlé avec lui de ses années marquantes, de ses craintes et de ce qu'il souhaite. Christoph Blocher a fait de l’entreprise Ems-Chemie un groupe pesant des milliards et se distingue avec sa collection d’art remarquable. Mais à la fin de l’entretien, il insiste: «Je n’attache pas beaucoup d’importance à ce qu’on se souvienne de moi.»

Christoph Blocher, que souhaitez-vous pour vos 85 ans?
A 85 ans, on a d'autres souhaits qu'à 20 ans. Je suis reconnaissant pour chaque jour, et heureux de pouvoir encore travailler.

Vous êtes un entrepreneur à succès, vous avez été conseiller fédéral. Y a-t-il quelque chose que vous auriez aimé faire dans votre vie, mais que vous n'avez pas réussi à faire?
Rien ne me vient à l'esprit pour l'instant. Mais sur le plan politique, nous devons faire la même chose qu'il y a 30 ou 35 ans, à savoir veiller à ce que la Suisse reste indépendante, libre, prospère, strictement neutre et sûre. Je souhaiterais que cela reste ainsi.

Il a fait beaucoup de choses dans sa vie. Mais selon lui, si tout s'est bien passé, c'est aussi grâce au hasard.
Photo: Thomas Meier
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La Suisse commence à se dégrader. Pas à travers la population, mais par les politiciens. Ils ne croient plus en la force de leur propre pays et de leur peuple
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Quelle a été la recette du succès de votre carrière?
Faire ce que l'on pense être juste et ne pas toujours se demander, par peur: qu'est-ce que les autres pensent? Que pourrait-il m'arriver? J'ai réussi beaucoup de choses, mais il y a également une part de hasard – cela aurait pu se passer autrement. Beaucoup de choses nous échappent et sont indépendantes de notre volonté. 

En ce moment, quel est votre diagnostic pour la Suisse?
Malheureusement, ce n'est pas un bon diagnostic. La Suisse commence à se dégrader. Pas à travers la population, mais par les politiciens. Ils ne croient plus en la force de leur propre pays et de leur peuple. C'est pourquoi ils veulent intégrer le pays dans l'Union européenne. Avec un paquet de traités, c'est l'UE qui décide de l'avenir de la Suisse – et nous parlons d'une UE qui se porte mal. La Suisse est entraînée dans ce processus.

La périphérie de l'Europe est en guerre et, dans le conflit douanier avec les Etats-Unis, la Suisse est seule. La Suisse ne doit-elle pas chercher des alliances, y compris avec l'Europe?
Elle ne doit pas conclure d'alliances où d'autres commandent. Non, la Suisse ne doit en aucun cas se livrer à l'UE.

Une Europe forte et pacifique n'est-elle pas garante de la sécurité de la Suisse?
Je suis né en 1940. Nous n'avions pas seulement la guerre à la périphérie de l'Europe, mais au cœur de l'Europe. La Suisse était encerclée. Mais elle a pu préserver la paix parce qu'elle a maintenu sa neutralité permanente, armée et totale et qu'elle n'a pas pris parti. Aujourd'hui, nous sommes sur le point d'y renoncer. La Suisse participe désormais à des mesures de coercition non militaires et fait donc partie des belligérants. La Russie traite déjà la Suisse de la sorte.

L'armée n'est pas préparée à une guerre. Une alliance avec l'Europe ne serait-elle pas judicieuse pour cette seule raison?
Non. Si nous coopérons avec les Etats de l'OTAN, nous sommes également partie prenante pour tous ceux qui font la guerre avec l'OTAN. Nous devons nous-mêmes être suffisamment forts pour pouvoir infliger à un éventuel adversaire des dégâts tels qu'il ne nous attaque pas. Mais c'est effectivement une grande déception de voir comment l'armée a été réduite au cours des 40 dernières années. J'ai toujours résisté à cela.

