Beat Jans à propos de l'e-ID
«Je comprends que les gens soient inquiets»

L’identité électronique rend-elle transparents les citoyens que nous sommes? Non, affirme le conseiller fédéral Beat Jans, qui nous explique pourquoi la nouvelle carte d’identité est protégée contre les abus.
Publié: 10:55 heures
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Dernière mise à jour: 13:20 heures
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Le conseiller fédéral Beat Jans dans son bureau à Berne.
Photo: Remo Nägeli
Jessica Pfister et Monique Ryser
L'Illustré

Bien évidemment, il y a des Läckerli de Bâle dans le bureau du conseiller fédéral Beat Jans, 61 ans, dans l’aile ouest du Palais fédéral. «Servez-vous, je vous en prie», nous invite le natif de celle que l’on appelle la capitale culturelle de la Suisse. Ensuite, le ministre de la Justice nous parle de sa fille aînée Zoe, 19 ans, qui est rentrée cet été d’un séjour à l’étranger. «C’est fantastique que les jeunes puissent profiter de cette opportunité.» Sa cadette Mia, 17 ans, prendra elle aussi bientôt le large. «Les jeunes quittent le nid, il faut en prendre son parti.»

Monsieur le conseiller fédéral, avez-vous déjà rédigé un discours avec une IA?
Non. Je tiens à ce que ma personnalité transparaisse dans mes discours. Une IA n’en est pas capable, en tout cas pas encore (il sourit).

Sinon, à quel point utilisez-vous les outils numériques en déplacement?
Je gère mes finances presque exclusivement sur mon téléphone portable et je n’ai presque jamais d’argent liquide sur moi.

Le paiement en espèces tend à disparaître, l’identification doit donc elle aussi devenir numérique. Comprenez-vous que les gens s’inquiètent d’être totalement surveillés à l’avenir?
Oui, je comprends cette crainte. C’est d’ailleurs la principale raison de mon engagement en faveur de l’introduction de la carte d’identité électronique. L’e-ID permettra de naviguer sur internet de manière beaucoup plus sûre et donc d’être beaucoup mieux protégé contre les usurpations d’identité. Et l’e-ID conçue par la Confédération ne permet pas non plus de surveillance.

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Avec l’e-ID, les données sont très bien protégées. A chaque utilisation, nous pouvons décider nous-mêmes quelles données nous acceptons de communiquer
Beat Jans
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Les personnes âgées ne risquent-elles pas d’être techniquement dépassées par l’e-ID?
Non, au contraire. Les personnes âgées ou présentant un handicap sont elles aussi ravies de pouvoir, par exemple, effectuer leurs opérations bancaires depuis leur domicile. L’e-ID est accessible à tous. Les associations de seniors et de personnes présentant un handicap soutiennent le projet.

Mais l’e-ID ne peut protéger personne des escrocs qui sévissent sur le Net!
Avec l’e-ID, les données sont très bien protégées. A chaque utilisation, nous pouvons décider nous-mêmes quelles données nous acceptons de communiquer. Si une entreprise exige un nombre inutilement élevé de données personnelles, j’ai la possibilité de refuser et de faire un signalement à la Confédération. De plus, une application correspondante met en garde les utilisateurs. Chaque personne peut alors décider si elle tient compte ou non de cet avertissement. Je recommande naturellement de le faire.

En dehors d’internet, où a-t-on besoin de l’e-ID?
Dans tous les cas où l’on a besoin d’une carte d’identité. Un bon exemple: je souhaite transformer le compte épargne de ma fille en un compte privé, car elle vient d’avoir 18 ans. Normalement, nous devons tous deux nous présenter en personne à la banque. Mais ce n’est pas si simple, puisque je vis à Berne et elle, à Bâle. Avec la nouvelle e-ID, les choses seront beaucoup plus simples. Une chose essentielle: nous devrons à l’avenir uniquement partager les données vraiment nécessaires: l’âge pour l’achat de cigarettes, le nom, l’adresse et la date de naissance pour s’enregistrer dans un hôtel. Lorsque nous présentons notre carte d’identité aujourd’hui, nous révélons toutes les informations qu’elle contient. Pas uniquement celles qui sont nécessaires.

