Qu'il s'agisse d'une crise conjugale, d'un frigo vide ou d'un excès de graisse après les fêtes de fin d'année, les employés du canton de Bâle-Ville n'ont pas à s'inquiéter: ils bénéficient de réductions dans presque toutes les situations. Mais les tarifs spéciaux qui leur sont accordés ne concernent pas seulement les conseillers en relations amoureuses, les restaurants et autres centres de fitness. Les fonctionnaires du coude du Rhin peuvent aussi faire réparer leur voiture à moindre coût. Ils bénéficient également d'un rabais sur les conseils pour arrêter de fumer.
S'il est judicieux d'arrêter la clope, ne serait-ce qu'au vu des coûts de la santé, d'autres avantages peuvent paraître plus surprenants. Les employés du canton de Bâle-Ville qui ont un chien peuvent aller le faire toiletter en payant moins cher, et ceux qui passent leur permis de conduire pour bateau à moteur bénéficient de 10% de réduction. S'ils louent une limousine, ils économisent même 15%, et pour ne rien gâcher, ils reçoivent une bouteille de Prosecco en cadeau! A eux de faire en sorte de ne pas conduire, du coup.
Et ce n'est pas tout. La liste des rabais consentis par le canton estampillé «BS» est carrément longue de... 21 pages! Elle va de A comme aérobic à Z comme médecine dentaire (Zahnmedizin): près de 200 entreprises y sont répertoriées, qui accordent chacune des conditions spéciales aux employés du canton.
D'autres cantons ne sont pas en reste
Si Bâle-Ville est un cas extrême avec sa pléthore d'avantages pour les fonctionnaires, il n'est pas le seul à offrir des remises que l'on qualifiera poliment de cocasses, même s'ils sont moins somptuaires. Ainsi, à Lucerne par exemple, les policiers et les professeurs d'université bénéficient de 10% de réduction sur les cercueils (mais il ne s'agit semble-t-il pas d'un message subliminal). Une nouvelle machine à laver, des vins ou encore des jantes de voiture sont également proposés à un prix spécial.
Dans les Grisons, les fonctionnaires peuvent acheter une alliance à prix réduit dans une bijouterie. On dit que quand on aime, on ne compte pas, mais qu'à cela ne tienne: un sou reste un sou. Plus sobre, Argovie propose un rabais sur l'abonnement Mobility, alors que les Bernois peuvent faire le plein d'essence à moindre coût. A Saint-Gall, des pourcentages sont accordés sur les pneus d'hiver, et à Fribourg sur... une nouvelle planche à repasser.
Pas toujours facile à expliquer
Mais comment se fait-il qu'une entreprise de pompes funèbres lucernoise accorde des réductions aux fonctionnaires pour leur repos éternel? Il n'est pas facile d'obtenir une réponse à cette question. La présidente de l'association du personnel de l'Etat, qui n'est pas en poste depuis longtemps, semble d'emblée dépassée par la question posée par Blick. Elle ne pense toutefois pas enquêter sur le rabais du cercueil. Les pompes funèbres lucernoises, de leur côté, ne peuvent pas non plus aider: la fameuse discrétion du métier?
A Bâle-Ville, c'est grâce au bouche-à-oreille que la liste des rabais ne cesse de s'allonger. Les entreprises qui souhaitent y figurer peuvent s'adresser au canton, explique Andrea Wiedemann, directrice du Service du personnel de l'Etat: «Nous n'approchons en aucun cas activement les entreprises ou nos fournisseurs.» En 2005, un appel lancé par l'Office du personnel de Bâle avait toutefois fait jaser au sein de l'Union cantonale des arts et métiers: un bon d'achat de 100 francs était alors promis aux collaborateurs qui parviendraient à décrocher auprès d'une entreprise un rabais spécial pour les employés du canton...
Des avantages qui peuvent poser problème
Pour les entreprises, les rabais peuvent être intéressants - il n'y a pas qu'à Bâle-Ville que le plus grand employeur du canton est le canton lui-même, somme toute. Mais l'octroi d'avantages en nature pour les fonctionnaires ne va pas sans poser de problèmes. La liste des rabais bâlois a ainsi suscité des froncements de sourcils jusque dans les travées du Parlement cantonal. Alors que les «Fringe Benefits» - des prestations spéciales qui s'ajoutent au salaire - sont très répandus dans l'économie privée, la Confédération, les cantons et les communes doivent ici se montrer particulièrement vigilants. Car le soupçon de distorsion de la concurrence, voire de corruption, pourrait rapidement surgir. Et c'est le genre de chewing-gum qui colle bien sous les semelles.
D'autres mettent d'emblée hors jeu les rabais accordés aux fonctionnaires, comme Zurich: «Le canton ne veut pas encourager l'activité normale d'un seul fournisseur sur le marché.» En clair: c'est pour éviter tout favoritisme commercial que l'Etat ne souhaite pas de conditions spéciales pour ses employés. Après tout, les cantons, tout comme la Confédération, sont pour beaucoup un employeur déjà attractif, même sans rabais sur les planches à repasser.
(Adaptation par Yvan Mulone)