Ils résistent à Trump (2/3)
Raflés et déportés, ces migrants du Colorado défient Trump

Colorado Springs, le 27 avril: un complexe de divertissement fréquenté par de nombreux migrants clandestins est ceinturé par les forces de police lourdement armées. Depuis, une vingtaine d'illégaux ont été déportés. L'affaire mobilise les activistes anti-Trump.
Publié: 30.05.2025 à 06:10 heures
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Des agents arrêtent un client d'une boîte de nuit le 27 avril 2025, à Colorado Springs.
Photo: keystone-sda.ch
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Richard WerlyJournaliste Blick

Menottés. Le dos au mur. Obligés de patienter des heures durant avant d’être interrogés, puis envoyés dans une cellule de plusieurs dizaines d’hommes avant d’être déportés.

Cette scène ne se passe pas au Salvador, le pays où Donald Trump a déjà envoyé plusieurs centaines de migrants clandestins croupir au Centre de Confinement contre le Terrorisme (CECOT), la prison géante construire par le régime du président Nayib Bukele. Nous sommes à Aurora, dans la banlieue nord de Denver, capitale du Colorado. Devant le centre de détention des migrants gérés par GEO, une compagnie privée de sécurité.

La prison d’Aurora

Laurel masque son visage avec sa capuche. Ironie des circonstances, cet activiste américain originaire du Venezuela, a accepté de nous voir sur un parking, juste en face de la concession Tesla voisine de la prison d’Aurora. Pile en face de nous, la façade bleue du bâtiment, entourée d’un canal, tandis que le drapeau américain flotte au-dessus des murs.

Les images que Laurel fait défiler sur son téléphone portable ont été prises le 27 avril dernier, au petit matin. Quelques heures plus tôt, autour de 3h45 du matin, la police fédérale antidrogue (DEA) et les forces anti-immigration (ICE) avaient effectué une rafle dans un complexe de bâtiments de Colorado Springs, connu pour abriter des boîtes de nuit et des maisons de jeu fréquenté par des clandestins. Bilan: près de 200 arrestations, et des scènes dignes d’une opération militaire en pays hostile.

La maison de la paix

Je n’ai pas trouvé Laurel par hasard. Le quadragénaire, naturalisé américain en 2020, est l’un des volontaires du réseau mis en place par Susan Thornton, une ancienne journaliste et élue de Littletown, une ville de la banlieue de Denver. Susan est en lien permanent avec la Casa de Paz, la maison de la paix, une organisation de soutien aux migrants. 

Son boulot? Retrouver les individus raflés par les commandos de ICE, la police des migrants. «Ils disparaissent. On n’a parfois rien pour les retrouver, explique-t-elle dans son pavillon de Littletown en compagnie de Carol, une avocate spécialisée d’origine mexicaine. On les cherche comme on le fait avec les disparus, dans un conflit armé.»

La descente survenue le 27 avril à Colorado Springs a fait la une de tous les médias américains. Le «New York Times» a consacré dans la foulée un long portrait au maire de cette ville, Yemi Mobolade, un élu d’origine nigériane. Pourquoi? Parce que cette ville, à 150 kilomètres au sud de Denver, est plus que symbolique. C’est ici, à l’Air Force Academy, que sont formés les pilotes de l’US Air Force, l’élite de l’armée américaine.

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Chaos trumpiste

C’est aussi ici que tous les ingrédients du chaos trumpiste se sont retrouvés mêlés cette nuit-là, selon les deux femmes: violences policières, interpellations de migrants n’ayant jamais commis de délits aux côtés de trafiquants notoires du fameux gang vénézuélien Tren de Aragua, transfert immédiat des individus appréhendés vers un centre de rétention en Louisiane, un Etat où les juges conservateurs rechignent à contredire les policiers et leur version des faits. 

«L’administration Trump a une carte des Etats-Unis divisée entre les bons et les mauvais Etats, détaille Susan Thornton. Les bons sont ceux qui laissent les migrants disparaître dans l’obscurité dans rien faire. Les autres, comme le Colorado, sont ceux qui refusent de céder sur l’Etat de droit.»

