Sur la route des MAGA (2/3)
Travail, famille, église: et si c'était ça les (vrais) Etats-Unis?

Virginie-Occidentale, à quatre heures de route de New York. Dans cet Etat «rouge écarlate», acquis au Parti républicain version Donald Trump, les électeurs MAGA n'ont pas changé d'avis. Pour ces «Hillbillies», les Etats-Unis doivent redevenir ce qu'ils étaient.
Publié: 11:14 heures
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Dan Booth est précheur itinérant pour «L'Eglise de Dieu» (Church of God). Ancien soldat, il soutient Donald Trump.
Photo: Richard Werly / West virginia
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Richard WerlyJournaliste Blick

Retour vers le futur. Ou plutôt, aller simple vers le passé. Tim n’a pourtant que 19 ans. Sous sa casquette sale vissée sur le crâne, sa gueule noire de poussière de charbon fait remonter à la surface le souvenir des mineurs d’une autre époque. Oui, Tim l'Américain est mineur de fond. Tout juste embauché par l'une des mines encore opérationnelles de la région de Logan, où sa famille vit depuis plusieurs générations.

Je suis dans l’Amérique de Donald Trump. En plein dedans. Ou plus exactement au coeur de l'Amérique de son vice-président, James David (dit J.D.) Vance, qui en a fait un best seller: «Hillbilly Elegy». En français? «L’épopée des ploucs», ou quelque chose comme ça. Un film en a résulté. 

J.D. Vance, né à Midtwon dans l’état industriel de l’Ohio, plus au nord, revenait chaque été dans la localité du Kentucky où vivaient ses grands-parents. Une localité sise au pied des Appalaches, cette chaîne montagneuse qui traverse la Virginie-Occidentale, dont le sous-sol regorge de gisements de houille.

L’or noir, c’était le charbon

Le charbon, cet autre or noir. En Virginie occidentale, les puissants syndicats de mineurs tenaient jadis la rue, face aux propriétaires des filons, dont la famille de l’ancien Sénateur Joe Manchin, «bête noire» de l’ex-président Joe Biden car il bloqua souvent ses projets entre 2020 et 2024. Manchin était, sur le papier, un élu démocrate. Mais il détestait ce qu’est devenu son parti, et se montrait très accommodant envers Trump et les siens.

Je suis dans cette Amérique parce qu’il faut la raconter. La Virginie-Occidentale n’a rien à voir avec l’Amérique côtière. Elle n’est pourtant qu’à quatre ou cinq heures de route de New York. Elle irrigue toute une partie du folklore rural américain. Ici, les «Hillbillies», littéralement les ploucs, sont fiers de l’être. Ils ne se voient pas comme des rebus de la société, des pauvres blancs marginalisés, image que leur renvoient souvent les élites rejetées. 

«Être un Hillbilly, c’est avoir la foi dans un simple tryptique: travail, famille, église, et vous pouvez ajouter l’amour de vos racines et de la terre» m’avait prévenu, à Morgantown, le conservateur adjoint du musée historique de la ville, Neil Burton. Il m’a suffi de quelques miles, à la sortie de la ville, pour m’en rendre compte…

Un grand show religieux

Bienvenue sur le terrain de la «Church of God» (l’Eglise de Dieu) de Morgantown. C’est là que le pasteur Dan Booth, son épouse et sa troupe ont planté leur grande tente. Une fois par an, cet ancien sous-officier de l’US Army s’installe ici, dans cette périphérie verdoyante de Morgantown, pour offrir un grand show religieux à tous les croyants «désireux de se ressourcer» selon ses propres termes. 

Dan n’aime pas parler de politique. Mais il est aussi très inquiet de voir son pays «naufragé face à l’immigration incontrôlée, la perte d’influence, les importations qui mettent des centaines de milliers de gens au chômage, le fentanyl qui empoisonne les pauvres…». Dan parle cash. Ou plutôt, il chante cash. Car chez lui, tout est chanté à la manière gospel. Il harangue ses fidèles dans des refrains ponctués «d’Alléluia!». Dan pense que Donald Trump est, malgré tout, une chance pour l’Amérique.