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Dans le monde, c'est à nouveau le pouvoir qui compte, pas le droit
»

Ce sont vos collègues de parti qui ont, durant très longtemps, dirigé le département de la Défense.
Cela n'excuse rien. Sous Ueli Maurer, les choses se sont un peu améliorées. Mais le Conseil des Etats l'a renvoyé et lui a ordonné de réduire davantage l'armée. Nous avons fait ce que nous pouvions. Maintenant, on augmente le budget. C'est un début. 

Avez-vous peur d'une troisième guerre mondiale?
Clairement. Le danger existe. Regardez l'Ukraine: l'OTAN n'y va pas elle-même. Mais elle fournit les armes. Il n'y a plus qu'un petit pas à franchir pour que les Russes se disent: «Maintenant, nous allons riposter.» L'Allemagne n'est pas si loin de la Pologne.

La famille Blocher: Christoph et Silvia Blocher avec leur fils Markus (à g.) et leurs filles Magdalena, Rahel et Miriam (de g. à dr.).
Photo: Marc Wetli/13PHOTO

Le président américain Donald Trump ne semble pas vouloir aider l'Europe à tout prix.
Les Américains ont compris qu'ils étaient trop faibles pour défendre leur position partout dans le monde. Ils se concentrent désormais sur la Chine et la mer du Pacifique Sud, au Proche-Orient et en Israël. C'est pourquoi le président américain dit aux européens: «Faites votre sale boulot tout seuls!»

Est-ce que vous et l'UDC vous êtes trompés sur Trump? Vous parliez encore récemment d'un accord de libre-échange. Maintenant, la Suisse s'est vue imposer 39% de droits de douane...
L'accord de libre-échange n'est pas encore à abandonner, même s'il ne semble plus aussi favorable.

Cela ne sonne pas comme une critique envers Donald Trump.
La situation est désagréable pour nous. Dans le monde, c'est à nouveau le pouvoir qui compte, pas le droit. Le président américain revient au système économique du 19e siècle: il veut protéger son propre territoire par des droits de douane. Mais Trump est aussi pragmatique. Lorsqu'il constate que cela ne fonctionne pas, il revient sur ses pas. Peut-être un peu trop souvent.

Vous ne semblez pas particulièrement inquiet par la situation douanière.
Berne doit maintenant négocier. Mais nous allons nous en sortir, nous avons déjà vu pire. Au début, les entreprises sont touchées de plein fouet. Mais nous sommes l'un des Etats les plus forts, bien que nous soyons petits, que nous n'ayons pas de matières premières et pas d'accès à la mer. Cela nous a obligés à être plus innovants que les autres. C'est une force.

L'UDC a souvent été en conflit avec la gauche. Mais le PLR était votre principal ennemi.
Le Parti libéral-radical (PLR) n'est pas notre ennemi. Mais nous l'avons critiqué parce qu'il n'est pas resté fidèle à lui-même. Il a participé à des augmentations d'impôts. Il veut abandonner la Suisse et s'associer aussi à cette UE bureaucratique qui fonctionne mal. C'est alors devenu une question de principe.

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Il y a l'UDC, qui prend l'immigration massive au sérieux et tente d'y remédier. Et il y a les autres, qui courent après l'UE, la libre circulation des personnes et une politique d'asile laxiste
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Vraiment?
Plus le PLR et Le Centre (ancien PDC) ont perdu d'électeurs au profit de l'UDC, plus l'UDC est devenue leur ennemie. J'espère que le PLR trouvera la force de changer de direction. Cela ferait du bien à la Suisse.

Les radicaux sont plus faibles que jamais dans le dernier sondage, l'UDC plus forte que jamais. Vous venez de réclamer un troisième siège au Conseil fédéral pour l'UDC.
Je n'ai pas réclamé ce troisième siège. Je n'ai fait que constater: mathématiquement, un troisième siège pour l'UDC serait plus juste que le deuxième siège des socialistes ou le deuxième siège des radicaux. Mais sur les questions de fond – la préservation de l'indépendance de la Suisse et la lutte contre l'immigration excessive –, tous les autres partis s'opposent à l'UDC.

