Elles viennent à peine de déployer la table et les calicots pour leur action caritative. Lisa, Katryn et Michele sont toutes trois étudiantes à la Denver University, où la nouvelle de l’élection du premier pape américain de l’histoire circule sur les réseaux sociaux depuis quelques heures.
Ces trois jeunes femmes sont toutes membres de la même sororité «Chi Omega», l’une des principales associations d’étudiantes. Lisa, de mère mexicaine catholique, me montre tout de suite la croix qu’elle porte au cou. Michele dit, elle, avoir grandi dans une famille catholique du Missouri. Seule Katryn, disciple d’une église locale évangéliste, se tient à l’écart.
Un nouveau pape, originaire des Etats-Unis de surcroît? «Je n’en avais jamais entendu parler. Je ne connaissais pas son nom», reconnaît Luisa, qui dit s’informer sur TikTok avec les vidéos mises en ligne par le «New York Times» et le «Washington Post». «Mais s’il est américain contre Trump et ses politiques de cinglés, ça me va».
Un pape américain?
Un pape américain? J’interroge d’autres étudiants sur le campus de l’université où je suis venu pour rencontrer des jeunes mobilisés pour la défense des droits des migrants. Premier réflexe? La stupéfaction. Un pape américain, après ces photos «ridicules» de Trump en pape, sur les réseaux sociaux? «Ne me dites pas que c’est un réactionnaire, on a déjà suffisamment de boulot pour contrer les trumpistes à Denver» s’énerve un professeur, qui préfère garder l’anonymat.
Le Colorado ne connaît guère Mgr Robert Francis Prevost, devenu ce 8 mai le pape Léon XIV. C’est au Pérou, ce lointain pays d’Amérique latine, que ce missionnaire hispanophone a longtemps exercé. Je consulte, avec quelques étudiants, sa biographie publiée par le New York Times.
Peter, un jeune chargé de cours, cherche à localiser sur la carte la ville de Chiclayo, où le nouveau souverain pontife fut évêque. «Chiclayo, ça ressemble à Chicago où il a grandi: il est vraiment à cheval entre les deux Amériques» poursuit Lisa, l’étudiante catholique.
Après le pape François
Ces jeunes n’ont pas 25 ans. Tous reconnaissent qu’ils n’ont pas suivi les nouvelles en provenance de Rome ces derniers jours. Le pape François, décédé le 21 avril à 88 ans, était selon eux «bien trop vieux» pour incarner l’avenir, malgré sa popularité mondiale.
Son successeur, âgé de 69 ans, ne fait pas partie des cadets du conclave. Sauf que sur ce campus aux pelouses vertes ponctuées de fauteuils en bois rouges, où plusieurs associations ont des stands caritatifs, sa nationalité fait la différence.
Il est américain, ça veut dire quelque chose, juge l’un des vigiles qui patrouille en permanence le périmètre de l’université. Ce gardien, John, est d’origine congolaise.
«Le message va être très fort, y compris en Afrique. Ce pape blanc, né aux Etats-Unis, avait fait le choix d’un pays pauvre. Moi, j’ai grandi à Kisangani (RDC), dans une paroisse dirigée par un missionnaire belge. Il parlait notre langue. Il n’était plus vraiment belge. Il était congolais. Ce pape-là sera mi américain mi-péruvien.»
Un autre groupe de filles déballe ses affaires pour une collecte destinée aux enfants handicapés. 10 dollars les quatre donuts, déjà fatigués sous le soleil. Le portrait de jeunes enfants sans bras et jambes est posé sur leur table de camping. Un pape américain, ça veut dire quoi? «Il va bosser dur. C’est comme ça qu’on vit ici. On apprend, on travaille, on va à l’église» rigole un garçon, étudiant en biologie, entre deux lancers de balles de base-ball, face à la bibliothèque de la Denver University.
Racines européennes
Juste derrière se trouve le bâtiment de la Korbel School of International Affairs où étudia Condoleeza Rice, la première femme noire américaine à occuper le poste de Secrétaire d’Etat (2001-2005). Le 60e anniversaire de cette institution fondée par le père d’une autre grande diplomate qui l’avait précédé à la Maison-Blanche, Madeleine Albright, a été célébré la veille. Des noms de cardinaux américains ont circulé dans les conversations à l’opéra de Denver. Mais pas celui de Mgr Robert Francis Prevost, né de parents d’origine française et italienne.
«Ce pays a produit des destins incroyables grâce à l’immigration. Ce pape a cela en lui. Il est l’Amérique qui offre encore au monde un visage positif. Alors que Trump fait souffler une tempête de peur et de colère sur les Etats-Unis, c’est une nouvelle. Il y a de quoi être fier» tranche une professeure spécialisée dans les droits des migrants.
Une heure durant, Rebecca Galamba nous a détaillé les attaques de l’actuelle administration contre le système judiciaire, Etat par Etat. Le Colorado tient bon et accueille des camps de transit pour les migrants arrêtés et déportés. Beaucoup de ces expulsés sont latino-américains. A l'inverse, le système judiciaire en Louisiane est beaucoup plus conservateur.
Un vrai pape
Léon XIV, pape anti-Trump? «Ça ne veut rien dire», s’énerve un enseignant, en traversant la pelouse qui nous sépare. «En réagissant comme ça, on se figure que le monde tourne autour de Trump et de sa version de notre rêve américain. La réponse est non. Les cardinaux ont choisi un homme, une voix, un parcours.»
Des étudiantes veulent, elles, parler de Trump et de sa photo indécente en pape. «Au moins, les Etats-Unis ont aujourd’hui un vrai pape. Et ça, oui, cela peut nous rendre fiers.»