Il ne s’agit pas de caricaturer cette partie des Etats-Unis. Je suis venu pour l’écouter. Prenez Tim, du haut de ses 19 ans, avec son visage barbouillé de suie, en train de dévorer son omelette matinale. Le garçon est venu, avec son grand-père, prendre son «breakfast» au point de ralliement de toute la région: le café «Tudor Biscuits». Sa voiture attend devant la porte. Il s’estime bien payé. Il est content d’être mineur de fond. 

Il ne croit pas que son pays va se transformer en dictature sous la seconde présidence Trump. Il respecte les institutions, l’armée et son pasteur. Tim veut une famille. Il ne sait pas trop ce que le mot «woke» veut dire mais il n’aime pas l’idée que la société doive se mettre «au diapason des transsexuels». Autant dire qu’il approuve toutes les mesures d’épuration des LGBT de l’administration et des forces armées prises depuis l'entrée en fonction du 47e président des Etats-Unis. 

Hillbillies contre Cow-Boys

«Hillbilly»: j’ai ce mot en tête car le vice-président J.D Vance en a presque fait un slogan électoral. Mon ami romancier Peter Heller, magnifique conteur de la nature américaine, m’avait prévenu lors de notre rencontre à Denver, dans le Colorado: «Il y a fondamentalement deux cultures rurales aux Etats-Unis, et elles disent deux réalités opposées. La première est la culture minière, celle des Hillbillies, celle des vallées. C’est une Amérique de la collectivité, de la famille, de la discipline. Et puis, à l’ouest, il y a l’Amérique des cow-boys. Ce pays-là est beaucoup plus libéral, individualiste, ouvert sur l’extérieur. Trump incarne en quelque sorte la victoire des «Hillbillies». Alors que Ronald Reagan, autre Président républicain très conservateur, s’appuyait au contraire sur le mythe des cow-boys». 

J’aime cette explication. Elle résume bien les Etats-Unis de 2025 et l'incompréhension internationale que le pays suscite. A sa manière, fantasque et folle, voire dangereuse, Elon Musk est le cow-boy par excellence. Un cow-boy qui rêve de conquérir la planète Mars. A l'inverse, le vice-président J.D. Vance et Stephen Miller, le conseiller de l’ombre le plus puissante de la Maison Blanche, incarne l'Amérique des «Hillbillies», dont il surjoue les codes: attachement à la terre, aux racines américaines, à la religion.

J’en parle à Dylan, un coach de football américain dont la compagne, Mary, tient un café à Beckley, dans le sud de la Virginie-Occidentale. Dylan connaît ces familles. Il voit grandir tous les Tim des parages. «C’est une Amérique inquiète, repliée sur elle-même. Elle ne comprend pas comment ce pays si puissant, dont le sous-sol est gorgé de charbon et la terre recouverte de forêts, peut être à ce point dépendant de l’extérieur. Pour ceux-là, Travail, famille, église: c’est ça les (vrais) Etats-Unis!».

Le message de la droite

Dans son livre biographique «Hillbilly Elegy», J.D. Vance a formalisé la réponse à l'inquiétude de ses compatriotes: «Ce qui sépare ceux qui réussissent de ceux qui échouent, ce sont les attentes qu'ils avaient à l'égard de leur propre vie. Pourtant, le message de la droite est de plus en plus clair: ce n'est pas votre faute si vous êtes un perdant ; c'est la faute du gouvernement.»

Pas étonnant que la Virginie-Occidentale soit, électoralement, un bastion du Trumpisme. Sur mes conseils, Dylan le coach de football américain s'est plongé dans l'essai du vice-président. Devant une rangée de flippers, dans la salle arrière du café, il a souligné cette phrase: «Quand on me demande ce que j'aimerais le plus changer dans la classe ouvrière blanche, je réponds: le sentiment que nos choix n'ont pas d'importance». «Voilà, tout est dit,rigole-t-il. Qu'importent les faits. Qu'importe la vérité. L'Amérique qui nous entoure veut juste avoir le sentiment qu'elle compte à nouveau. Et, surtout, qu'elle est écoutée.»

Prochain épisode: J.D Vance, retour sur un roman trumpiste

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