Combat pour l'Assurance Invalidité
Elle survit avec 290 francs par mois à cause d'un diagnostic tardif

Souvent, l'aide de l'Etat ne suffit pas à couvrir les besoins les plus élémentaires. Surtout lorsque des frais de santé élevés viennent s'y ajouter. Diagnostiquée autiste tardivement, Jolanda raconte sa lutte pour survivre au quotidien.
Publié: 11.06.2025 à 18:39 heures
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L'aide sociale est comme une bouée de sauvetage en cas de difficultés financières, mais suffit rarement à couvrir les frais quotidiens. (Image d'illustration)
Photo: Shutterstock
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Daniela Bleiker Patt

Jolanda se souvient qu'enfant déjà, elle était différente des autres. Sensible au bruit et aux pièces remplies de monde, elle a toujours eu du mal à s'adapter aux nouvelles situations. Elle a ainsi évité le contact avec les autres enfants et s'est isolée du monde extérieur. Malgré tout, elle est parvenue à obtenir de bonnes notes à l'école et n'a donc été diagnostiquée qu'à l'âge adulte.

Après l'école, elle a commencé avec beaucoup d'enthousiasme un apprentissage en tant que gardienne d'animaux, car elle adore être en leur compagnie. Mais elle s'est vite sentie dépassée par les responsabilités qui lui étaient confiées. C'est donc le cœur lourd qu'elle a choisi de renoncer à l'apprentissage de ses rêves. D'après son entourage, c'est pourtant une formation qui semblait idéale pour elle. Elle re-tente alors sa chance dans une boulangerie.

La meilleure du canton

Mais les échanges avec ses collègues et les clientes lui prennent beaucoup d'énergie. Jolanda arrive à peine à se reposer entre ses jours de travail. Grâce au soutien d'un psychiatre et à une réduction de son temps de travail, elle réussit à terminer son apprentissage en tant que meilleure apprentie du canton. Malgré cela, Jolanda a du mal à s'en réjouir, car elle est complètement épuisée par ses journées et n'arrive pas à prendre pied dans la vie professionnelle.

C'est alors qu'une nouvelle psychiatre émet pour la première fois l'hypothèse que Jolanda soit autiste. A 19 ans, son handicap est ainsi reconnu à 100%, un vrai soulagement pour la jeune femme, car elle peut enfin mettre un mot sur sa «différence» pour mieux la comprendre. 

L'odyssée se termine à l'AI

Le trouble du spectre autistique (TSA) est congénital, il persiste toute la vie et il est légalement reconnu comme un handicap. De l'extérieur, seules l'intelligence et la maturité d'une personne autiste sont perceptibles, mais pas les restrictions et les difficultés avec lesquelles elle doit composer.

«J'ai parfois l'impression que l'on me prendrait davantage au sérieux si l'on voyait mon handicap», confie Jolanda. Les personnes atteintes de TSA perçoivent le monde différemment, ce qui peut leur provoquer une surcharge de stimuli et un grand stress. Pour de nombreuses personnes concernées, le contact avec autrui est un grand défi et devient une source de stress. Jolanda doit donc limiter au maximum ses contacts sociaux et passe beaucoup de temps dans son appartement et sur sa terrasse.

Son diagnostic l'a lancée dans une odyssée pleine de démarches administratives, de visites chez le médecin et le psychiatre ainsi qu'une inscription à l'assurance-invalidité (AI). Cependant, l'AI a envoyé Jolanda chez un médecin d'Appenzell pour un examen, alors que celui-ci n'avait aucune expérience dans le domaine de l'autisme. Il a ainsi posé divers diagnostics, passant complètement à côté du TSA.

Les longues procédures de l'AI et ses critères stricts pour obtenir une rente obligent de nombreuses personnes à recourir à l'aide sociale. Les enfants et les jeunes, ainsi que les familles monoparentales et les personnes divorcées, courent aussi le risque de devenir dépendants de l'aide sociale. Actuellement, environ 257'000 personnes bénéficient de l'aide sociale en Suisse.

Une décision attendue

Aujourd'hui, Jolanda a 24 ans et vit à la campagne dans le canton de Lucerne. Elle a souhaité garder l'anonymat, car le sujet de l'aide sociale est très sensible. Malgré les obstacles de procédures, Jolanda n'abandonne pas. Elle a fait une évaluation auprès du service spécialisé dans l'autisme de l'hôpital psychiatrique de Lucerne, qu'elle a payée de sa poche.

Le diagnostic du service spécialisé est clair: elle est atteinte de TSA. A présent, ce rapport spécialisé de 14 pages est entre les mains de l'AI et Jolanda continue d'attendre une décision de sa part. Dans ses démarches, elle est soutenue par un avocat de Pro Mente Sana, sa psychiatre et sa famille.