Cela ne ressemble pas à un rapprochement. L'Assemblé des délégués du PLR a montré que le parti pourrait se prononcer en faveur des nouveaux traités européens.
Je le crains. Je m'étais préparé à ce que seule la votation populaire puisse encore corriger le tir sur la question de l'UE. Sur les questions de l'UE, de l'asile et de l'immigration, il n'y a que deux camps. Il y a l'UDC, qui prend l'immigration massive au sérieux et tente d'y remédier. Et il y a les autres, qui courent après l'UE, la libre circulation des personnes et une politique d'asile laxiste.

Vous avez mené de nombreux combats. Qui était votre adversaire préféré?
Peter Bodenmann a toujours été très bon. C'était l'un des adversaires les plus coriaces. Mais j'aime les adversaires coriaces. Je me suis souvent battu avec Ursula Koch ou Franz Jaeger, qui est aujourd'hui plus à droite que moi. (Rires.) L'UDC a dû passer par là: il y a même eu des procès pénaux contre nous. Mais nous sommes toujours là! Et où sont nos adversaires? 

Vous évoquez souvent le terme «classe politique», qui a été marquant lors de la votation sur l'EEE en 1992. Aujourd'hui, presque plus personne ne l'utilise à l'UDC. Est-ce parce que le parti lui-même est devenu une partie de l'establishment?
L'UDC a toujours fait partie de la classe politique. Celui qui fait de la politique en fait partie. Mais je n'ai pas trouvé de meilleur terme. Pour moi, la classe politique, ce sont les gens qui dirigent – ou pensent diriger – la Confédération: l'administration, le Parlement, le Conseil fédéral, les associations environnementales et économiques et bien d'autres encore. Ce sont ceux qui veulent gouverner sans être dérangés par la voix du peuple. 

Pendant longtemps, on s'est demandé si le parti allait survivre sans vous. Il semble bien se porter!
Oui, et heureusement. Dans les années 80 et 90, il aurait peut-être été possible que la nouvelle UDC ait des difficultés sans moi. Quand vous reconstruisez un parti, il faut qu'un individu prenne les devants. Aujourd'hui, l'UDC est dans une autre situation. En effet, je suis presque un membre passif. L'UDC met l'accent sur les bonnes priorités, comme l'indépendance de la Suisse, l'immigration, pas d'augmentation d'impôts, pas d'abus de l'asile et moins de criminalité. Et cela depuis plus de 30 ans.

Vous avez été l'un des premiers populistes de droite en Europe.
C'est ce qu'on dit (rires).

Un peu plus tard, il y a eu Silvio Berlusconi. Il était un peu comme vous, un entrepreneur fortuné.
Dans les situations de crise, il faut des personnes prêtes à se sacrifier et capables d’être indépendantes. Des personnes qui ne briguent aucune fonction. Quand on fait de la politique comme moi, on n’obtient jamais de poste. Mon entrée au Conseil fédéral a été un accident pour la classe politique.

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Le programme de l'UDC pour la Suisse est similaire à celui de l'AfD pour l'Allemagne.
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Que ce soit avec Berlusconi ou avec vous, on est en droit de se poser la question de savoir si le succès politique peut s'acheter.
Quand j’ai commencé, je n’étais pas encore riche. Je n’ai jamais donné d’argent directement au parti. En revanche, pour des campagnes électorales ou des votations spécifiques, oui. Lors du combat contre l’accord sur l’adhésion à l’Espace économique européen (EEE), considéré comme une étape vers l’entrée dans l’UE, j’ai injecté des millions, alors que je n’étais pas encore aussi fortuné qu’aujourd’hui. Mais l’argent ne suffit pas. A l’époque, les partisans avaient bien plus de moyens, appuyés par les milieux économiques.

Il existe aujourd'hui en Europe quelques partis dont la politique de droite est similaire à celle de l'UDC.
Certains partis nous ressemblent par leur programme. Le programme de l'UDC pour la Suisse est similaire à celui de l'AfD pour l'Allemagne. Mais ce sont des partis qui évoluent dans d'autres pays, et qui ont une histoire différente. L'UDC est un parti qui veut renforcer la démocratie directe en Suisse. D'autres pays peuvent voir les choses différemment.