Résister, dans le Colorado, veut d’abord dire chercher des renseignements. Interroger les familles. Oser frapper à la porte des commissariats et des bureaux du Shérif. «La stratégie de ICE est de frapper vite, d’interpeller, puis de déporter.» Bref, de prendre la justice de vitesse juge Carol, l’avocate, d’origine mexicaine. L’architecte de cette course-poursuite entre les forces de l’ordre et les juges est Tom Homan, le «tsar» migratoire. 

Quelques jours avant notre arrivée à Denver, sans doute pour préparer la descente très médiatique survenue à Colorado Springs, Homan était à Aurora pour y rencontrer George Zoley, le patron de GEO, ce groupe spécialisé dans la construction de prisons privées, gérées comme des entreprises. «Tout est fait pour ériger un mur entre nous et les migrants appréhendés. Trump et les siens veulent sidérer l’opinion publique. La peur est leur premier levier».

Présumés criminels

Les volontaires de La Casa del Paz ne se laissent pas faire. A Aurora, ville à forte population latino-américaine, ils ont leur réseau, y compris au sein de la prison. Ils obtiennent les noms des migrants incarcérés. Ils arrivent à leur faire parvenir des cartes de téléphone. Ils rétablissent le contact avec leurs familles. Ont-ils conscience de commettre un crime? Ne redoutent-ils pas d’être manipulés par les cartels et les organisations criminels dont l’administration Trump dénonce à juste titre les effets? 

Laurel l’activiste, rajuste le masque anti-Covid sous sa capuche. Il ne veut pas être vu. Il sait que des caméras de surveillance nous épient sur ce parking voisin de la prison: «On ne peut pas vivre dans une société où tous les étrangers sont présumés criminels. Pire: les vrais gangsters, eux, savent très bien se planquer. Où sont les chefs mafieux arrêtés depuis l’investiture de Donald Trump?»

Les migrants contactés par Laurel et ses collègues parviennent, parfois, à desserrer l’étreinte de ICE, cette police qui a aujourd’hui carte blanche. Ils sortent au petit matin de la prison d’Aurora sans rien. Personne n’a été prévenu. Ils sont relâchés dans la nature alors que beaucoup viennent parfois d’autres Etats. Laurel poursuit sa description: «C’est une chasse à l’homme, ni plus ni moins. On est revenu à l’époque des posters 'Wanted' placardés dans les villes, lors de la conquête de l'Ouest. Si ça continue, on lynchera bientôt les suspects.»

Villes sanctuaires

Le Colorado, Etat démocrate, a donc pris les devants. Et Denver, sa capitale, a même accepté de rejoindre le réseau des «villes sanctuaires», qui refusent de dénoncer les migrants sans papiers. Une ligne téléphonique d’urgence a été mise en place pour signaler la disparition de tel ou tel. 

Des guichets ont été ouverts par les services sociaux pour permettre aux familles de remplir correctement leurs demandes de régularisation. A Littletown, la ville dont elle a été maire pendant plus de quinze ans, Susan a impliqué les Eglises catholiques et protestantes. Il s’agit, selon elle, d’un «devoir moral». «Trump va transformer ce pays en vaste prison si nous ne faisons rien», dit-elle.

Et l’opinion? Quid du soutien massif des Américains aux politiques anti-immigration de Donald Trump, crédité dans les sondages d’avoir fermé les frontières? Selon les partisans du président, ce fameux électorat MAGA (Make America Great Again), la fin justifie les moyens. Les douze millions de clandestins présumés qui vivent aux Etats-Unis doivent être expulsés. 

Le fait que l’administration recourt à une loi de l’époque de la guerre pour arrêter, détenir, puis déporter les migrants ne fait ciller personne dans ce camp-là. Résister d’accord, mais pour combien de temps? «Je sais que sur les migrants, Trump est soutenu. Beaucoup de gens, y compris parmi mes voisins, ferment les yeux sur les atteintes au droit. Ils répètent ce qu’il dit sur les méfaits du Fentanyl, des drogues etc. Avons-nous tort de nous interposer? Non. Car ce sont aussi nos droits que nous défendons.»

Prochain épisode: Ces journalistes qui se battent contre les fake news

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