La jeune femme n'arrive pas à travailler suffisamment pour subvenir à ses besoins. Tant que l'AI ne lui verse pas de rente, elle n'a d'autre choix que de recourir à l'aide sociale. En effet, seules les personnes dont les revenus ne suffisent pas à couvrir leurs besoins vitaux ont droit à l'aide sociale, mais pour ce faire, Jolanda doit d'abord liquider toute sa fortune, soit 4000 francs. Dans certains cantons, ce montant est encore plus bas, voire il n'y a pas de franchise du tout. Ces différences de franchise entre cantons s'expliquent par le fait que les communes et les cantons sont responsables de l'aide sociale. 

Une surveillance oppressante

Les personnes qui souhaitent bénéficier de l'aide sociale doivent clarifier leur situation financière auprès du service social et répondre à toute une série de questions. En effet, de nombreux services sociaux exigent, dès l'inscription, que les médecins, les thérapeutes ou les assurances sociales soient déliés de leur secret professionnel.

Jolanda trouve cette surveillance dégradante, car elle est censée discuter de sujets très personnels avec sa psychiatre et ses médecins. Elle refuse donc de signer de telles procurations générales, même si elle est prête à lever le secret professionnel pour certains renseignements, si l'office social l'exige. En effet, elle a bien conscience que si elle ne coopère pas, le service social peut réduire ses prestations.

«
Je n'aurais jamais pensé qu'à 24 ans, je n'aurais déjà plus de perspectives d'avenir et d'espoir de vivre dignement
Jolanda, atteinte de trouble du spectre autistique
»

Certains bénéficiaires de l'aide sociale ont un emploi, mais beaucoup d'entre eux ne peuvent travailler qu'à un faible taux d'occupation ou sont employés dans des branches faiblement rémunérées. Ou encore, ils suivent un programme d'intégration pour se rapprocher doucement d'une vie professionnelle.

L'aide sociale soutient les efforts d'intégration: si une personne travaille et a quand même besoin de l'aide sociale, elle peut conserver jusqu'à 600 francs de son salaire. Si elle ne travaille pas, mais participe à des programmes d'intégration, elle peut recevoir une allocation allant jusqu'à 300 francs. Les activités et le taux d'occupation qui permettent de toucher des allocations sont réglementés différemment. Certains jours, Jolanda peut effectuer de petites activités depuis chez elle et gagner jusqu'à 100 francs supplémentaires.

L'argent suffit à peine

Puisque Jolanda doit financer une partie de son loyer et de ses frais de santé elle-même, il ne lui reste pas assez d'argent pour se nourrir. C'est le cas de nombreuses personnes, nous explique Beat Handschin de la fondation SOS Beobachter: «Nous recevons de nombreuses demandes de personnes pour qui l'aide sociale ne prend pas en charge la totalité de leur loyer. Cette situation apporte toujours une grande détresse financière pour les personnes concernées, car elles doivent payer la différence avec leurs revenus, de base déjà limités.»

Pour ne rien arranger, à 24 ans, Jolanda est considérée comme une jeune adulte et ses besoins de base sont donc réduits de 20%. Cette réduction disparaîtra dès qu'elle atteindra 25 ans, une petite lueur d'espoir, car il lui reste à peine 290 francs par mois pour vivre.

Jolanda est reconnaissante de bénéficier de denrées alimentaires à prix réduit, mais elle a du mal à supporter le fait qu'elle en dépende et qu'elle doive se battre depuis des années pour obtenir du soutien, malgré un diagnostic étayé par des rapports spécialisés et classé légalement comme handicap.

«Je n'aurai jamais pensé qu'à 24 ans, je n'aurais déjà plus de perspectives d'avenir et d'espoir de vivre dignement.» Elle espère une décision positive de l'AI, qui améliorerait sa situation financière. Car avec l'AI et les prestations complémentaires, il reste généralement plus pour vivre qu'avec l'aide sociale.

De plus, le regard que la société porte sur les bénéficiaires de l'aide sociale affecte beaucoup Jolanda. Puisque sa maison sera démolie dans un an, elle scrute chaque jour les annonces de logements, mais les appartements bon marché sont rares. Et lorsqu'elle déniche enfin une annonce appropriée, le texte précise parfois: «Animaux domestiques autorisés, pas de bénéficiaires de l'aide sociale.» Une véritable gifle pour la jeune femme. «Il ne faut pas tirer de conclusions sur le caractère et les qualités d'une personne à partir de sa situation financière, réagit-elle. Etre pauvre financièrement ne signifie pas être pauvre intellectuellement.»

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