Bien sûr qu’ils seront, ce samedi 14 juin, devant leur écran en famille. Jesse et son cousin Pete s’affairent à finaliser leur prochain bolide. Le premier, 62 ans, est un vétéran de la Navy, la marine américaine dont les navires l’ont transporté jusque dans les confins du Pacifique. Pete, 47 ans, est adjoint au shérif du Comté de Monongalia, dont cette ville universitaire de Virginie occidentale est l’épicentre.
Oui, tous deux ont voté Trump. Oui, ils croient possible de rendre à l'Amérique sa grandeur (MAGA, Make America Great Again). Et oui, tous deux approuvent la parade militaire que le 47e président des Etats-Unis va inaugurer ce samedi, sur le Mall, à Washington D.C..
Dans l’Amérique de Jesse et Pete, celle de la très rouge (la couleur du Parti républicain) «West Virginia», le locataire de la Maison Blanche reste un héros. Les deux hommes l’avouent: ils ne regardent quasiment que Fox News, la chaîne de télévision ultra-conservatrice, par laquelle sont passés plusieurs membres de l’administration, dont le Secrétaire à la Défense Pete Hegseth.
« Drill, baby, drill »
Au menu de Fox? Des satisfecits permanents pour l’équipe en place, sauf sur le terrain des droits de douane et de l’économie. «Ici, en Virginie occidentale, les deux mots d’ordre qui nous plaisent le plus sont «Drill, baby, drill» (Fore, bébé, fore) et «Leave our country now» (Quitte notre pays maintenant), assène Steve. On est en pays minier. On ne parle pas espagnol comme en Californie. On est l’Amérique authentique.»
Morgantown est un bon exemple de ce pays trumpiste qui tient bon face aux épreuves du pouvoir. L’ancien maire de la ville, Joe Abu-Ghanamm, ne cache pas les origines arabes de son patronyme. Pas question donc pour cet élu classé en 2024 parmi les 40 jeunes élus qui «transforment» les Etats-Unis, de renier l’apport de l’immigration.
Sauf que pour lui, Donald Trump est caricaturé. «Sa promesse était de fermer notre frontière avec le Mexique. C’est quasiment fait lâche-t-il en nous accompagnant au musée d’histoire de Morgantown. Il rajuste son catogan. Des cheveux lui tombent sur le visage. «La Virginie Occidentale ressemble aux Etats-Unis d’hier. Ici, on se sent attaché à cette terre. On sait que Trump n’est pas des nôtres. Et alors? Il nous défend. Les gens y croient encore.»
La vérité des mines
Longer les Appalaches, cette chaîne de montagnes qui traverse l’est du pays du nord au sud. Passer du temps dans les «holers», ces vallées minières où les squelettes de mines désaffectées et rouillées voisinent avec d’énormes infrastructures extractives encore en opération. Le charbon jaillit de la nature luxuriante. Jim Pride (un nom d’emprunt) est seul dans les anciens bureaux de la mine dont il supervise le démantèlement. Deux camions remplis de ferraille viennent de quitter les lieux.
Jim nous montre les anciennes galeries, obturées par des tonnes de remblais et de terres noires. Deux terrils dominent le site. «Retenez un seul mot: fierté», dit ce très sympathique ingénieur, transformé en liquidateur. Jim aime la chasse et la pêche. Son fusil à lunettes (pour les cerfs) est à l’arrière de son «truck» Chevrolet, comme les Américains désignent leur pick-up. «La parade militaire de ce samedi va coûter 45 millions de dollars je crois. C’est beaucoup, mais c’est un symbole. Beaucoup de mes voisins disent 'Notre Amérique revit'.»
«Il pense et parle comme nous»
Un homme, à Morgantown, nuance ces propos. Neil Burton est l’un des directeurs du musée historique. Il enseigne aussi à l’université locale, reliée au centre-ville par d’étonnants wagonnets sur rails, copiés sur ceux des mines. Trump ou la fierté retrouvée?
«Je ne connais personne qui croit au succès de Trump à 100%. Les gens d’ici ont beau avoir l’air d’être simples et un peu brutes, ils réfléchissent. Ils créditent Trump de deux choses: son rejet des manières snobs des élites des villes côtières, et sa capacité à parler simplement, à se faire comprendre. Ils ne disent pas 'c’est notre président', ils disent: 'Il pense et parle comme nous'.»
Les Appalaches ont une importance politique particulière dans le monde de Trump. Ces colonies verdoyantes ont, pendant des décennies, abrité des bastions du parti démocrate, car les syndicats de mineurs y dictaient leur loi, au sens propre comme au sens figuré. Sans le charbon des Appalaches, New York n’aurait jamais été le phare de la première puissance industrielle mondiale. C’est de là que partait le minerai pour Pittsburgh, la grande ville des aciéries, plus au nord.
Mais attention: la Virginie occidentale n’a jamais été un Etat industriel comme l’Ohio ou le Michigan. Ce n’est pas la ceinture de la rouille (Rust Belt). Ici, c’est servir qui compte. «Quand Trump dit, ce pays a besoin de vous, les gens le croient et ils sont prêts à se rassembler sous le drapeau», poursuit Neil Burton.
La vie dure, ils connaissent
Trump envoie la garde nationale et les Marines en Californie. Il piétine les droits des Etats fédérés. Il ordonne la déportation de migrants clandestins par les agents de ICE (les services d’immigration) sans la moindre considération pour leurs droits. Il fait diffuser, comme président des Etats-Unis, les visages des prétendus meneurs des émeutes californiennes, tous patibulaires et repris de justice, pour l’essentiel originaires du Mexique et d’Amérique centrale.
Qu’en pense-t-on à Morgantown, West Virginia? «Vous parlez à des familles de mineurs qui savent ce qu’est la vie dure», répond Jane, patronne d’une onglerie proche du Morgan Hôtel, un vieil établissement historique rénové de fond en comble. Les chambres coûtent 250 à 300 dollars la nuit. Les salaires des jeunes mineurs de fond encore en activité avoisinent les 6000 dollars mensuels en début de carrière. Une très bonne paie.
«Trump secoue notre pays et, que je sache, on peut encore parler librement, non? Vous, les médias, n’arrêtez pas de critiquer le président. Personne ne vous arrête ou ne vient vous interrompre. Si Trump vous fait mal, c’est que vous êtes trop 'soft' pour notre Amérique.» ce samedi, Jane l’a promis: elle regardera aussi sur son écran la parade du 250e anniversaire de l’armée américaine. Pile le jour du 79e anniversaire de Donald Trump.
Prochain épisode: Hillbilly, la mélodie des ploucs trumpistes