La gauche radicale en piste
«Je suis directement touchée par les coupes»: Agathe Raboud Sidorenko à l'assaut du Conseil d'Etat vaudois

Crise budgétaire, colère sociale et démission surprise. C'est dans ce contexte qu'Ensemble à gauche lance Agathe Raboud Sidorenko dans la bataille pour le Conseil d’Etat vaudois. Une candidature «de terrain» pour transformer la mobilisation en pouvoir politique.
Agathe Raboud Sidorenko se veut la porte-parole des revendications portées par la fonction publique dans la rue.
Photo: keystone-sda.ch
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Alessia BarbezatJournaliste Blick

A Lausanne, la rue gronde, le gouvernement recule et la gauche radicale sort du bois. Ensemble à gauche (Eàg) lance sa candidate pour l’élection complémentaire au Conseil d’Etat vaudois le 8 mars prochain: Agathe Raboud Sidorenko. A 39 ans, la comédienne, médiatrice culturelle et conseillère communale lausannoise depuis 2021, affrontera Jean-François Thuillard, le candidat de l’Union démocratique du centre (UDC) et celui tout juste désigné par le Parti socialiste vaudois (PS), Roger Nordmann.

Une candidature «de terrain contre l’austérité budgétaire et la politique des caisses vides». Et une campagne éclair pour porter des mesures urgentes: renoncement aux coupes budgétaires, salaire minimum, augmentation de l’impôt sur le bénéfice des multinationales, revalorisation des secteurs du social parapublic et de la santé, davantage de moyens pour l’école inclusive et l’enseignement et un sursaut dans l’action contre le dérèglement climatique.

Dans un contexte marqué par une mobilisation sociale historique et une défiance croissante envers le gouvernement cantonal, Agathe Raboud Sidorenko entend porter une voix féministe, combative et résolument anti-austérité. Elle annonce se retirer de la course à la Municipalité pour se consacrer à 100% à sa campagne.

Agathe Raboud Sidorenko, vous vous décrivez comme une «candidate de terrain, de rupture». Qu’est-ce que cela signifie concrètement?
C’est d’abord une manière de me situer par rapport aux autres candidatures, celles de Jean-François Thuillard (UDC) et de Roger Nordmann (PS). Des politiciens professionnels, avec une longue expérience au niveau cantonal et fédéral. De mon côté, je suis certes conseillère communale lausannoise depuis 2021, mais on reste à un échelon municipal. Et puis, quand je dis «candidate de terrain», c’est aussi parce que je suis personnellement concernée par ces politiques: je viens du milieu culturel, un secteur durement touché par les coupes. J’ai deux jeunes enfants en crèche, je bénéficie de subsides, et de l’assurance-chômage. Ce qui fait aussi partie de la réalité du monde culturel. Je parle donc depuis une expérience vécue, pas abstraite. J’estime que ma candidature est donc davantage connectée aux réalités vécues par les personnes qui portent aujourd’hui des revendications – pas seulement celles d’Ensemble à Gauche (Eàg), mais aussi parmi celles et ceux qui se mobilisent dans la rue, et celles et ceux qui ne peuvent pas se mobiliser mais qui sont directement touchés par les décisions et les coupes budgétaires du Conseil d’Etat.

Est-ce qu’Ensemble à gauche aurait présenté une candidature sans ce contexte?
Oui, dans tous les cas, il était important de proposer un véritable choix démocratique lors de cette élection complémentaire. Aujourd’hui, les forces qui se présentent sont déjà représentées au gouvernement, dans un Conseil d’Etat où la majorité est à droite. Il s’agissait donc d’offrir une alternative. Il est vrai que cette élection est arrivée de manière totalement inattendue. Personne ne s’attendait à la démission de Rebecca Ruiz. Et c’est justement ce contexte, combiné à la mobilisation historique que nous vivons, qui a rendu évident le fait qu’il fallait y aller, sans hésiter et porter ces discours-là maintenant.

Vous avez le sentiment que la voix de la gauche est aujourd’hui étouffée au Conseil d’Etat, au nom de la collégialité?
Oui. Les marges de manœuvre sont extrêmement restreintes. Il y a beaucoup de compromis entre le programme de législature et la réalité politique. On le voit très clairement: la Loi sur l’énergie ainsi que le plan climat ont été largement démantelés, de nombreuses promesses ne sont pas tenues. Je pense par exemple aux abonnements de transport moins chers pour les jeunes en formation ou les personnes âgées. Ce sont des mesures simples, qui ne devraient pas être révolutionnaires, et qui n’ont pourtant pas été appliquées. A cela s’ajoute cette fameuse «politique des caisses vides», combinée à des cadeaux fiscaux aux ultra-riches. Les baisses d’impôts successives nous amènent à une situation où l’on parle de crise financière majeure, tout en demandant aux plus précaires de faire des efforts supplémentaires. C’est un choix politique, pas une fatalité.

Justement, quelles seraient vos mesures phares si vous étiez élue au Conseil d’Etat?
D’abord, le renoncement à ces coupes budgétaires. Ensuite, la revalorisation de tous les postes de la fonction publique avec notamment l’application réelle d’un salaire minimum à 4500 francs net. En ce qui concerne le secteur privé, le Conseil d’Etat n’a toujours pas mis en votation l’initiative pour un salaire minimum alors que le délai de deux ans est passé à l’automne et que nous avons récolté un nombre de signatures largement supérieur au seuil nécessaire. Je défends aussi un renforcement des moyens pour l’école, pour l’enseignement et pour l’école inclusive. Et puis, il y a des domaines qui me tiennent particulièrement à cœur, comme l’accueil des femmes victimes de violences, ou plus largement le soutien au secteur public et parapublic.

