«Appelle les flics, urgence absolue»
Voisin et témoin de violences conjugales, un rôle délicat de «vigilance citoyenne»

Face aux violences conjugales, les voisinage peut jouer un rôle clé. Mais passer à l'action reste souvent très délicat. Cette vigilance peut pourtant sauver des vies, comme le montrent plusieurs témoignages de victimes et d’habitants ayant osé intervenir.
Publié: 09:49 heures
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En cas de violences conjugales, le voisinage peut devenir un maillon essentiel de la protection des victimes.
Photo: Shutterstock
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AFP

La peur, le malaise, le doute: quand «un hurlement de femme» provenant de l'appartement voisin a déchiré son dimanche après-midi d'août, Martine a fait face au dilemme vécu par tout voisinage soupçonnant des faits de violences conjugales près de chez eux.

Comment agir? La retraitée de 63 ans a toqué chez le «couple de jeunes» vivant sur le même palier dans son immeuble résidentiel de Bron, dans le département français du Rhone. Une violente dispute était en cours, mais les parents de la jeune fille de 21 ans, présents, l'ont dissuadée d'appeler la police.

«Je voulais que ça s'arrête, et j'avais très, très peur pour elle», déclare Martine*, rappelant le chiffre moyen d'un féminicide tous les trois jours en France, selon les derniers chiffres officiels. Les voisins sont un maillon «fondamental» dans la chaîne de la prévention des violences, souligne Fabienne Boulard, majore de police et responsable de la délégation départementale d'aide aux victimes des Yvelines.

Elle appelle chacun à faire preuve de «vigilance citoyenne». «Quand il y a un doute, il n'y a pas de doute», déclare-t-elle, ajoutant que les policiers sont de mieux en mieux formés à la prise en charge des violences conjugales.

Le voisinage sur une ligne de crête

Car appeler la police peut sauver une vie. Léa* le sait, elle qui début août a envoyé un SMS paniqué à ses voisins lorsque son compagnon s'est mis à tout détruire dans sa maison après qu'elle lui a annoncé vouloir le quitter. Il la battait depuis le début de leur relation, six mois plus tôt.

«Appelle les flics, urgence absolue», écrit-elle à deux voisins, qui s'exécutent. Rapidement, les gendarmes interviennent et interpellent l'auteur. «Je pense que sans eux je ne serais plus de ce monde», déclare Léa, qui attend désormais le renvoi en comparution immédiate de celui qu'elle a depuis quitté.

«
Je ne devais pas m'en mêler. Mais moi, j'ai pas eu l'impression de m'en mêler. J'ai eu l'impression qu'il y avait un risque
Martine, témoin de violences conjugales
»

Mais avant ce jour où son compagnon «est allé trop loin», Léa subissait des violences presque quotidiennes, et n'en avait pas parlé à ses voisins. «J'essayais de les éviter dès que j'avais des marques», affirme-t-elle.

Le voisinage évolue sur «une ligne de crête», admet Sarah Barukh, fondatrice de l'association de lutte contre les violences conjugales 125 et après. On a peur de se tromper, on n'ose pas, et les victimes, «sous emprise», nient souvent ce qu'elles vivent.

«Je ne devais pas m'en mêler»

Le soir du jour où Martine a toqué chez ses voisins, elle a reçu un message de la jeune femme lui disant que tout cela ne la concernait pas. «Je ne devais pas m'en mêler. Mais moi, j'ai pas eu l'impression de m'en mêler. J'ai eu l'impression qu'il y avait un risque», soutient la retraitée.

Il existe en France le 3919, numéro d'écoute et d'orientation pour les femmes victimes de violence, pointe Mine Günbay, directrice de la Fédération nationale solidarité femmes, en charge de la ligne. En 2024, le 3919 a battu le «triste record» de 100'000 appels, parmi lesquels près d'un quart (24%) ont été passés par l'entourage des victimes, voisins compris.

Mais tous les cas ne remontent pas à ce numéro, loin s'en faut. En 2022, quelque 373'000 femmes avaient été victimes de violences physiques, sexuelles, psychologiques ou verbales commises par leur conjoint ou ex-conjoint, selon une estimation du ministère de l'Intérieur. La première chose peut être de «signifier à la victime qu'on est au courant et qu'on peut l'aider si besoin», résume Anne Bouillon, avocate spécialisée dans les violences conjugales.

Des voisins devenus des amis

Le voisinage peut aussi jouer un rôle après la rupture. Ce n'est qu'après avoir fui son domicile conjugal avec sa fille de 10 ans que Sindy Le Madec a noué des liens avec un couple de nouveaux voisins, devenus des amis.

D'abord, «ma voisine a compris que ça n'allait pas et m'a beaucoup écoutée», se rappelle-t-elle. Puis, confrontés à des tentatives de retour de son ex-mari, «ils m'ont fait une attestation et m'ont dit, 'oui, faut que tu ailles au commissariat, il faut que tu portes plainte, avec tout ce qui est arrivé'».

Sur le site internet de son association, Sarah Barukh a préparé un guide à destination des «voisins-témoins», ainsi qu'une affiche à coller dans les halls d'immeubles, avec des conseils pour agir. «Une main tendue de la société», plaide-t-elle, «ça répare quand on est persuadée d'être seule au monde».

*Prénoms d'emprunt

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