Ils ont d’abord refusé de répondre. La messe quotidienne de 17h30 allait bientôt commencer dans la cathédrale de l’Immaculée conception de Denver, au Colorado. Mark (23) et Jocelyn (21) sont tous deux volontaires à la Conférence catholique de l’Etat, dont les bureaux sont de l’autre côté de la rue. Le Capitole est à deux pas. Mais c’est ailleurs que ces deux jeunes ont la tête: à Rome, où leur pape se nomme désormais Léon XIV.
Mark et Jocelyn ont été éprouvés par les questions des journalistes, dès l’annonce de l’élection du nouveau pape. Tous deux regardaient, en fin de matinée à Denver, la cheminée de la chapelle sixtine retransmise en direct sur le site du National Catholic Reporter. Et ils n’y ont d’abord pas cru, lorsque la nationalité du nouveau souverain pontife a été annoncée.
20 ans au Pérou
Un américain de 69 ans. Un missionnaire qui a passé vingt ans de sa vie au Pérou. «J’ai remarqué qu’il n’avait pas prononcé son premier discours en anglais réagit Mark, plusieurs fois interrogé par la radio locale FM KOA. Il a parlé en espagnol et en italien. Ce n’est pas parce qu’il est né aux Etats-Unis qu’il est un américain comme les autres».
Jocelyn égrène son chapelet. Elle compte les fidèles venus pour la messe de cette après-midi. Ils sont une trentaine, contre plus d’une centaine à 12h, lorsque les télévisions locales avaient posé leurs caméras. L’archevêque de Denver, Mgr Samuel Aquila a célébré cette première messe du nouveau pontificat. Puis les questions des reporters sont tombées en avalanche: «Vous nous demandez tous si Mgr Robert Prevost est pro ou anti Trump. Ce n’est pas la bonne manière de présenter les choses. Il a aussi été élu à force prières, parce qu’il peut à la fois représenter les Etats-Unis et parler au monde».
Denver n'y croyait pas
Denver ne croyait pas à cette élection. «Personne ne nous avait parlé de lui. On ne le connaissait pas» poursuit Mark. Le père Martin, chargé de la messe de 17h30, s’approche pour corriger. «Il s’occupait de la nomination des Évêques à la Curie. Il y connaît donc tout le monde» rectifie le prêtre, venu de l’Etat voisin du Nouveau-Mexique. Justement, Flores et son fils John viennent de Mexico. Ils vivent dans le Colorado. Ils ont émigrés. Ils sont maintenant légaux sur le sol des Etats-Unis. «Est-ce que les agents de l’immigration vont hésiter à rafler des immigrants clandestins catholiques comme ils le font parfois devant nos églises, parce que le pape est américain? Je n’y crois pas complète John, employé à la librairie d’occasion voisine, entre la Cathédrale et le Capitole. Trump c’est Trump, le pape c’est le pape».
Va-t-on, néanmoins assister à un duel géopolitique entre le Président des Etats-Unis et ce nouveau pape que Donald Trump a tenu à féliciter très vite? «La chance de notre église est de ne pas entrer dans ce jeu-là juge Tyler, le jeune homme chargé d’assurer la sécurité à l’entrée de la cathédrale. Mgr Prevost est un autre type d’américain. Il a vécu au Pérou. Il connaît le monde. De très nombreux catholiques du pays n’ont pas cette chance».
Prière à haute voix
La famille mexicaine prie à haute voix. Deux messieurs âgés se fraient un chemin dans les travées. Eux aussi ne veulent pas parler de Trump et du pape. Ils insistent sur le conservatisme du nouveau souverain pontife sur les questions de droit canon, l'une de ses spécialités. Ils me montrent leur Bible, où une photo du nouveau pape découpée dans un journal a été glissée: «Ca suffit de les comparer. Tout ce que fait Trump n’est pas condamnable. Ce pape n'est pas un progressiste sans frein. Dites bien que les Etats-Unis sont encore un pays où chacun peut s’exprimer».
Deux jeunes échangent leurs captures d’écran. On peut lire sur l’un que le nouveau pape Léon XIV était, comme électeur, enregistré républicain, le parti aujourd’hui dominé par Trump. Un signe? «Non estime Mark, qui est aussi catéchiste. Léon XIV sera le meilleur des deux Amériques, celle du nord et du sud. Il n’appartient à aucun cas».
Comptable devant les catholiques
Les cloches de la cathédrale sonnent. Un groupe de sans-domicile fixe cerne la statue de Jean-Paul II, au pied de l’édifice, sous le ciel azur de Denver. Tous attendent l’arrivée de la soupe populaire, vers 19 heures. De sa jeunesse à Chicago à son départ au Pérou puis à Rome, Mgr Robert Prevost a toujours connu Les Etats-Unis et leurs fractures, ainsi que les poussées ultraconservatrices américaines. Il en est maintenant comptable devant les 1,4 milliards de catholiques dans le monde.