Droits de douane, immigration, énergie... Dans tous ces domaines, Donald Trump s'est attribué des compétences exceptionnellement étendues au nom de situations «d'urgence» que ses opposants jugent imaginaires.
«Il n'y a pas, aux Etats-Unis, de pouvoir d'urgence accordé au président par la Constitution», explique à l'AFP Noah Rosenblum, professeur de droit à la New York University, mais diverses lois permettent d'étendre à titre exceptionnel, et normalement temporaire, les pouvoirs présidentiels.
Des «états d'urgence»
Elles ont été, dans l'histoire, le plus souvent invoquées «pour faire face à des catastrophes naturelles», note le juriste, «mais bien sûr, ce n'est pas de cette façon que Donald Trump les utilise». Depuis son retour à la Maison Blanche le 20 janvier, le président républicain a plusieurs fois – huit au total selon la radio publique NPR – invoqué des «états d'urgence», dans divers domaines, nécessitant donc une intervention rapide et forte de sa part. Mais rien à voir avec des ouragans ou des inondations.
Selon le président, les Etats-Unis, premier producteur de pétrole au monde, vivent par exemple un «état d'urgence énergétique». L'existence de déficits commerciaux vieux pour certains de plusieurs décennies justifie à ses yeux de déclarer un «état d'urgence économique». Enfin l'arrivée de migrants depuis le Mexique a amené Donald Trump à déclarer un «état d'urgence» à la frontière sud du pays.
«Un autocrate en puissance»
Il estime donc être en droit de répondre à ces situations par des droits de douane massifs ou des expulsions à marche forcée. Pour envoyer des militaires à Los Angeles, malgré l'opposition des autorités locales, le républicain de 78 ans a invoqué une loi sur la «rébellion ou risque de rébellion contre l'autorité du gouvernement des Etats-Unis».
Le gouverneur démocrate de la Californie Gavin Newsom l'a accusé de dérive «dictatoriale». «Le président parle d'urgence là où il n'y en a pas», assène Frank Bowman, professeur de droit à l'université du Missouri, la police locale étant selon lui capable de gérer seule les heurts avec des manifestants opposés à la politique migratoire du gouvernement.
«Toutes ces compétences d'urgence ne sont pas prévues pour l'élection d'un président tel que Monsieur Trump, qui n'est pas entièrement rationnel, qui n'est pas respectueux de l'Etat de droit, qui est, en réalité, un autocrate en puissance», matraque-t-il dans un entretien avec l'AFP.
Pas le premier à le faire
Le président républicain n'est pas le premier à invoquer des circonstances exceptionnelles pour justifier certaines décisions, même s'il le fait d'une manière qui n'a pas réellement de précédent.
Son prédécesseur démocrate Joe Biden avait par exemple décidé d'effacer des dettes étudiantes au nom d'une situation d'«urgence» créée par la pandémie de Covid-19, mais le raisonnement n'avait pas convaincu la Cour suprême, devenue il est vrai fermement conservatrice.
La justice s'en mêle
Dans le cas de Donald Trump, la justice, saisie à de multiples reprises, confirmera-t-elle la légalité des décisions prises au nom de périls imminents? Les juges «ont en général largement tendance à s'en remettre à l'autorité du président» quand il s'agit de déterminer l'existence d'un état d'urgence, note Frank Bowman. Jeudi, un tribunal californien examinera une requête du gouverneur de l'Etat pour suspendre le déploiement de soldats ordonné par Donald Trump.
Dans un argumentaire transmis à la justice, l'exécutif américain insiste sur le fait que le jugement du président doit primer et invoque des précédents historiques: «Les tribunaux ne sont pas intervenus quand le président Eisenhower a déployé l'armée pour protéger la fin de la ségrégation raciale dans les écoles. Les tribunaux ne sont pas intervenus quand le président Nixon a mobilisé l'armée pour livrer le courrier pendant une grève de la poste. Et les tribunaux ne devraient pas non plus intervenir cette fois».
Au-delà de l'aspect légal, ce recours constant au vocabulaire de l'urgence, de la menace imminente ou du péril existentiel participe d'une stratégie politique plus vaste, souligne le professeur Noah Rosenblum.
«Donald Trump exploite les dérives de l'+économie de l'attention+ et utilise une rhétorique de l'urgence pour maintenir un état d'agacement permanent, nous rendre toujours plus épuisés, effrayés et agressifs, et donc demandeurs d'une intervention gouvernementale», assure-t-il.