La sécurité prime sur le désarmement
Le combat laborieux de la Suisse face aux mines antipersonnel

Les besoins en matière de déminage augmentent – mais les moyens se tarissent. Des experts suisses se dressent face à cette évolution mortelle en Syrie, en Ukraine et ailleurs dans le monde.
Publié: 21:04 heures
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Une démineuse avec une mine antichar près de la ville syrienne de Rakka.
Photo: Getty Images
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Lino Schaeren

Après la chute de Bachar al-Assad, la population déplacée revient – sans se douter du danger qui la guette sous terre. Selon les estimations de l'ONU, la Syrie est l'un des pays les plus minés au monde. Les routes, les champs et les quartiers d'habitation sont contaminés par des restes d'explosifs, ce qui rend difficile un retour en toute sécurité pour des millions de personnes.

Situation particulièrement perfide, de nombreuses mines n'ont pas été posées à des fins militaires, mais utilisées de manière ciblée pour terroriser les civils. Des engins explosifs improvisés se cachent dans des tiroirs, sur des terrains de jeu ou dans des portes d'entrée. Plus de 1000 personnes ont été tuées ou mutilées par des mines terrestres et des munitions non explosées depuis la chute d'Assad. A cela s'ajoute le fait qu'il n'existe pas de coordination nationale du déminage.

C'est pourquoi le Centre international de déminage humanitaire de Genève (CIDHG) a été sollicité en juin par les Casques blancs, la protection civile syrienne, pour apporter son soutien. Une équipe d'experts genevois s'est rendue samedi à Damas afin d'aider à la mise en place d'un centre national de déminage.

Conseiller le gouvernement de Zelenski

Tobias Privitelli est directeur du CIDHG et a le statut d'ambassadeur suisse. Selon lui, «personne ne sait exactement à quel point la Syrie est infestée de mines». L'une des tâches de ses collaborateurs sera d'aider à cartographier les zones dangereuses. Le centre est soutenu par 18 Etats, les Nations Unies et quelques fondations privées, la Suisse finançant la moitié du budget de 20 millions de francs. La mise en place de structures pour un déminage professionnel fait partie des compétences clés de l'organisation.

Le CIDHG l'a déjà prouvé en Ukraine. Le centre genevois a soutenu le gouvernement de Volodymyr Zelensky dans la mise en place d'un nouveau programme de lutte contre les mines; Tobias Privitelli siège au comité consultatif du Centre national ukrainien de déminage humanitaire. Au moins 135'000 kilomètres carrés de l'Ukraine sont contaminés par des mines et autres explosifs russes – plus de trois fois la superficie de la Suisse.

Les mines antipersonnel sont particulièrement cruelles: elles sont censées blesser les ennemis et non les tuer – afin d'immobiliser les ressources et de ralentir l'avancée. La plupart du temps, elles touchent la population civile. En 2024, plus d'une victime de mines sur trois était un enfant et 85% étaient des civils. C'est pourquoi la Convention d'Ottawa de 1997 interdit les mines antipersonnel. Aujourd'hui, 166 Etats sont signataires de cette convention.

L'interdiction des mines sur la sellette

Mais l'interdiction s'effrite: la Russie, les Etats-Unis et la Chine n'ont jamais signé la Convention d'Ottawa. L'Ukraine ne veut plus y adhérer non plus. Zelensky a récemment déclaré: «Les mines terrestres sont souvent un moyen de défense nationale irremplaçable». L'Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne et la Finlande ont déjà annoncé qu'elles utiliseraient à nouveau des mines antipersonnel face à la menace que pose Moscou. Il est question d'une gigantesque ceinture de mines de l'OTAN.

Hansjörg Eberle, CEO de la Fondation suisse de déminage (FSD), déclare: «La Convention d'Ottawa est malheureusement une politique de beau temps – tout le monde est contre les mines jusqu'à ce qu'ils soient eux-mêmes menacés». La fondation suisse compte parmi les organisations leaders mondiales dans le domaine du déminage et travaille en Ukraine avec des services de reconnaissance des risques, des véhicules de déminage et des équipes spéciales qui recherchent les restes de munitions dans les décombres. La Suisse soutient la FSD à hauteur de 40 millions de francs jusqu'en 2027.

En Syrie aussi, les experts de la FSD se tiennent prêts, mais sont toutefois condamnés à attendre. «Nous pouvons former 200 à 300 locaux au déminage en l'espace de trois mois», explique Hansjörg Eberle. Mais la situation instable sous les nouvelles autorités décourage de nombreux bailleurs de fonds.

Mais les difficultés de financement ne se limitent pas au contexte syrien. L'intérêt pour le déminage diminue malgré un besoin croissant. Partout, la sécurité prime sur le désarmement. «On trouve de l'argent pour l'Ukraine, mais souvent au détriment d'autres régions», explique Hansjörg Eberle. C'est surtout le retrait des Etats-Unis qui a des conséquences dramatiques.

170 démineurs licenciés

Jusqu'au deuxième mandat de Trump, les Etats-Unis étaient le plus grand donateur pour le déminage humanitaire, mais depuis février, le président a radicalement réduit les fonds. La France, l'Italie et la Grande-Bretagne réduisent également leur soutien. Leurs propres considérations sécuritaires sont désormais au premier plan. Un tiers du budget de la FSD a été supprimé. «Nous avons dû nous retirer d'Afghanistan et licencier 170 démineurs locaux», explique Hansjörg Eberle.

Les régions fortement infestées de mines comme l'Asie centrale avec l'Afghanistan et l'Irak, le Cambodge, l'Afrique de l'Ouest ou la région du Sahel sont négligées. Tobias Privitelli, du Centre de déminage de Genève, ressent lui aussi la diminution de la volonté de financer des projets – en particulier en Afrique. Malgré tout, la tendance n'est pas uniquement négative: grâce à la Convention d'Ottawa, 50 millions de mines antipersonnel ont été détruites. Certes, le nombre de victimes augmente à nouveau, mais il était encore plus élevé dans les années 1990.

Interrogé à ce sujet, le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) souligne l'importance de l'engagement humanitaire: sans déminage, il n'y a pas de reconstruction. La Suisse regrette le retrait de certains Etats de la Convention d'Ottawa et les encourage à changer d'avis.

En 2024, la Suisse a investi 44 millions de francs dans le déminage et compte ainsi parmi les dix plus grands donateurs au monde. 16 pays ont profité de l'engagement suisse en 2024, dont la Syrie. Des experts fédéraux y ont fourni des informations sur les dangers et une aide aux victimes.

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