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Il faut arrêter les cadeaux fiscaux. Le bouclier fiscal, mal appliqué pendant des années, a fait perdre entre 500 millions et un milliard de francs au canton.
Agathe Raboud Sidorenko, candidate (Ensemble à Gauche) à l'élection complémentaire au Conseil d'Etat
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Où trouvez-vous l’argent pour financer ces mesures?
Chez les multinationales et les très hauts revenus. Il faut arrêter les cadeaux fiscaux. Le bouclier fiscal, mal appliqué pendant des années, a fait perdre entre 500 millions et un milliard de francs au canton. En cessant immédiatement ces politiques, on peut déjà rééquilibrer la balance de manière significative.

Vous êtes également candidate aux élections communales le 8 mars. Comment allez-vous concilier ces deux campagnes?
C’est une très bonne question. Je profite de cette interview pour annoncer que j’ai pris la décision de me retirer de la campagne pour la Municipalité de Lausanne. Ça n’a pas été une évidence, puisque je m’étais engagée avant qu’il y ait cette élection complémentaire. Je l’avais fait sur un ticket constitué de six personnes, donc cela paraissait envisageable de mener les deux en parallèle. Mais aujourd’hui, il est vraiment important pour moi de me mettre entièrement au service de cette campagne pour le Conseil d’État et de m’y consacrer à 100 %. 

Que pensez-vous pouvoir apporter au Conseil d’Etat?
Une politique qui place réellement le bien-être de la population au centre. Une politique connectée aux revendications des salariés et aux réalités du terrain. Je crois beaucoup à l’importance des mobilisations. Depuis la grève féministe de 2019, on voit chaque année que ces luttes ont raison d’exister et de se poursuivre. Avec EàG, je souhaite porter une politique résolument féministe. Car les secteurs les plus touchés – le soin, l’accueil de la petite enfance, le social – sont majoritairement féminisés.

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La population est profondément déçue du gouvernement. Voir 25'000 personnes dans la rue, c’est historique!
Agathe Raboud Sidorenko, candidate (Ensemble à Gauche) à l'élection complémentaire au Conseil d'Etat
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Le PS a désigné samedi dernier le très expérimenté Roger Nordmann comme candidat. Vous auriez préféré une candidature plus jeune, comme celle de Sébastien Cala?
C’est un choix clairement électoraliste. Roger Nordmann est une figure rassurante, il a fait ses preuves en termes de mobilisation électorale. Le PS a choisi la sécurité, notamment face à la droite. Personnellement, je pense qu’une candidature comme celle de Sébastien Cala, par exemple, plus proche des enjeux actuels – notamment sur le budget de la santé – aurait été davantage en prise avec la réalité du terrain. Mais ce choix appartient au PS.

Ne craignez-vous pas de prendre des voix au PS et de faire le jeu de la droite?
Non. D’abord, parce qu’il y a deux tours. Ensuite, je pense qu’il est important de sortir de cette logique du «vote utile». La population est profondément déçue du gouvernement. Voir 25'000 personnes dans la rue, c’est historique! Dans ce contexte, ne pas se présenter par calcul ou par crainte serait, à mon sens, politiquement et éthiquement problématique. Une gauche combative existe, elle est multiple, et elle doit être audible dans tout le canton. Cette candidature offre un réel choix démocratique.

Quel regard portez-vous sur les dernières semaines de mobilisation, malgré certains débordements?
Au vu de l’ampleur du mouvement, les débordements restent très marginaux. Ils doivent être condamnés, évidemment. Mais, ils ne doivent pas invisibiliser l’essentiel: il s’agit d’une mobilisation largement pacifique, organisée, porteuse de revendications claires. Et surtout, elle a porté ses fruits: le Conseil d’Etat a reculé sur certaines mesures. C’est une raison supplémentaire pour rester mobilisés. D’autres secteurs sont encore touchés: le soin, la petite enfance, le social, l’ensemble du parapublic.

Vous soutenez donc les grèves à venir?
Oui, clairement. Cette mobilisation montre aussi qu’il y a eu une rupture de communication grave entre le gouvernement et la population. Cela démontre la nécessité d’un Conseil d’Etat plus à l’écoute, plus en dialogue, et davantage connecté aux expertises de terrain. On ne peut pas gouverner depuis le haut, sans consulter celles et ceux qui travaillent quotidiennement dans ces secteurs.

Vous avez déclaré dans les colonnes du «Temps» que vous ne vous présentiez pas «en pensant forcément être élue». Que vouliez-vous dire par là?
C’était une façon maladroite de dire que je ne le faisais pas dans une optique carriériste. Cette candidature est avant tout collective. J’ai accepté de me présenter car des personnes m’ont fait confiance, et aussi parce que le timing personnel et politique s’y prêtait. Evidemment que je souhaite être élue pour porter ce programme et l’appliquer. Mais ce n’est pas un projet personnel mûri de longue date. C’est une réponse à une situation politique urgente.

L’ambiance actuelle au Conseil d’Etat vous donne quand même envie d’y siéger?
Oui, précisément parce que je pense qu’on peut faire différemment. Une autre manière de faire de la politique, une autre façon de faire société est possible. Je suis pour un changement radical, en rupture avec ce qui se fait aujourd’hui. Cette élection complémentaire peut être l’occasion de rebattre les cartes, d’apporter un nouveau souffle avant la prochaine législature.

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