Malgré le cessez-le-feu
Traumatisés, les enfants de Gaza risquent de basculer dans la violence

Thomas Elbert a mené pendant des décennies des recherches sur les personnes souffrant de traumatismes de guerre. Gaza est un cas extrême, assure le psychologue. Son pronostic: de nombreux jeunes prendront goût à la violence, malgré eux.
Publié: 06:38 heures
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Dernière mise à jour: 06:53 heures
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La guerre est peut-être (temporairement) terminée, mais les traumatismes restent.
Photo: AFP
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Samuel Schumacher

L’accord est signé. Israël a accueilli ses otages, tandis qu’à Gaza, des familles affamées regagnent leurs villes en ruine. Alors que les cloches sonnent pour la paix et que le monde célèbre la fin – momentanée du moins – des combats, un danger invisible plane encore sur Gaza.

Un tiers du million d’enfants survivants souffrira de cauchemars toute sa vie, et un autre tiers ne se développera que partiellement, avertit le psychologue de guerre Thomas Elbert, basé à Constance. «Ce sont les enfants les plus combatifs qui seront les plus à même de maintenir, voire d'améliorer, leurs capacités fonctionnelles», explique-t-il. Mais son pronostic pour Gaza est sombre.

Chercheur de terrain, Thomas Elbert a étudié les séquelles psychiques de la violence en Somalie, en Afghanistan et au Congo. Il considère la bande de Gaza comme le cas le plus extrême: 90% des 2,1 millions d’habitants ont été déplacés pendant la guerre. Selon les autorités sanitaires de Gaza, 67'173 personnes ont été tuées par les bombardements israéliens – parmi elles, plus de 20'000 enfants et 10'400 femmes. Environ 170'000 blessés sont recensés, et des milliers de corps sont encore recherchés sous les décombres.

Des enfants abandonnés dans la violence

«Les habitants de Gaza vivent sous une menace constante. Dès l’enfance, ils restent sur le qui-vive», observe Thomas Elbert. Les jeunes hommes, souvent témoins de violences ou acteurs d’affrontements, développent selon lui une «attirance pour le combat», une forme de dépendance à la confrontation, malgré eux.

«Cela ne s’efface pas facilement», précise-t-il. Au mieux, cette énergie pourrait être redirigée vers la reconstruction: se battre non plus les uns contre les autres, mais pour une société plus stable. Plus facile à dire qu'à faire lorsqu'un enfant s'est développé sous les bombes.

Plus de la moitié des Gazaouis ont moins de 18 ans, souligne l’ONU, et tous nécessitent un soutien psychologique d’urgence. L’accès à l’éducation est quasi inexistant: 95% des écoles ont été détruites et 650'000 enfants n’ont pas eu cours depuis deux ans.

A ce désastre s’ajoute un phénomène de traumatisme transgénérationnel: des parents marqués par la guerre transmettent à leurs enfants anxiété et méfiance. «Les parents traumatisés peinent à réguler leurs émotions. Les enfants grandissent dans un climat de peur et reproduisent ces schémas», explique Thomas Elbert.

Comment le cerveau réagit à la guerre

Les traumatismes extrêmes laissent aussi des traces neurologiques. «Les enfants traumatisés développent un système immunitaire cérébral adapté à la survie dans un environnement menaçant», détaille le psychologue. Ce mécanisme crée une prédisposition à la violence, d’abord défensive, mais peut aussi se transformer en comportement agressif.

La guerre peut cesser, mais ses effets perdurent: peur, haine et réflexe d’attaque deviennent des automatismes ancrés. Et dans une Gaza toujours isolée, où seuls un tiers des hôpitaux fonctionnent et où des centaines de milliers d’habitants ignorent où dormir, l’aide psychologique – aussi importante soit-elle – reste loin des priorités.

Blâmer est contre-productif

Les victimes doivent pouvoir se reconstruire par elles-mêmes, estime Thomas Elbert. «Il faut comprendre ce qu’elles ont pensé, ce qu'elles ont ressenti et comment leur corps a réagi, plutôt que de chercher à désigner des coupables», insiste-t-il. Selon lui, «la condamnation d'un camp ou de l'autre est contre-productive». 

Des organisations comme Vivo International, qu’il a cofondée et qui soutient des programmes de soins pour les enfants de Gaza, sont aujourd’hui essentielles. Si le cessez-le-feu tient, ces ONG pourront bientôt reprendre leur travail sur le terrain. Un espoir fragile pour ceux pour qui l’accord de paix négocié par Donald Trump ne marque pas la fin des souffrances, mais seulement le premier pas d’un long chemin vers la vie.

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