Au sommet européen ce jeudi
Trump mise sur ces «dislocateurs» pour faire dérailler l'UE

Le président des Etats-Unis ne veut pas d'une Union européenne qui assumerait son indépendance vis-à-vis des Etats-Unis. Ce jeudi, le sommet des 27 à Bruxelles va le démontrer haut et fort.
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Les 27 leaders des pays membres de l'Union européenne se retrouvent à nouveau au chevet de l'Ukraine ce jeudi à Bruxelles.
Photo: Getty Images
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Richard WerlyJournaliste Blick

Ils sont les «dislocateurs». Ou plutôt les «chevaux de Troie» de Donald Trump au sein de l’Union européenne. Ces pays et leurs dirigeants sont ceux sur lesquels le président des Etats-Unis parie pour empêcher l’UE de prendre des décisions qui ne conviendraient pas à Washington, en particulier sur le futur plan de paix destiné à mettre fin au conflit ukrainien

La publication récente du document stratégique américain, qui dénonce «l’affaissement civilisationnel de l’Europe», a donné le ton. Trump sonne la charge et c’est au sommet européen de Bruxelles, ce jeudi, que l’on va pouvoir juger des premiers résultats de son offensive géopolitique.

Ces «dislocateurs» sont ceux que l’administration américaine estime avoir «dans sa manche». Car depuis quelques jours, le téléphone crépite entre le Bureau ovale de Donald Trump et celui de certains dirigeants des Vingts-Sept. Le Premier ministre polonais, Donald Tusk, a reconnu que les pressions américaines sont «fortes», en particulier à propos de l’Ukraine, avant ce dernier sommet européen de l’année à Bruxelles. 

Preuve de la tension ambiante: certains diplomates n’excluent pas que la rencontre prévue ce jeudi et vendredi dans la capitale belge se prolonge samedi. Avec au menu deux casse-tête: l’adoption ou non de la solution préconisée par la Commission européenne pour l’utilisation des actifs russes gelés, afin d’apporter l’aide budgétaire indispensable à l’Ukraine puis de financer sa reconstruction; et les modalités des «garanties de sécurité» que les Européens apporteront au sein d’une «force de garantie» pour protéger le pays après la cessation des hostilités.

Les premiers «dislocateurs» sur lesquels misent Trump et son entourage sont les dirigeants nationaux-populistes qui partagent son agenda «MAGA» (Make America Great Again) et qui souhaitent avant tout plaire à la Russie, dont leurs pays dépendent sur le plan énergétique. Il s’agit de la Hongrie de Viktor Orbán et de la Slovaquie de Robert Fico. 

Dans les deux cas, la donne est similaire: Orbán et Fico ne veulent pas entendre parler d’un quelconque gel indéterminé des avoirs russes, comme le propose la Commission. Ils comptent s’opposer au vote à la majorité qualifiée des pays membres, justifié par la Commission au titre des «mesures d’urgence» pour l’Ukraine. Tous deux veulent que les actifs russes, avant d’être éventuellement utilisés pour la reconstruction de l’Ukraine, puissent aussi profiter aux Etats-Unis, comme l’a demandé l’administration Trump. Ils mettront donc leur veto à toute solution qui remettrait en cause l’actuel gel temporaire – renouvelé tous les six mois par un vote à l’unanimité des Vingt-Sept – des 185 milliards d’euros d’avoirs russes détenus dans l’organisation de compensation Euroclear.

Le deuxième bataillon

Le deuxième bataillon de dislocateurs est composé de pays comme la Belgique ou Malte, résolument hostiles à toute initiative financière qui mettrait la Russie en furie. La Belgique, dirigée par le Premier ministre nationaliste flamand Bart De Wever, de droite radicale, estime qu’elle court beaucoup trop de risques, puisque Euroclear est basée à Bruxelles. Malte est connue comme place financière jadis prisée des Russes. C’était en tout cas vrai avant la guerre en Ukraine. Pas question pour ces deux gouvernements insulaires de fâcher l’ours russe!

En troisième position se trouve l’Italie de Giorgia Meloni, soutien jusque-là infaillible de l’Ukraine, mais courtisée par Donald Trump. L’Italie n’est pas non plus favorable au gel indéterminé des avoirs russes, et sa présidente du Conseil compte bien faire entendre son avis, car elle est très sollicitée sur un autre dossier sensible qui sera examiné lors de ce Conseil européen: l’entrée en vigueur de l’accord commercial UE-Mercosur avec les pays d’Amérique latine. La France, qui veut un nouveau report pour calmer ses paysans, a besoin de l’Italie, aux côtés de deux autres pays rétifs à ce pacte commercial: la Hongrie et la Pologne. Un blocage italien sur la question des actifs financiers russes serait un coup très dur, puisque ce pays est membre fondateur de l’Union.

L’UE est inachevée

«L’UE est inachevée, imparfaite et fragile», juge l’excellente lettre La Matinale européenne. «Elle s’est dotée d’armes pour se défendre, mais faute de chef, ses membres refusent de les utiliser, par peur ou par calcul.» Mais comment bien jouer en défense si l’on diffère sur la stratégie de jeu? L’exemple le plus marquant est celui de la Pologne, pays très atlantiste, obsédé par ses liens militaires avec les Etats-Unis, dont le président de la République a été élu cette année avec le soutien de Donald Trump.

Pour La Matinale européenne, le sommet de Bruxelles sera, du point de vue de la relation avec les Etats-Unis sur l’Ukraine, celui du quitte ou double. «Donald Trump a décidé de passer du côté sombre de la force et affiche désormais sa volonté de dépecer l’Europe.» Le commissaire européen à la Défense, le Lituanien Andrius Kubilius, citoyen d’un pays balte pourtant très dépendant du bouclier militaire américain, prévient: «Trump a endossé une stratégie de sécurité dans laquelle il attaque l’Union européenne, vue comme une menace pour les intérêts américains: un super-Etat unificateur.»

Les Vingt-Sept dans le viseur

La preuve que Bruxelles et les Vingt-Sept sont dans le viseur: des fuites sur une première mouture de la stratégie américaine ont révélé que les Etats-Unis veulent «séparer» quatre pays de l’UE: la Hongrie, l’Italie, la Pologne et l’Autriche. Pourquoi l’Autriche, dernier des dislocateurs? Parce que le parti populaire autrichien (ÖVP), national-populiste, est la principale force politique du pays depuis sa victoire aux législatives de septembre 2024, même s’il ne participe pas à l’actuel gouvernement. 

«Chaque faille dans l’édifice communautaire est bonne à prendre pour Donald Trump. Pour lui, l’Union européenne – qu’il accuse d’avoir été faite pour «entuber» les Etats-Unis – éloigne les Vingt-Sept de Washington et de l’alliance économique atlantique qu’il entend diriger. »

Afin de mettre le maximum de pression sur le sommet de Bruxelles qui s’ouvre ce jeudi matin, le locataire de la Maison-Blanche a par ailleurs annoncé qu’il soutient l’entrée de l’Ukraine dans l’UE dès 2027! Un sujet empoisonné pour des pays membres aujourd’hui divisés sur la question, et qui devront approuver l’intégration ukrainienne à l’unanimité. Le meilleur allié de Trump, Viktor Orbán, a ainsi toujours dit qu’il s’opposerait à l’entrée de l’Ukraine dans l’Union.

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