Peu de pays connaissent les Russes aussi bien que les Finlandais. Depuis qu'ils ont été attaqués pendant la Seconde Guerre mondiale et qu'ils ont dû leur céder des territoires, les pays nordiques surveillent de très près leur imprévisible voisin. Grâce à leurs services secrets, ils suivent le rassemblement des troupes russes en grand nombre à la frontière.
Même si les troupes semblent menaçantes et que les gouvernements européens redoutent une attaque prochaine de la Russie contre d'autres pays européens, Vesa Virtanen, chef du commandement de la défense finlandaise, garde son calme. Il nous explique pourquoi dans un entretien réalisé sur le terrain d'entraînement de Vekaranjärvi dans le sud-est de la Finlande, près de la frontière de l'OTAN.
Général Virtanen, que se passe-t-il actuellement derrière la frontière finno-russe?
Vesa Virtanen: Nous observons des rassemblements de troupes russes près de notre frontière. Avant l'invasion russe, il y avait là quatre brigades avec environ 20'000 soldats, qui sont maintenant des divisions. Nous estimons qu'à l'avenir, environ 80'000 soldats y seront stationnés.
D'où tirez-vous ces informations?
Grâce à nos services de renseignement, nous avons toujours une bonne idée de ce qui se passe derrière la frontière. Depuis l'adhésion à l'OTAN en 2023, nous en savons encore plus.
Que préparent les Russes à la frontière finlandaise? Vous attendez-vous à une attaque prochaine?
Non. Ce sont des endroits où les soldats sont formés pour être ensuite envoyés à la guerre en Ukraine. Je pense qu'une attaque contre la Finlande est peu probable, même s'il ne faut pas l'exclure. Les Russes ont toujours eu des troupes stationnées près de notre frontière. D'un point de vue militaire, il est compréhensible qu'ils renforcent leurs troupes maintenant.
Pourquoi les renforcer s'ils ne prévoient pas d'attaque?
D'une part, il s'agit pour eux de sécuriser la frontière, car elle est devenue une frontière de l'OTAN. D'autre part, ils veulent être préparés à un combat si quelque chose devait arriver.
Seriez-vous prêts en cas d'attaque?
Nous avons toujours été prêts. Nous vivons avec la menace de l'Est depuis des années. C'est aussi la raison pour laquelle nous n'avons pas aboli le service militaire obligatoire. D'autres pays européens qui, il y a 20 ans, avaient abandonné la conscription, nous avaient alors qualifiés de derniers des Mohicans.
L'Europe menacée
Plusieurs représentants de gouvernements européens redoutent une attaque de la Russie contre l'Europe dans quelques années. Vous voyez les choses différemment?
Je n'effraierai pas les gens avec de telles déclarations. Une extension de la guerre à d'autres pays européens est très improbable. La Russie est actuellement très occupée par l'Ukraine. Mais l'Europe doit se préparer et mettre en place une dissuasion pour éviter d'en arriver là.
L'ultimatum de Donald Trump à Moscou pour des discussions et la mise en garde de l'ancien président russe Dmitri Medvedev d'une guerre entre la Russie et les Etats-Unis ne change donc rien?
Non. Il faut faire la différence entre les mots et les mesures concrètes.
Combien de temps la guerre en Ukraine va-t-elle encore durer?
C'est impossible à dire. Ce qui est sûr pour moi, c'est que les pays occidentaux doivent mettre fin le plus rapidement possible à l'attaque contre l'Ukraine.
Comment?
Il n'existe actuellement aucune solution militaire. Il faut trouver une solution politique.
La guerre de l'ombre
Comment évaluez-vous l'armée russe après plus de trois ans de guerre?
Elle a fait des erreurs au début, mais elle en a tiré des leçons. Les guerres sont un processus d'apprentissage permanent. Une autre guerre sera encore différente.
Qu'avez-vous appris de la guerre en Ukraine?
Il y a de nombreuses leçons à tirer. Le plus important pour réussir, c'est d'avoir l'esprit et la volonté de défendre son pays. Ensuite, il faut une bonne cohésion des unités. Les drones et les satellites nous montrent comment la guerre a évolué sur le plan technique.
Les pays occidentaux doivent-ils fournir des armes à l'Ukraine pour attaquer des cibles jusqu'à Moscou ?
C'est une décision politique.
Quelle est votre opinion?
Si je pense en termes militaires, oui. Plus une arme est performante et efficace, plus on peut se défendre contre une attaque. Mais en même temps, il faut éviter une escalade.
Des armes de choix
La Finlande est membre de l'OTAN depuis deux ans. Faites-vous encore confiance à l'Alliance depuis que Trump est devenu président des Etats-Unis?
Je ne perçois aucun changement dans la coopération avec les dirigeants de l'armée américaine. Notre coopération avec les Etats-Unis est excellente.
La Finlande pourrait-elle devenir un site d'armes nucléaires?
Ce n'est pas à l'ordre du jour.
La Finlande s'est retirée de l'accord sur les mines antipersonnel sous le feu des critiques. Pourquoi?
Nous devons regarder la réalité en face. Nous voyons la Russie déployer son infanterie en Ukraine et y poser des mines. Comme nous sommes un petit pays avec une longue frontière avec la Russie, nous devons avoir les mêmes possibilités.
La Finlande, comme la Suisse, a opté pour le jet américain F-35 et en a commandé 64 exemplaires. La Finlande doit-elle aussi payer un prix beaucoup plus élevé?
Bien sûr, il y a constamment des ajustements parce que le taux de change varie ou que certains matériaux sont plus difficiles à obtenir. Mais nous n'avons pas cette discussion sur les coûts comme en Suisse.
Choisiriez-vous à nouveau ce modèle?
Absolument. Le F-35 est le meilleur des meilleurs. Il sera livré à partir de l'année prochaine et les anciens F/A-18 seront remplacés d'ici 2030.
La Finlande et la Suisse vont-elles continuer à coopérer pour la maintenance de l'avion, comme elles l'ont fait pour le F/A-18?
Je pense que c'est une bonne idée de poursuivre cette coopération. C'est une situation gagnant-gagnant lorsque des armées utilisant le même matériel échangent et coopèrent.
L'armée suisse est en crise à cause de défaillances au niveau des acquisitions et du commandement. En tant que chef d'une troupe prête au combat, que pensez-vous de notre armée?
Je pense que chaque pays a sa propre histoire et sa propre structure. Notre situation en matière de menaces est différente de celle de la Suisse: les Finlandais sont biberonnés aux souvenirs de plusieurs guerres avec la Russie.