Toutes ces données sont pourtant bien enregistrées quelque part.
Absolument pas! Elles sont uniquement stockées sur le téléphone mobile de la personne concernée. La Confédération ne procède pas à un stockage centralisé des e-ID et ne dispose pas non plus d’informations à propos de leur utilisation. C’est la meilleure protection des données qui puisse être offerte à l’heure actuelle.

Vous ne cessez de le souligner: «L’e-ID est facultative.» Selon la NZZ am Sonntag, des entreprises privées peuvent cependant introduire une obligation pour leurs offres. Par exemple les boutiques exclusivement en ligne. Pourquoi avoir passé cela sous silence?
L’e-ID est facultative. La loi définit clairement les cas où des autorités peuvent exiger l’e-ID. En revanche, une boutique en ligne privée n’est pas autorisée à déterminer elle-même le mode d’identification d’une personne. C’est inhérent à la liberté économique. Mais il est faux de parler d’une obligation. Et vous avez toujours la liberté de choisir un autre prestataire.

En Allemagne, l’e-ID a présenté d’importantes failles de sécurité, des dossiers de patients ont été piratés…
Notre système est testé en permanence par des hackers. C’est pourquoi nombre d’anciens opposants sont aujourd’hui convaincus par l’e-ID. Mais la sécurité ne peut jamais être garantie à 100%, c’est déjà le cas aujourd’hui. Cependant, je pense qu’il faut souligner un autre aspect important: c’est une solution étatique, c’est-à-dire légitimée démocratiquement. Le parlement et la population peuvent toujours l’améliorer, voire stopper le projet. Mais si ce projet ne passe pas, il est possible que les e-ID deviennent le modèle économique d’entreprises privées. Et cela m’inquiète.

L’e-ID peut-elle être la base d’autres projets numériques comme le dossier électronique du patient?
Oui. Dans la nouvelle application, je peux aussi enregistrer d’autres documents d’identité, comme mon permis de conduire. C’est pratique lorsque je roule en voiture sans portefeuille, par exemple. Avec le permis de conduire électronique, je ne risque plus de me voir infliger une amende car je n’ai pas mon permis avec moi.

Actuellement, un fléau préoccupe plus la Suisse que la carte d’identité électronique: les féminicides. Cette année, 23 femmes et filles ont déjà été tuées par des hommes, un triste record...
Nous devons tout mettre en œuvre, tant sur le plan fédéral que cantonal, pour mieux protéger les victimes. Je vais bientôt présenter au Conseil fédéral le message concernant la loi sur l’aide aux victimes. Les prises de position lors de la consultation étaient très positives. Nous obligeons ainsi les cantons à fournir une assistance professionnelle et à documenter les cas. De quoi aider les femmes qui veulent agir contre les auteurs d’infraction.

Seuls huit cantons se sont dotés d’une loi pour lutter contre la violence faite aux femmes, certains n’ont même pas de maison d’accueil. L’esprit de clocher empêche-t-il l’action?
Le fédéralisme est aussi un concours d’idées: les cantons de Zurich et de Bâle-Campagne testent des bracelets électroniques, le canton de Vaud a ouvert une unité de médecine des violences. D’autres les suivent dans cette voie. J’en suis convaincu: sur les sujets importants, les cantons trouvent un terrain d’entente et des solutions.

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Notre société doit investir dans la sécurité des femmes
Beat Jans
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Votre parti, le PS, veut lancer une initiative populaire et propose que la Confédération alloue chaque année 500 millions de francs à la protection des femmes. Qu’en dites-vous?
Je ne peux pas m’exprimer sur ce montant concret. Mais il est absolument clair que notre société doit investir dans la sécurité des femmes face à la violence masculine.

Le sujet des féminicides n’est pas le seul à ébranler la Suisse. Après le décès d’un jeune de 17 ans lors d’une course poursuite avec la police, de violents incidents ont éclaté à Lausanne.
Je suis consterné par l’ampleur de ces heurts. En tant que chef de la Justice et de la Police, je m’engage à lutter contre la violence et la criminalité ainsi qu’à faire en sorte que notre police prête assistance et inspire confiance.

