Il serait le pape idéal. Un pape qui continue de regarder en priorité vers le sud global, cœur battant de l’Eglise catholique en termes de nombre de fidèles. Un pape qui défend les migrants, alors que les gouvernements européens subissent l’assaut des droites nationales populistes. Un pape qui refuse de prendre parti pour l’occident face au reste du monde. Un pape qui serait le digne héritier de François, ce souverain pontife qui a tendu la main au régime communiste chinois dès le début de son pontificat.
Les deux présidents qui aimeraient voir un tel pape s’installer sur le trône de Saint-Pierre sont Vladimir Poutine et Xi Jinping. Ironie du calendrier, les chefs de l’Etat russe et chinois vont se rencontrer ce jeudi à Moscou, alors que les cardinaux devraient être encore en conclave, si leur premier vote n’aboutit pas ce mercredi 7 mai à la désignation d’un successeur à François.
Valeurs chrétiennes instrumentalisées
Or pour Pékin, comme pour Moscou, le choix de celui qui sera à la tête du Saint-Siège et des 1,5 milliard de catholiques dans le monde est décisif. Vladimir Poutine a toujours misé sur le soutien de l’Eglise orthodoxe russe, et il drape volontiers son autoritarisme dans l’éloge des valeurs chrétiennes. Xi Jinping, pour sa part, suit de très près les 67 millions de chrétiens chinois (dont 12 à 15 millions de catholiques selon les estimations) compte tenu de leurs liens naturels avec le reste du monde.
Le pape François, argentin et avocat inlassable des pays du sud et de l’église enracinée dans la population, aurait pu être celui qui se dresse contre la connivence entre l’orthodoxie et le pouvoir en Russie, et contre la surveillance effrénée des cultes par le régime communiste chinois. Pour mémoire, c’est un prêtre jésuite italien, Matteo Ricci (1552-1610) – membre de la même congrégation religieuse que le pape François – qui contribua largement à évangéliser l’Empire du milieu.
Réalités géopolitiques
L’ancien archevêque de Buenos Aires, conscient des réalités géopolitiques, fit le choix contraire. Pas de confrontation, mais une main tendue. Dès le début du conflit ukrainien, François proposa d’aller rendre visite à Poutine à Moscou, avant de confier au Cardinal Matteo Zuppi (aujourd’hui l’un des favoris) une négociation difficile sur les enfants ukrainiens enlevés par l’armée russe. C’est aussi François qui, en 2014, proposa de se rendre en Chine et de négocier avec le président Xi. Se rendant en Corée du Sud en octobre 2014, il fut même autorisé à survoler l’espace aérien chinois. Ce que son prédécesseur Jean-Paul II n’avait pas obtenu.
Jean-Paul II: voici le type de pape que Vladimir Poutine et Xi Jinping redoutent. Tous deux ont évidemment en tête le rôle décisif joué par le souverain pontife polonais dans la mobilisation des sociétés civiles d’Europe de l’Est contre le rideau de fer. Tous deux savent aussi combien l’anticommunisme primaire de Karol Wojtyla, ancien archevêque de Cracovie, pesa lourd dans la balance géopolitique alors que Ronald Reagan présidait aux destinées des Etats-Unis.
Ils ont voulu tuer le pape
Le 13 mai 1981, la tentative d’assassinat du pape par un turc, Mehmet Ali Agça, sur la place Saint-Pierre conduit très vite les enquêteurs sur une piste bulgare, avec le KGB soviétique en arrière-plan. De quoi alimenter les scénarios les plus redoutés si un pape conservateur, du même acabit que Jean-Paul II, prenait les rênes du Vatican.
L’autre obsession de Vladimir Poutine et Xi Jinping, face aux cardinaux réunis en conclave, est celle de la diplomatie vaticane. Le pape François, en plus de pouvoir compter sur ses nonces apostoliques à travers le monde, misait beaucoup sur la diplomatie parallèle de la communauté progressiste Sant’Egiddio, dont l’aumônier fut pendant plusieurs années le Cardinal Zuppi. Imaginer un pape résolu à utiliser les canaux secrets de la diplomatie vaticane contre leurs régimes autoritaires et répressifs a en revanche de quoi faire frémir Moscou et Pékin.
Pékin veut nommer les évêques
La Chine est en particulier très attachée au renouvellement de l’accord de 2018, qui a ouvert la voie à des co-nominations d’évêques par le parti et le Saint-Siège. «Cet accord avait ouvert une page historique dans les relations entre le Saint-Siège et la République populaire de Chine, et au sein de l’Eglise elle-même dans le grand pays oriental, en permettant à tous les évêques d’être en pleine communion hiérarchique avec le Pape» notait l’agence de presse vaticane le 22 octobre 2024, lors de son dernier renouvellement pour quatre ans. Cet accord provisoire avait mis fin à des décennies d’ordinations épiscopales sans le consentement de Rome.