Un dépotoir. Un jardin encombré de vieux équipements rouillés. Un barbecue sans âge. Des morceaux de carrosserie rouillés. Et une maison abandonnée qui, jadis, fut le refuge estival du deuxième personnage le plus important des Etats-Unis. Bienvenue à Panbowl Branch, dans la maison des arrières grands-parents de J.D. Vance, l’homme le plus puissant du pays après Donald Trump.
Panbowl Branch est un décor de roman. Parce qu’il montre tout ce que J.D Vance (40) raconte dans son livre autobiographique «Hillbilly Elegy». C’est ici, dans ce «holer» (vallée) du sud des Appalaches, à la frontière entre le Kentucky et la Virginie occidentale, que le mythe politique MAGA a repris son essor.
Make America Great Again
Dans un passé lointain, celui des années 80, le slogan «Make America Great Again» était celui de Ronald Reagan, le président-acteur, venu du cinéma et de la Californie aujourd’hui décriée par Trump et les siens. En 2024, tout au long de la campagne présidentielle victorieuse du candidat républicain, le souvenir et les images de cette terre minière du Kentucky ont irrigué les clips de celui que Trump avait alors choisi comme colistier: le sénateur de l’Ohio J.D. Vance.
Crédit vidéo: Catie Anne Tijerina
Etonnant raccourci. Je m’attendais à trouver, vice-présidence des Etats-Unis oblige, une demeure familiale soignée et préservée. Grave erreur. Preuve des fractures de l’Amérique de Donald Trump et J.D.Vance, la maison de Panbowl Branch, dans le comté de Breathitt, est littéralement à l’abandon. C’est ici que vécut l’arrière grand-mère de J.D. C’est dans ce ruisseau, que nous montre Charles, l’un des cousins éloignés de la famille, que le garçonnet se baignait lorsqu’il descendait ici, dans le Kentucky, pour échapper à sa mère droguée. «Hillbilly Elegy» est l’histoire d’une rédemption américaine.
L’Amérique oubliée
Comment un gamin de l’Amérique oubliée, celle des «ploucs», réussit à prendre l’ascenseur social, à intégrer l’armée, puis à étudier à la prestigieuse université de Yale. «On est tous fiers de J.D raconte Charles, affairé à réparer une voiture de sport dans son hangar, face à la maison familiale transformée en déchetterie. On enrage tous devant ce spectacle».
Ce spectacle, J.D Vance en a connaissance. Il le doit à sa cousine par alliance, Tammy, une ancienne travailleuse sociale qui a hérité de cette propriété. Tammy est un peu plus âgée que J.D. Elle a finalement accepté de nous parler, après avoir tambouriné à la porte du Mobil Home dans lequel elle vit, posé sur des parpaings. Tammy est démocrate. Elle ne veut surtout pas être photographiée. Elle déteste Trump. C’est elle, nous ont affirmé les voisins, qui ramène sans arrêt de la ferraille sur ce terrain, tout en promettant de le nettoyer un jour.
Invités à Washington
Le fils et la fille de Tammy étaient à Washington le 20 janvier, pour l’investiture présidentielle. Elle, à l’inverse, ne veut pas entendre parler de la Maison Blanche. «Trump, c’est n’importe quoi. J.D nous a caricaturés dans son livre en miséreux ignorants pour se donner le beau rôle. Dans les faits, tous deux sont partie prenante du système qui détruit ce pays».
Charles, alias «Peanuts» nous avait prévenus. «Si vous parlez à Tammy, n’y prêtez pas trop attention. Elle est à demi-folle». Possible. A voir le chien ébouriffé et malodorant qui sort du Mobile Home, tout est possible. L’intéressée accepte toutefois, gentiment, de nous accompagner au cimetière familial, là où les Blanton, la famille maternelle de J.D. Vance, sont enterrés. Nous y sommes après vingt minutes de route, en pleine forêt. Une dizaine de tombes. Sur plusieurs d’entre elles, un fusil est gravé dans le marbre ou la pierre. Tous les hommes de la famille étaient chasseurs.
Une Amérique virile
Dans «Hillbilly Elegy», J.D Vance raconte cette Amérique virile qu’il aimait retrouver tous les étés, lorsqu’il quittait Midtown, sa ville industrielle sinistrée de la «Rust Belt», la ceinture de la rouille qui désigne les Etats du nord des Etats-Unis, particulièrement affectés par la fermeture en série des usines et par la crise de la métallurgie.
Panbowl en dit long sur le roman du Trumpisme. C’est cette Amérique-là, oubliée, que le duo présidentiel Trump-Vance a promis de réhabiliter. La maison de jeunesse du vice-président n’a rien d’un bidonville. Ses grands-parents n’étaient pas sans domicile. Dans le village, tout le monde se souvient d’une famille modeste, mais «bien tenue». Son arrière-grand-mère, Hatty Blatton, héroïne de son livre, insistait pour qu’il lise et qu’il ait de bons résultats à l’école. Charles, le mécanicien amateur, ancien employé de l’US Postal, le service fédéral des postes, connaît tous les recoins de ces «holers» ces vallées verdoyantes.
«Mieux vivre chez nous»
«Les gens d’ici ne sont pas spécialement revendicatifs. On ne veut rien d’autre que le fait de mieux vivre chez nous. Ce que propose Trump nous convient parce que c’est simple: un Etat central qui dépense beaucoup moins, une économie qui dépend moins de l’étranger, un grand coup de balai dans ses firmes pharmaceutiques qui nous empoisonnent».
«Hillbilly Elegy» est un livre très politique. Il est resté pendant des semaines en tête du palmarès du «New York Times» lors de sa sortie, en juin 2016. Quatre mois plus tard, Donald Trump était élu pour la première fois à la présidence. «J.D. Vance a compris vite le parti qu’il peut tirer de son enfance et de son histoire, poursuit Tammy. Panbowl Branch, c’est sa carte de visite, son alibi». A Morgantown, la ville universitaire du nord de la Virginie occidentale, Neil Burton corrige. Nous l’avons rencontré plusieurs fois pour qu’il nous parle de l’histoire des «Hillbillies» des Appalaches. «Les élites démocrates américaines ont oublié que la confiance en politique passe par l’incarnation. Les gens aiment voter pour quelqu’un qui leur ressemble, ou dont le parcours leur inspire confiance. De ce point de vue, J.D Vance était le choix parfait comme vice-président. Il incarne tout ce que Trump ne sera jamais: un fils du peuple, loin des villes, un «plouc» qui s’en est sorti».
Episodes précédents: Sur la route des MAGA
1. Dans cette Amérique où Trump est toujours un héros
2. Travail, famille, église: et si c'était ça les (vrais) Etats-Unis?