La Suisse deviendra-t-elle un Etat de surveillance dès le 28 septembre? D'après le comité référendaire contre l'e-ID, la carte d'identité numérique mettra les Suisses à la merci du gouvernement. Pour ses partisans au contraire, le projet est attendu comme le Messie. Avec l'infrastructure fédérale soumise au peuple, les Suisses pourront prouver leur identité numérique ouvertement, de façon sûre et simple. Pourquoi donc tant de réserves? Blick fait le point.
Le projet a été revu en profondeur
Depuis que le peuple a rejeté l'e-ID en mars 2021, la Confédération a travaillé pendant quatre ans pour répondre aux critiques des opposants, notamment en impliquant la population civile. L'un des points les plus décriés: miser sur des fournisseurs privés – comme des banques ou des entreprises informatiques – pour l'infrastructure du projet.
Selon ses opposants, ce système permettait aux fournisseurs privés de tirer un profit commercial à partir des données des utilisateurs. De plus, le projet laissait de nombreuses questions en suspens, surtout concernant la protection des données. Sa nouvelle version comble cette lacune. A présent, l'Etat devient l'émetteur et le gestionnaire, tandis que l'infrastructure fonctionne de manière décentralisée. Les données de l'e-ID peuvent être consultées sur l'appareil de l'utilisateur et ne sont donc pas traçables.
Malgré ces adaptations, le Parti pirate, le mouvement Mass-Voll, les Jeunes UDC et les Amis de la Constitution ont lancé un référendum. L'UDC est aussi opposée à cette loi.
Les utilisateurs garderont le contrôle
L'une des préoccupations centrales des référendaires au sujet de l'e-ID concerne la surveillance numérique par l'Etat et les entreprises. Ses opposants affirment que les grands groupes technologiques comme Meta, Google, Amazon ou Apple pourraient consulter nos données en permanence et établir ainsi nos profils de consommateurs.
«A aucun moment l'Etat n'a la possibilité de comprendre comment les particuliers utilisent leur e-ID», rétorque Daniel Saeuberli, président de la Digital Identity and Data Sovereignty Association. «L'infrastructure technique doit être construite juridiquement, de sorte qu'un Etat de surveillance est tout simplement impossible.»
Il en va de même pour les sites web et les plateformes privés. Si des données provenant de notre porte-monnaie numérique sont requises, les utilisateurs pourront sélectionner celles qu'ils veulent révéler. Ils auront ainsi le contrôle sur leurs données personnelles. «Ils peuvent décider à tout moment quels détails sur leur e-ID diffuser et dans quel contexte.»
Des données privées encore floues
Il doit être possible de prouver son âge sans dévoiler pour autant toutes nos informations inscrites sur notre carte d'identité numérique. Néanmoins, les données que les plateformes privées sont autorisées à demander aux utilisateurs ne sont pas clairement délimitées. Les plateformes ont le droit de demander des données enregistrées sur l'e-ID seulement si la loi le prescrit ou si elles sont «absolument nécessaires à la fiabilité de la transaction». Mais leur marge de manœuvre reste large: en plus de notre nom, notre âge et notre date de naissance, d'autres données stratégiques sont inscrites sur la carte d'identité numérique, comme notre nationalité, notre lieu d'origine et de naissance ou notre numéro AVS.
Même la Confédération ne peut pas savoir à l'avance quelles données seront demandées. Ce système permet d'empêcher l'Etat de surveillance – redouté par les opposants – mais ouvre aussi la porte aux sollicitations déplacées de la part des plateformes privées. La Confédération promet de sanctionner les entreprises fautives en s'appuyant sur les signalements des utilisateurs.
L'e-ID ne sera pas obligatoire
Les opposants à la carte d'identité numérique affirment que la Confédération soumet les Suisses à la «contrainte de l'e-ID». «L'e-ID ne sera pas obligatoire», rétorque Daniel Saeuberli. «Si vous la voulez, vous pourrez la demander, mais si vous n'en voulez pas, vous n'y serez pas obligés.»
La loi veut répondre à ces préoccupations. Lorsque vous demandez l'e-ID, vous devrez aussi accepter les pièces d'identité «habituelles», si vous faites la demande en personne. Le changement sera donc moindre pour les services publics, mais pas pour les plateformes privées.
«Si nous voulons ancrer juridiquement un droit à une vie déconnectée d'Internet, il faudrait en discuter dans le cadre d'une loi sur l'intégrité numérique et non dans le cadre de l'e-ID», poursuit Daniel Saeuberli. A l'avenir, le marché décidera lui-même si une preuve électronique est nécessaire pour les achats en ligne.
Tous nos documents en numérique
La Confédération, les prestataires de services privés et Daniel Saeuberli espèrent que l'écosystème de l'e-ID se développera, car l'infrastructure doit toujours être améliorée. Dans l'application mobile Swiyu – qui permettra d'enregistrer l'identité numérique – la Confédération a aussi mis à la disposition des utilisateurs un porte-monnaie numérique.
Grâce à ce porte-monnaie, vous pourrez consulter vos titres de transport, vos diplômes, vos paiements, vos abonnements mobiles ou encore vos collectes de signatures de manière numérisée et cryptée. D'ailleurs, la Confédération prévoit d'introduire un titre de transport numérique après le lancement de l'e-ID.
De plus, le projet de la Confédération pourrait contribuer à rendre Internet plus sûr, selon Daniel Saeuberli. «Son infrastructure de confiance pourrait nous permettre de mieux vérifier les informations. Ce serait une nouvelle façon de contourner les deepfakes ou les fake news.»