Pourtant, certains membres du parti se démarquent. L'ancien conseiller fédéral Ueli Maurer fait des vidéos pour l'AfD ou se rend en Chine.
Chaque membre du parti doit décider pour lui-même. Je mets toutefois toujours les gens en garde: nous ne pouvons pas nous lier à des partis d’autres pays. Nous sommes un parti suisse. Jörg Haider a toujours voulu que je vienne en Autriche pour parler contre l’adhésion à l’UE. Je ne l’ai jamais fait. Si les Autrichiens veulent y adhérer, qu’ils le fassent. Ce n’est pas notre affaire.

Vous avez toujours mené des campagnes qui ont fait grand bruit. Il y a eu les affiches sur les Kosovars, il y a eu les fameuses affiches sur les moutons. Êtes-vous allés trop loin à un moment donné ?
Non, au contraire. Nous ne sommes pas allés assez loin.

Elles ont changé la culture politique. Les affiches avaient un sous-entendu raciste.
C'était pourtant un fait que des Kosovars avaient égorgé un lutteur. Par la suite, le tribunal a considéré qu'on n'aurait pas dû écrire Kosovars en généralisant, mais plutôt: «Deux Kosovars ont ...». C'est très pointu. L'idée derrière était d'expulser les criminels étrangers. C'est ce que l'UDC a toujours souhaité, heureusement.

L'objectif était de provoquer, non?
Provoquer vient de «provocare», qui signifie «défier», «inciter». Il faut provoquer l'adversaire pour faire passer le message. Aujourd'hui, l'UDC est moins provocatrice. C'est le parti le plus fort: il a deux conseillers fédéraux, un groupe parlementaire important et de nombreux conseillers d'Etat. Même sans provocation, l'UDC est entendue.

L'UDC ne se repose-t-elle pas trop sur ses lauriers?
C'est justement quand tout va bien qu'on peut être à l'aise. La Suisse a aussi fait beaucoup de bêtises parce que tout allait bien, par exemple le démantèlement de l'armée et ouvrir les portes à l'immigration excessive. «Rien n'est plus difficile à supporter qu'une série de bons jours», disait Sigmund Freud. C'est là une vérité bien connue.

L'UDC s'occupe de presque tous les thèmes qui figurent dans le baromètre des préoccupations de la population. En revanche, vous ne ciblez jamais les loyers. Est-ce parce que vous avez beaucoup de personnes fortunées dans le parti?
Regardez donc notre combat contre l'immigration. L'année dernière, 80'000 personnes sont venues en Suisse. Elles ont toutes besoin de logements. Cela fait grimper les coûts. Les loyers et les logements chers sont en premier lieu une conséquence de l'immigration massive. L'UDC lutte contre celle-ci avec l'initiative «Pas de Suisse à 10 millions – sauvons notre qualité de vie!».

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Nos adversaires ont largement contribué au succès de l'UDC
»

Vous êtes un homme de déclarations. Vous avez également connu une sorte de burn-out après la votation sur l'EEE. Avez-vous plus de doutes sur vous-même qu'on ne le pense?
Clairement. Vous ne pouvez avoir une opinion sûre que si vous doutez de vous-même. Lors de l'EEE, j'ai été confronté à toute la classe politique. C'est dans ces moments qu'on se demande: ai-je vraiment raison? J'y pensais la nuit. Je faisais toujours le même rêve: je devais tenir seul un énorme éboulement. J'avais alors peur de ne pas être capable de le faire. Le soir de la votation, les collègues qui se sont battus avec moi ont célébré. Mais pour moi, c'était fini: je me suis couché à neuf heures. Et je ne savais pas non plus avec certitude quel allait être le résultat. Je ne pensais pas que cela se passerait aussi bien.

La votation sur l'EEE a été marquante. A partir de là, vous êtes devenu une star de la politique. Aviez-vous le pressentiment que vous marqueriez la politique suisse pendant des années encore, jusqu'au Conseil fédéral?
Non. Je ne voulais pas de fonction. Ma crainte était que la classe politique fasse tout pour contourner la décision de l'UE. C'est pourquoi j'ai continué à me battre.

