Conférence à Rome
La guerre mondiale des drones se joue en Ukraine

Les soutiens européens de l'Ukraine se retrouvent à Rome les 10 et 11 juillet pour un nouvelle conférence sur la reconstruction future du pays. Mais dans l'immédiat, ils ont un seul mot d'ordre: Kiev doit gagner la guerre des drones.
Publié: 10.07.2025 à 10:53 heures
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Dernière mise à jour: 10.07.2025 à 12:47 heures
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Chaque nuit, la défense antiaérienne ukrainienne se mobilise contre les attaques massives de drones russes.
Photo: keystone-sda.ch
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Richard WerlyJournaliste Blick

C’est une guerre mondiale d’un genre nouveau que la conférence sur la reconstruction de l’Ukraine, ces 10 et 11 juillet, va aborder à Rome (où la Suisse est représentée). La guerre des drones. Une guerre où tous les paramètres, militaires, industriels, civils, sont affectés par ce changement de dimension inédit dans le conflit. Parce que plus personne, aujourd’hui, n’est à l’abri de frappes meurtrières par ces engins télécommandés, comme vient de le montrer l’attaque massive déclenchée par la Russie contre Kiev, qui a mobilisé environ 400 drones et 18 missiles.

Cette guerre des drones est racontée, au quotidien, par les soldats des deux camps, et par les journalistes qui arpentent le front, en Ukraine comme dans les Oblasts (régions) en partie annexés par les forces russes. Lors du sommet de l’OTAN à La Haye (Pays-Bas) les 24 et 25 juin, l’un des moments les plus émouvants, selon l’entourage de dirigeants des 32 pays alliés, a été la retransmission d’une conversation entre un «droniste» ukrainien et des combattants isolés, en passe d’être repérés par des drones russes. L’idée que l’Ukraine connaît une répétition de la Première Guerre mondiale, avec tranchées et bombardements, ne correspond plus à la réalité.

Tout est surveillé

C’est un conflit en quatre dimensions qui se joue désormais à l’est du continent européen. Tout est vu. Tout est surveillé. Tout est pilonné. Tout doit être camouflé. Des filets antidrones sont posés dans les arbres, au-dessus des immeubles ou sur les routes. Le drone est l’arme fatale de ce conflit déclenché par l’agression russe du 24 février 2022.

Quels drones? Là aussi, tout a changé. La guerre en Afghanistan menée par les forces américaines avait montré l’importance des drones d’attaque, répliques d’avions de chasse pilotés depuis des lointaines bases américaines. Depuis, ce type de drones à long rayon d’action s’est illustré dans de nombreuses frappes ciblées. Sur un autre front, l’Iran a lancé plusieurs fois ses drones Shahed à l’assaut du ciel israélien protégé par le «dôme de fer». Mais quid de tous les autres drones. Les drones grenadiers, qui lancent des charges explosives. Les drones kamikazes. Les minidrones de surveillance, dont le son est presque indétectable. On parle même de microdrones, bientôt aussi petits qu’un frelon. L’objectif: tout épier, tout savoir et surtout causer le maximum de dommages en saturant les défenses antiaériennes de l’ennemi.

Enormes progrès russes

Cette guerre des drones est chiffrée. L’Ukraine est aujourd’hui le premier producteur européen de ces engins télécommandés. Les dronistes ukrainiens sont bien meilleurs que leurs collègues européens. On parle d’une capacité industrielle ukrainienne de deux millions de drones par an. Les élèves ukrainiens en fabriquent dans leurs écoles. Des personnes âgées les rafistolent. Des laboratoires de drone sont hébergés par des compagnies privées technologiques. Mais attention: cette avance est provisoire. La Russie fait d’énormes progrès. La technologie iranienne a été importée dans ses usines. La Chine se charge de l’approvisionner en composants notamment sur le plan de l’électronique, de la navigation, des systèmes optiques et de télémétrie, des moteurs, des microcircuits, des modules de processeur, des systèmes de champ d’antenne, des cartes de contrôle. Bientôt, les Russes dépasseront les deux millions de drones annuels…

L’enjeu de cette guerre n’est pas que militaire, et c’est pour cette raison que la conférence de Rome va se pencher sur le sujet. Les drones détruisent les infrastructures critiques, qu’il faut donc protéger. Les drones exigent d’importants investissements dans la couverture numérique du pays, pour permettre leur guidage. Les drones posent, aux Européens, la question de la fiabilité de leur système de localisation Galileo, alternative au GPS américain.

Partage du renseignement

Et puis vient la question du partage du renseignement. La Russie de Poutine en a moins besoin, puisqu’elle frappe de manière indiscriminée les cibles militaires et civiles. L’Ukraine, en revanche, doit savoir où frapper. Elle l’a encore montré avec l’opération «dronocide» du début juillet, visant à démanteler les postes de commandements des dronistes russes.

Les moyens mis en œuvre pour les drones, côté européen, restent ridicules. Un premier projet a démarré en 2024 en France, avec un budget d’environ 40 millions d’euros alors qu’aux Etats-Unis, la seule US Navy (Marine) y a consacré près de 700 millions en 2024 pour tous les types de drones: aériens, terrestres et navals. Selon les estimations des experts militaires, le marché nord-américain des drones tactiques atteint aujourd’hui près de trois milliards de dollars par an. Et c’est peut-être, paradoxalement, l’une des raisons pour lesquelles Donald Trump ne peut pas se permettre de lâcher Kiev. Quoi de mieux qu’une guerre des drones en cours, aussi dévastatrice soit-elle, pour tester toutes les technologies supposées assurer la suprématie militaire américaine de demain?

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