«L'équipe Mar-a-Lago» débarque
Pour amadouer Trump, la Suisse appelle ses riches entrepreneurs à la rescousse

Karin Keller-Sutter et Guy Parmelin n’ont pas pu désamorcer le conflit douanier avec Washington par la diplomatie. Le Conseil fédéral mise désormais sur des poids lourds de l’économie suisse, proches du cercle Trump, surnommés en interne «l’équipe de Mar-a-Lago».
Publié: 06:59 heures
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Karin Keller-Sutter a atterri jeudi à Berne, sans accord avec les Etats-Unis dans ses bagages.
Photo: AFP
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Céline Zahno et Sophie Reinhardt

La journée du 7 août marquera à coup sûr l'histoire suisse. Depuis mercredi, les Etats-Unis appliquent des droits de douane punitifs de 39% sur les produits suisses destinés à leur marché. Jeudi après-midi, la présidente de la Confédération, Karin Keller-Sutter, et le conseiller fédéral en charge de l’économie, Guy Parmelin, ont pris la parole pour la première fois devant les médias, à la suite de l’échec des négociations.

La grande inconnue reste la suite des événements. Le Conseil fédéral s’est exprimé avec retenue, affirmant vouloir poursuivre les pourparlers. Mais même à Berne, on commence à admettre que les voies diplomatiques classiques ne suffisent plus pour atteindre le président américain. Avant cette mesure brutale, une déclaration d’intention avait pourtant été négociée avec Washington. L’accord, déposé sur le bureau de Donald Trump dès le 4 juillet, prévoyait une taxe de 10%. Mais jusqu’au bout, un élément crucial a fait défaut: la signature du président.

Convaincre Trump en personne

La priorité de la Suisse est désormais claire: convaincre Trump en personne. «Au final, tout est entre les mains du président américain», a déclaré Karin Keller-Sutter durant la conférence de presse. Tant qu’il ne signe pas personnellement, aucun accord n’aura de valeur juridique, comme la Suisse vient de l’apprendre à ses dépens.

A Berne, on pense déjà à une nouvelle stratégie. La diplomatie traditionnelle ne suffit plus pour atteindre Trump, il faut donc explorer d’autres canaux. Tous les leviers disponibles seront activés, assure-t-on dans les coulisses du Palais fédéral. 

Miser sur les acteurs économiques

Une rencontre récente à Washington entre des représentants de l’économie suisse et américains allait dans ce sens. Severin Schwan, président du conseil d’administration de Roche, Jens Fehlinger, directeur général de Swiss, et Daniel Jäggi, président du négociant en matières premières Mercuria, faisaient partie de la délégation. Marcel Erni et Fredy Gantner représentaient la société d'investissement Partners Group.

Ce rapprochement avec le monde économique est jugé essentiel. «Ils disposent d’approches différentes des nôtres», a reconnu Karin Keller-Sutter. Selon des sources proches de l’administration, les chefs d’entreprise suisses ont accès à des réseaux complémentaires, qu’ils peuvent mobiliser pour faire passer les messages helvétiques à Washington. «Lors de ces rencontres, il s’agit d’harmoniser le discours et de savoir qui connaît qui.»

Le monde économique est aussi appelé à contribuer à réduire le déficit commercial que Trump reproche à la Suisse. D’après le «Tages-Anzeiger», Jens Fehlinger aurait ainsi accepté d’acheter des avions Boeing pour Swiss. Roche, de son côté, envisagerait de renforcer ses infrastructures industrielles aux Etats-Unis.

L'équipe de Mar-a-Lago

Difficile de dire si ces entrepreneurs fréquentent régulièrement le luxueux complexe de golf de Trump, en Floride. Mais certains membres de l’administration les surnomment avec humour «le groupe de Mar-a-Lago». Ce cercle réunit des personnalités du monde des affaires suisses particulièrement prospères – des multimillionnaires qui n’auraient aucun mal à s’acquitter des frais d’adhésion, estimés à un million de dollars. Partners Group, lui, est déjà implanté sur place: l’entreprise a ouvert un bureau à Miami en juillet.

Daniel Jäggi est le cofondateur du négociant en pétrole et en gaz genevois Mercuria. Depuis des années, ce dernier investit à grande échelle dans l'infrastructure énergétique américaine. Sa fortune et celle de son associé sont évaluées à 2,2 milliards de francs par le magazine «Bilanz».

Quant au milliardaire zougois Fredy Gantner, il s'est «immergé au cœur de la communauté mormone» lors d'un séjour linguistique aux Etats-Unis alors qu'il était encore jeune. Il l'a décrit un jour à Blick comme un événement clé de sa vie. Sa femme Cornelia a étudié le journalisme aux Etats-Unis et a travaillé pour la chaîne de télévision NBC. Ensemble, ils disposent de relations solides dans le pays.

Le Seco poursuit les négociations

D’autres pistes sont explorées par le biais de Gabriel Lüchinger, envoyé spécial de la Suisse pour les Etats-Unis. Présent lors du voyage à Washington, ce diplomate expérimenté est réputé pour ses liens directs avec la Maison Blanche, notamment avec le secrétaire d’Etat américain Marco Rubio, que Karin Keller-Sutter a rencontré, ou encore avec Steve Witkoff, envoyé spécial de Trump.

La Suisse continue également de miser sur l’équipe du Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco) pour poser les bases d’un nouvel accord. Sa cheffe, Helene Budliger Artieda, est restée à Washington pour poursuivre les négociations.

Le Forum économique mondial (WEF) pourrait aussi s’avérer utile. A Berne, on estime probable que Donald Trump se rende dans les Alpes suisses en février prochain pour la réunion annuelle. Klaus Schwab, fondateur du WEF, fait partie des rares Suisses à avoir reçu une invitation à Mar-a-Lago... même s’il ne semble pas l’avoir acceptée.

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