En 2007, vous avez été révoqué du Conseil fédéral. Cela a-t-il été douloureux?
Rétrospectivement, cela n'a plus rien de douloureux. C'était une période pénible pour moi, car il y avait une forte opposition de tous les côtés au Conseil fédéral, et dans ce contexte, Samuel Schmid (UDC) n'a pas été un soutien.

Vous n'avez pas de regrets?
Deux ans après mon élection au Conseil fédéral, un conseiller national genevois du PLR a déclaré: «J'ai voté pour Blocher au Conseil fédéral afin qu'il aille en prison. Mais il est déjà directeur de prison.» Sa destitution était alors la conséquence logique. Cela a rendu l'UDC encore plus forte. Nos adversaires ont largement contribué à notre succès.

Qu'est-ce qui vous a coûté le plus d'énergie: la campagne de votation sur l'EEE ou le temps passé au Conseil fédéral?
La campagne sur l'EEE.

On se demande souvent quelle marque laisse une personne derrière elle. Dans votre cas, vous avez fondé une entreprise de plusieurs milliards, marqué la politique suisse, été conseiller fédéral et vous possédez une importante collection d'art. Qu'est-ce qui compte le plus pour vous?
Si je regarde en arrière, je dois dire que j'ai relativement bien réussi. Mais ce n'est pas du tout grâce à moi. Je n'ai jamais voulu devenir entrepreneur. Je n'ai jamais voulu faire de la politique ni devenir conseiller fédéral. Cela s'est fait comme ça.

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Je n’attache aucune importance à ce qu’on se souvienne de moi
»

Pouvez-vous en dire plus?
Un exemple: je ne voulais pas devenir entrepreneur lorsque j'étais employé chez Ems. Mais l'entreprise allait très mal. Des Américains voulaient la racheter et mettre la moitié des gens à la rue. J'ai essayé de trouver un acheteur, mais sans succès. Les banques ne voulaient pas non plus. Je me suis dit que j'allais devoir mettre la main à la poche. J'ai donné tout ce que j'avais et je nous ai massivement endettés. Ce fut un moment difficile, surtout pour ma femme – mère de quatre jeunes enfants: «Si tu meurs – disait-elle à juste titre – je me retrouverai ici avec quatre enfants, une entreprise surendettée et une montagne de dettes.» Mais nous l'avons fait. Il fallait le faire!

Et ça s'est bien passé.
Nous avons sauvé l'entreprise, mais pas parce que nous étions meilleurs ou plus intelligents. Je n'avais tout simplement pas d'argent pour faire les mêmes bêtises que les concurrents. En fait, ce sont les Chinois qui m'ont sauvé. Quand la Chine s'est ouverte, je me suis demandé: de quoi ont besoin ces 1,4 milliard de personnes? Ils avaient besoin de vêtements et de pantalons, mais ne pouvaient pas les faire avec du coton, car ils avaient besoin de la terre pour se nourrir. Ils avaient donc besoin de fibres synthétiques, Ems les avait – mais au mauvais endroit. Ems a alors construit 117 usines pour les Chinois. Cela nous a permis d'avoir de l'argent pour de nouveaux produits. C'est de là que proviennent les produits actuels. Mes gains sont faibles. C'est ce qu'il s'est passé.

Vous n'avez parlé que d'entrepreneuriat. C'est donc ce qui était le plus important pour vous, après tout?
Je suis entrepreneur. La politique a toujours été secondaire pour moi. On a davantage entendu parler de la politique parce qu'elle se déroule dans l'espace public. Mais de la politique, je pourrais raconter des exemples similaires.

Comment souhaitez-vous qu'on se souvienne de vous, Monsieur Blocher?
Je n’attache aucune importance à ce qu’on se souvienne de moi. On a déjà voulu me décerner des titres honorifiques, j’ai refusé. Quand on a voulu donner mon nom à une rue, j’ai dit: vous pourrez faire cela dans 150 ans. Et quand on m’a fait remarquer qu’alors, peut-être, plus personne ne me connaîtrait, j’ai répondu: «Eh bien, c’est que je n’aurais sans doute rien valu.» (Rires)

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