Bart De Wever est l'homme du refus. A 54 ans, le Premier ministre belge était surtout jusque-là connu pour son opposition à… la Belgique, ce pays dont il dirige le gouvernement depuis février 2025. Nationaliste flamand pur jus, maire d'Anvers, l'homme incarnait surtout le «non» à l'Etat fédéral belge, dont il a longtemps réclamé haut et fort le démantèlement. Mais c'est sur un tout autre sujet que son refus est en train d'entrer dans l'histoire. Ce jeudi 18 décembre, le chef du gouvernement belge tient entre ses mains l'avenir des quelque 200 milliards d'euros russes, si indispensables au financement, puis à la reconstruction de l'Ukraine lorsque la paix surviendra.
Bart et les 200 milliards d'euros: la saga dure depuis des semaines. Elle lui vaut une forte hausse de popularité en Flandre, où l'on déteste perdre de l'argent. Rappel: cette somme faramineuse désigne les fonds russes placés, avant le déclenchement de la guerre en Ukraine le 24 février 2022, dans le système de compensation Euroclear (basé à Bruxelles) et dans les banques des pays de l'Union, ainsi qu'en Suisse.
185 milliards à Euroclear. 210 milliards au total. Un trésor que Poutine n'entend pas abandonner. Or, ce trésor, les Européens veulent y puiser pour financer et reconstruire l'Ukraine. La proposition qui tenait jusque-là la corde consistait à adosser un emprunt de 90 milliards d'euros pour l'Ukraine sur ces avoirs, utilisés comme garantie. Pour ce faire, la décision a été prise en début de semaine de les «geler indéfiniment» alors qu'ils étaient depuis deux ans gelés pour six mois reconductibles. Mais un autre leader lorgne dessus: Donald Trump, qui réclame 50% de ce «grisbi» pour son pays lorsque surviendra la reconstruction de l'Ukraine.
Pas un pays redoutable
La Belgique n'a rien, a priori, du pays redoutable pour l'Union européenne. Elle fait partie de ses fondateurs. Elle est, depuis le début, aux côtés de l'Ukraine agressée. Elle est membre de l'OTAN, l'Alliance atlantique.
Sauf que Bruxelles a un autre visage. Elle est aussi une capitale accueillante pour les milliardaires. Elle profite pleinement de la présence sur son sol des institutions européennes, de l'OTAN et d'Euroclear, la fameuse chambre de compensation utilisée par toutes les banques effectuant des transactions en Europe.
Bart De Wever joue donc sur les deux tableaux. Il veut conserver pour Bruxelles le rôle de plaque tournante européenne. Mais il ne veut pas que son pays soit exposé aux représailles du Kremlin si les 200 milliards d'euros russes gelés indéfiniment devaient être, à la fin, saisis et déboursés sans l'accord de Moscou.
Son exigence, réitérée dès son arrivée ce jeudi au sommet des Vingt-sept? Que les autres gouvernements de l’UE lui fournissent des garanties financières et juridiques substantielles, protégeant Euroclear et son gouvernement contre d’éventuelles représailles russes, en Belgique comme à l’étranger. L’une des questions clés, pour la Belgique, concerne le plafonnement des garanties financières sur les futurs prêts à l'Ukraine, actuellement fixées à 210 milliards d’euros. La Belgique estime que les garanties fournies par les autres pays de l’UE ne devraient avoir aucune limite afin d'assurer une protection XXL.
Une autre exigence clé de la Belgique est que tous les pays de l’Union mettent fin à leurs traités bilatéraux d’investissement avec la Russie, afin d’éviter que la Belgique ne se retrouve seule face à d’éventuelles représailles de Moscou. Mais, au grand agacement de la Belgique, plusieurs pays n'y sont pas prêts. Résultat: Bart De Wever pousse pour une autre option, celle de l'emprunt collectif pour l'Ukraine. Oubliés, dans ce cas, les 200 milliards d'avoirs russes, qui resteraient gelés tant que la guerre continue, mais ne seraient pas pris comme garantie.
Dans ce scénario, les Vingt-sept emprunteraient pour alimenter le budget de Kiev et payer les armes dont l'armée ukrainienne a besoin. Il faut trouver 140 milliards d'euros pour les deux prochaines années. Ce prêt serait garanti par le budget européen. La Bulgarie, l’Italie et Malte y sont aussi favorables. La France semble pencher dans cette direction. Le grand perdant serait l'Allemagne, qui misait sur les actifs russes et défendait une solution rapide, persuadée que la Belgique céderait.
Unanimité impossible
Problème: qui dit future dette commune dit unanimité des Vingt-sept. Or le Hongrois Viktor Orbán oppose son veto à tout soutien supplémentaire à l'Ukraine, dont il refuse par ailleurs l'entrée future dans l'Union. C'est pour cette raison qu'une hypothèse a émergé: l'activation d'une clause d’urgence – connue sous le nom d’article 122 – qui permettrait un vote à la majorité qualifiée (au moins 15 pays membres représentant 65% de la population de l'UE).
Là aussi, Bart De Wever est à la manœuvre. La Commission européenne a été priée de trouver en urgence des solutions. Si le Premier ministre belge réussit, le trésor de Poutine restera intact. Ses intérêts (plusieurs milliards d'euros par an) sont en revanche déjà utilisés par l'Union pour financer l'Ukraine. Et cela est assuré de continuer..