A Lausanne, des policiers ont partagé des propos discriminants et racistes sur des chats de groupe…
Les photos et les commentaires sont inacceptables! Les directives sont claires et tout le monde doit les respecter. Pourtant, le racisme et l’antisémitisme progressent. Nous devons montrer à la société que la haine, la domination et la violence ne sont jamais une solution. Mon message en tant qu’homme et comme ministre de la Justice et de la Police est clair: la violence est un signe de faiblesse. Les hommes forts résolvent les problèmes en écoutant et en cherchant le dialogue.

Avons-nous un problème avec les étrangers?
Nous n’acceptons aucun fait punissable, quel que soit son auteur. Dans le domaine du trafic de drogue, du trafic d’êtres humains, du blanchiment d’argent ou des vols, nous constatons une recrudescence de la criminalité organisée transfrontalière. Nous avons donc besoin de mesures ciblées, et notamment d’une collaboration transfrontalière entre les polices encore plus efficace.

Il serait donc d’autant plus important d’avoir des relations réglementées avec l’UE. Pourquoi le Conseil fédéral ne le souligne-t-il pas davantage? A-t-on peur du peuple?
Il est capital d’examiner le paquet Suisse-UE dans les moindres détails. Nous avons obtenu de la part de l’UE d’énormes concessions que nous n’aurions pu espérer il y a un an ou deux. Le Conseil fédéral est unanimement en faveur de cet accord, essentiel pour notre prospérité et notre sécurité. Nous faisons face à des attaques russes à l’est et à une politique du «plus fort» à l’ouest. C’est pourquoi il est d’autant plus important pour nous d’avoir un partenaire comme l’UE, auquel nous pouvons nous fier – pour l’avenir également.

A propos de guerre des douanes: la droite vous reproche d’avoir, avec le Département des affaires étrangères, torpillé l’accord douanier.
Comme tous les autres conseillers fédéraux, mon objectif est la suppression de ces droits de douane supplémentaires. En tant que représentant d’une région frontalière urbaine, je sais à quel point ils nuisent à l’économie exportatrice.

Est-il vrai que vous avez dû appeler à la retenue votre épouse, Tracy, qui tient des propos sans concession à propos des Etats-Unis dans les médias? C’est en tout cas ce qu’a écrit la Weltwoche.
(Rires.) Ma femme est une partenaire sûre d’elle qui mène sa vie avec brio. Elle n’a nullement besoin que je lui dise ce qu’elle doit faire. D’ailleurs, il y a aussi énormément de gens aux Etats-Unis qui sont contre ces droits de douane.

Vous dites que tout le Conseil fédéral tire à la même corde. Pourtant, ça ne se remarque guère.
Ensemble, nous faisons tout pour régler le conflit douanier et améliorer les relations avec l’UE.

Il y a pourtant constamment des indiscrétions.
Nous en parlons souvent. Personnellement, je trouve le travail au sein du gouvernement très constructif. Depuis que je siège au Conseil fédéral, je suis encore plus convaincu que la concorde et la collégialité sont bonnes pour notre pays. Surtout en cette période où les valeurs que sont le compromis, la sécurité juridique et la fiabilité sont mises à mal sur le plan international.

Revenons au début de cette interview. Comment communiquez-vous avec vos filles? Numériquement par chat?
Oui aussi. Mais ce que nous faisons beaucoup plus souvent, c’est nous téléphoner. Je constate avec amusement que les conversations très profondes que nous avons aujourd’hui étaient beaucoup plus rares lorsque nous vivions tous ensemble sous le même toit à Bâle. Bien sûr, mes filles me mettent au défi. C’est parfois épuisant, mais c’est aussi fantastique!

Un article de «L'illustré» n°39

Cet article a été publié initialement dans le n°39 de «L'illustré», paru en kiosque le 25 septembre 2025.

Cet article a été publié initialement dans le n°39 de «L'illustré», paru en kiosque le 25 septembre 2025.

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