Lors de la conférence de presse sur l’opération d’évacuation des enfants de Gaza, une phrase a retenu l’attention. Prononcée presque en passant par le directeur opérationnel, elle disait: «L’un d’eux a reçu une balle de sniper dans le péroné.» Il s’agissait de l’un des sept enfants de moins de dix ans actuellement soignés dans les hôpitaux suisses.
Aucune autre précision n’a été donnée sur l’enfant ni sur les circonstances. Pour des raisons de protection de la personnalité, le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) reste muet. Seule information confirmée: l’origine des données médicales proviennent de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). «Nous avons tiré des informations médicales des dossiers transmis par l’OMS», indique sa porte-parole. L’organisation n’a pas souhaité répondre aux questions de Blick.
Les médecins tirent la sonnette d'alarme
Comment un tireur d’élite peut-il viser un enfant? Pourtant, des rapports médicaux le confirment: oui, cela arrive. Si les informations de l’OMS sont exactes, l’enfant blessé au mollet n’est qu’un cas parmi de nombreux autres.
Le 7 octobre 2023, le Hamas a lancé son attaque contre le sud d’Israël, faisant 1200 morts. Depuis, la guerre qui a suivi, malgré un cessez-le-feu fragile, a provoqué des dizaines de milliers de victimes palestiniennes. Selon une étude du Royal Holloway College de Londres, plus de 75'000 personnes, dont la moitié des femmes et des enfants, ont été tués.
Face à la multiplication des cas d'enfants grièvement blessés par balle, des médecins américains ayant travaillé à Gaza ont tiré la sonnette d’alarme, et ce, depuis l'année dernière.
«Shot, shot»
Parmi eux figure Mark Perlmutter, un orthopédiste juif américain originaire de Caroline du Nord. En mars 2024, il s’est rendu en Israël pour une mission de courte durée après avoir appris que la bande de Gaza manquait de médecins spécialisés. Sa compétence? Opérer des enfants, qui représentent près de 50% de la population du territoire.
Sur place, il a rencontré un autre médecin américain, Feroze Sidhwa, chirurgien traumatologue californien d’origine pakistanaise. Tous deux ont été dirigés vers l’hôpital européen de Khan Younès. Dès leur première visite, ils se sont retrouvés face à une situation qu'ils n'avaient encore jamais affrontées. Des journalistes de «Politico», du «New York Times» et du podcast This American Life en ont par la suite rendu compte.
L’infirmière qui les guidait parlait à peine anglais. En passant devant deux enfants, elle a désigné la tête de chacun d'entre eux, répétant simplement: «Shot, shot» (tir, tir). Un mot qu'elle a ensuite répété en passant devant deux autres enfants. Feroze Sidhwa a d'abord pensé que l'infirmière confondait balles et éclats d’obus. Mais en examinant les radiographies, il a du admettre qu’il s’agissait bel et bien de balles logées dans la tête.
Blessures par balle à la tête et au thorax
Et ce n’était que le début. Chaque jour, pendant deux semaines, les deux médecins n'ont eu de cesse d'opérer des enfants grièvement blessés.
Mark Perlmutter se souvient particulièrement de deux garçons d’environ six ans, présentant tous deux des blessures par balle à la tête et au thorax. Il décrit comment il a déchiré la chemise de l’un d’eux pour constater une plaie juste au-dessus du cœur, puis comment il a soulevé les bandages de son front pour découvrir qu’une autre balle avait pénétré près de l’oreille gauche avant de ressortir par le cou.
Ces images le hantent encore aujourd’hui. A la fin de leur mission, Mark Perlmutter et Feroze Sidhwa avaient recensé 13 enfants atteints d’au moins une balle dans la tête. La plupart n’ont pas survécu.
De retour aux Etats-Unis, ils ont conduit une enquête informelle auprès de médecins et d’infirmiers américains ayant travaillé à Gaza. Sur 53 personnes interrogées, 44 ont affirmé avoir vu des enfants blessés par balle à la tête et/ou au thorax. Certaines disposaient de radiographies et de photographies attestant ces blessures.
Les praticiens ont ensuite adressé une lettre au président américain Joe Biden, demandant une enquête indépendante et un arrêt des livraisons d’armes américaines à Israël. Aucune suite n’a été donnée.
Des tirs de sniper?
Une question demeure: comment ces enfants ont-ils été blessés? Selon Marl Perlmutter et Feroze Sidhwa, les familles racontent un scénario récurrent: les enfants jouaient à l’intérieur ou dans la rue lorsque des tirs israéliens les ont atteints. Mark Perlmutter est convaincu qu’il ne s’agit pas d’accidents: «Aucun tireur d’élite ne touche deux fois un enfant par erreur.»
Un cas récent illustre cette inquiétude: l’exécution d’un garçon palestinien de dix ans en Cisjordanie a fait grand bruit. Des témoins ont déclaré à la BBC que l’enfant et ses amis jouaient au football lorsqu’ils ont aperçu des véhicules militaires israéliens et pris la fuite. Les Forces de défense israéliennes (FDI) ont affirmé que les enfants lançaient des pierres et que les soldats avaient ouvert le feu. L’incident fait l’objet d’une enquête.
Les accusations formulées par les deux médecins américains sont rejetées par Tsahal. Dans une déclaration transmise aux médias, l’armée israélienne a assuré: «Tsahal ne vise pas les mineurs et prend de vastes mesures pour éviter tout dommage aux civils, y compris aux enfants. Elle agit dans le respect du droit international.»